• Aucun résultat trouvé

Le lac Saint-Pierre : un site d’étude des territoires lacustres hors du contexte alpin

Chapitre 2. Les grands lacs alpins : des objets qui font territoire

2.4 Le lac Saint-Pierre : un site d’étude des territoires lacustres hors du contexte alpin

Dans une perspective d’analyse du fonctionnement et de l’évolution des territoires lacustres, il nous a paru intéressant de tester les modèles développés dans le cadre de cette étude sur un site d’étude très différent des grands lacs alpins et soumis à des perturbations liées aux pollutions diffuses. Pour cela, nous avons choisi le Lac Saint-Pierre (LSP) au Québec, lac de plaine peu profond, inséré au sein du réseau fluvial du fleuve Saint-Laurent. Une description sommaire du contexte géographique et historique, en lien avec les problématiques de pollution qui affectent ce lac est proposée dans les paragraphes suivants. Un ensemble cartographique est visible en Annexe 2-3 qui complète cette partie (« la cartothèque du lac

Saint-Pierre »).

❖ Contexte géographique et historique du territoire lacustre du lac Saint- Pierre

A l’occasion d’un voyage en 1603 en naviguant à travers le LSP, le colonisateur et grand navigateur français Samuel Champlain reconnaît déjà la grande richesse et productivité du lac, notamment piscicole, et par la présence d’arbres fruitiers et vignes, prairies, gibier et animaux sauvages sur les îles qui le bordent. Il précise même que « La pescherie du poisson y est plus

abondante qu’en aucun lieu qu’eussions vu » (De Koninck 2000 in Laverdière 1870). Champlain

va nommer le lac en référence au jour de la Saint-Pierre, le 29 juin, date à laquelle il traversa le lac pour la première fois.

112

Le LSP est un lac d’origine glaciaire, formé il y a 12 500 ans du retrait de la calotte glaciaire du Québec permettant aux eaux marines de s’engouffrer dans les basses terres du futur fleuve Saint-Laurent et de former la Mer de Champlain. Le LSP s’est formé au rétrécissement de cette mer par le soulèvement du socle rocheux libéré du poids des glaces qu’il supportait. Pendant environ 4 000 ans, l’eau douce a progressivement remplacé l’eau salée et le niveau d’eau a diminué pour dessiner la physionomie du système des Grands Lacs et du Saint-Laurent que l’on connaît aujourd’hui (MDDEFP 2013).

Le LSP est un lac fluvial du Saint-Laurent qui prend sa source dans le lac Ontario et s’écoule sur près de 400 km jusqu’à Québec, où il s’élargit pour se jeter dans l’Océan Atlantique (Annexe 2-3, carte 1). Avec les lacs Saint-François et Saint-Louis, le LSP est l’un des 3 grands lacs situés sur ce fleuve. Le LSP est le plus imposant des trois : il s’étend sur près de 30 km de long et 13 km de large et couvre une superficie d’environ 500 km², avec une profondeur

moyenne faible de trois mètres. Dans sa partie amont se trouve « les cent îles du LSP » (De

Koninck 2000) : l’archipel de Sorel, un système d’îles, îlots et canaux qui partagent le Saint- Laurent en trois chenaux principaux naturels avant qu’il ne se jette dans les étendues d’eaux lacustres (MDDEFP 2013).

L’histoire des usages de ce lac est intimement liée à celle de la colonisation de la province du

Québec. Le LSP sera décrit à l’occasion du second voyage en Amérique par Jacques Cartier (1535) comme un obstacle majeur à la navigation dans le Saint-Laurent de par sa faible profondeur naturelle. La navigation océanique s’arrêtait alors à Québec, le cabotage permettait de prolonger la navigation commerciale sur le fleuve Saint-Laurent vers l’Ouest en direction de la ville de Montréal. Avec l’arrivée des bateaux à vapeur à fort tirant d’eau au début du XIXème siècle, les marchands de Montréal sont de plus en plus contraints par la présence du lac et rédigent une pétition au ministère des Travaux Publics du Canada demandant d’approfondir le fleuve au niveau du lac pour étendre le commerce et le développement de la ville de Montréal. La décision fut prise en 1841 de creuser un chenal droit à travers le lac. Ce dragage au centre du LSP fut la première action d’une longue série visant à creuser une voie maritime commerciale qui permettrait de rejoindre l’Atlantique à la ville de Montréal et aux grands lacs Américains (Côté and Morin 2003). Le chenal atteint

aujourd’hui la profondeur de 11,3 m, il divise longitudinalement le lac et canalise l’écoulement de ses eaux (MDDEFP 2013).

Situé à un emplacement stratégique au cœur de la plaine fertile du Saint-Laurent entre Québec, Trois-Rivières et Montréal, au confluent du fleuve Saint-Laurent et de la rivière Richelieu et au cœur d’un archipel de centaines d’îles basses en amont, le lac a joué un rôle stratégique pour la défense du territoire québécois, tant pour les populations autochtones, que pour les colons français et anglais. Cet emplacement sera également choisi lors de la seconde guerre mondiale pour implanter des industries métallurgiques, chantiers navals et de fabrication de canons et ainsi profiter de la proximité d’abondantes sources de minerais et d’électricité. Ces industries perdureront après la guerre jusque dans les années 1980 et le lac sera utilisé jusqu’en 2000 comme zone de test de tirs d’obus (Godmaire and Sauvé 2005). Le

positionnement du lac, sa profondeur et la physionomie de l’ensemble lac – îles - littoral ont représenté un défi majeur pour le développement du Québec mais sont aussi parmi les caractéristiques écosystémiques du lac les plus anciennement utilisées et convoitées.

113

Le BV de ce lac représente plus de 60% de de la superficie du Québec (990 000 KM² - Annexe

2-3, cartes 2 et 3). Il touche 11 régions administratives, 58 Municipalité Régionales de Comté et 654 municipalités où vivent environ 3,3 millions d’habitants (MDDEFP 2013, TCRLSP 2016). En tête de BV du fleuve, les eaux du lac Ontario drainent la pollution du bassin des Grands Lacs américains et canadiens où se concentrent de grandes agglomérations, une forte activité industrielle, ainsi que de grandes superficies en culture intensive de maïs dans les états du nord des États-Unis. Entre le lac Ontario et le LSP, le fleuve Saint-Laurent reçoit les effluents

urbains de plusieurs millions de personnes et entre Montréal et le LSP, s’ajoutent les eaux de

plus de la moitié des terres cultivées du Québec, apportant phosphates, nitrates, pesticides et sédiments. Localement, le lac reçoit les effluents industriels de la ville Sorel-Tracy et les effluents de plusieurs stations d’épuration (MDDEFP 2013). Malgré la multiplicité des sources potentielles de pollutions, l’eau est de bonne qualité à la sortie du lac Ontario jusqu’en amont de Montréal, la pollution du BV des Grands Lacs est largement confinée dans ces derniers. C’est au sortir de Montréal et au niveau du LSP que la qualité des eaux se détériore : le lac est situé sur la portion la plus urbanisée et agricole du fleuve, les 11 tributaires de ce lac fournissent une quantité des plus importantes en phosphore de l’ensemble du BV du fleuve Saint-Laurent (Patoine 2017) (Annexe 2-3 – carte 4).

Au fil du temps, le LSP est devenu le lac le plus pollué du Québec (Francoeur 2004 - presse). On y retrouve des pollutions au métaux lourds et pollutions chimiques d’origines industrielle et agricole, des pesticides, des pollutions ponctuelles aux hydrocarbures causées par le passage des navires marchands et pétroliers, des micropolluants médicamenteux et

contaminations par micro-organismes pathogènes non dégradés par les stations d’épuration,

des cyanobactéries benthiques, des excédents de phosphore et de matières en suspension en réponse à la spécialisation de l’agriculture intensive de cette partie du Québec et l’érosion

littorale qui provoquent un envasement généralisé du lac (Francoeur 2004 - presse).

Depuis 1950, les pratiques agricoles et les MUS du BV ont profondément évolué. L’agriculture québécoise s’est à la fois intensifiée et densifiée, l’urbanisation s’est étendue et les paysages culturaux dans la zone littorale4 du lac ont subi des transformations majeures qui se sont

manifestées par un passage marqué des cultures pérennes de pâturages laitiers vers les cultures annuelles de maïs et soja (TCRLSP 2017) (Annexe 2-3, carte 5 et 7, schéma 6).

L’ensemble de ces pressions portent atteinte à la riche biodiversité du lac sachant que le lac représente la plus importante halte migratoire des oiseaux de tout l'est du Canada (MDDEFP 2013) et que la région affiche la plus grande biodiversité piscicole de tout le système fluvial du Saint-Laurent (Mingelbier et al. 2008 in Dauphin and Jobin 2016). Le LSP représente l’un des

piliers du patrimoine naturel du Québec, reconnu au niveau international par la Convention

de Ramsar et en tant que Réserve mondiale de la biosphère par l’Unesco. Son patrimoine culturel et historique est reconnu car inséré au territoire francophone du Québec et foyer de la colonisation du Canada (De Koninck 2000).

4 zone qui s’étend depuis le centre du lac jusqu'à la ligne des hautes eaux déterminée par la limite des inondations

de récurrence de 2 ans. D’une superficie de 28 061 ha (hors cours d’eau et plan d’eau), il s’agit de la plus étendue plaine d’inondation d’eaux douces du Québec – TCRLSP, 2017

114

Les trajectoires écosystémiques et humaines de ce territoire sont intrinsèquement liées. Elles

sont porteuses d’enjeux économiques, de conservation, culturels et historiques majeurs qui font du LSP l’un des socio-écosystèmes les plus complexes du Québec. Les changements qui ont eu lieu dans la période récente ont transformé ce socio-écosystème et ont amené de nombreuses perturbations des services écosystémiques et usages lacustres. En conséquence, la mise en place de réponses sociétales à ces impacts et la constitution d’un système de gouvernance visant à encadrer un développement durable de ce territoire, et apporter des solutions aux nombreuses problématiques du lac, est toujours en construction.

Conclusion du chapitre 2

Nos sites de références sont constitués par trois systèmes grand lac – BV – société soumis à des forçages climatiques, hydrologiques, socio-économiques et réglementaires similaires : même écorégion, système fluvial du Rhône, lacs associés à des espaces de concentration urbaine et touristique, pôles régionaux de peuplement et d’activités économiques, mêmes acteurs. Ces lacs sont porteurs de la même grande dynamique de développement industriel et économique, associés à des enjeux forts de conservation de la biodiversité et de protection de la qualité des eaux. Ces trois systèmes sont pertinents pour une approche comparée, la principale différence entre ces trois lacs relevant de leurs trajectoires de réponses aux perturbations subies au cours du XXème siècle. Le caractère transfrontalier du Léman et sa taille apportent quelques spécificités au niveau de la coordination de la gestion, des acteurs impliqués et des usages du lac qui pourront être explorés dans cette thèse. Il a été décidé d’enrichir cette comparaison avec l’analyse d’un territoire lacustre situé dans un contexte hydroécologique et socio-économique totalement différent mais présentant une trajectoire de réponse aux pollutions similaires : le LSP au Canada.

Nous faisons le pari que l’étude de ces quatre territoires lacustres et de leurs trajectoires d’impacts et de réponses écologiques et sociétales aux pollutions permettront d’identifier les principaux fonctionnements qui associent les sociétés aux grands lacs et d’éclairer la gestion de ces écosystèmes.

Chapitre 3. Les concepts d'étude du