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Chapitre 2. Les grands lacs alpins : des objets qui font territoire

2.3 Les parties prenantes de la gestion des grands lacs alpins

2.3.4 Les structures de coordination de la gestion

Chaque acteur impliqué dans les prises de décisions sur la gestion des grands lacs alpins possède une aire de compétence spécifique et plus ou moins étendue sur le territoire. Celle- ci est délimitée par les frontières administratives de l'Etat, la région, les intercommunalités, les communes ; pour d'autres acteurs, elle est définie par les limites naturelles des milieux remarquables comme des zones naturelles protégées, d’autres encore s’inscrivent dans les limites biophysiques des BV, ou sont centrées sur le lac et/ou son littoral. Le domaine de compétence des acteurs peut être très différent entre ceux qui gèrent des espaces

administratifs (communes, département, région...) et ceux qui gèrent des objets (une réserve

naturelle, un BV, un lac ...), des ressources (eau potable, ressources piscicoles, hydroélectricité ...), ou des activités (pêche, tourisme, assainissement ...) et de ce fait, les espaces lacustres sont perçus différemment selon les catégories d'acteurs concernés. A l'échelle étatique ou européenne, les grands lacs alpins peuvent être perçus comme des milieux naturels remarquables sur le plan écologique et de biodiversité ou peuvent évoquer des espaces touristiques majeurs ; à l'échelle régionale ce sont des pôles économiques à protéger en

• La Ligue Protectrice des Oiseaux (LPO) participe à l’acquisition de données sur les populations d'oiseaux d'eau des grands lacs alpins,

• La Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature (FRAPNA, depuis peu FNE) fait partie d'un réseau national qui œuvre en faveur de la protection de la nature par le biais d'actions variées sur le terrain et de sensibilisation aux populations sur la valeur de la nature de la région.

• L'Association pour la Sauvegarde du Léman (ASL) existe depuis les années 1970 et a eu un impact significatif dans les années 1980 auprès des élus du BV du Léman afin de les sensibiliser à l'épuration des eaux usées urbaines et la protection du lac. La particularité de cette association est d'être transfrontalière entre la Suisse et la France. Son comité comprend plusieurs spécialistes scientifiques du lac.

• L’Association Léman Passion (ALP) a vu le jour en 2017 et œuvre spécifiquement pour la protection du Léman. Elle regroupe essentiellement des passionnés, usagers, plongeurs et scientifiques et mène des actions de lutte contre les déchets sur les plages et au fond du lac, contre les espèces invasives et mène des actions de sensibilisation et de portée à connaissance des citoyens, des informations scientifiques sur le fonctionnement du Léman et son état.

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priorité, des stocks d'eau pour les usages à l'aval des lacs, et plus localement les lacs représentent une ressource majeure pour le développement territorial, et sont associés à un patrimoine naturel, culturel et social qui participe au bien-être des habitants vivant autour (Maussin 2004). En conséquence, ces grands lacs vont être associés à des représentations diverses en fonction des acteurs et vont répondre à des besoins spécifiques pouvant être antagonistes entre les différentes parties prenantes.

L'enjeu principal de la gestion réside alors dans la recherche de « compromis » entre protection et restauration des milieux naturels, respect des besoins de chaque acteur, et développement économique et territorial. Pour faire face à la complexité d'échelles, d'acteurs et enjeux, et organiser la concertation, voire la coopération entre acteurs et usagers des lacs,

des structures de coordination de la gestion sont nécessaires. Au cours du XXème siècle, de

telles structures ont été créées pour gérer spécifiquement les grands lacs alpins et leur BV. Ces structures, nous le verrons dans le chapitre 6.2 ont émergé en réponse à la même problématique de pollution, mais ne sont pas toutes de même nature. Le pouvoir décisionnel qui leur a été confié et leurs modalités d'actions sont alors très différents d'un lac à l'autre. Trois types de coordinateurs de la gouvernance des grands lacs alpins peuvent être identifiés. En premier lieu, les organismes de bassins, qui suivent une organisation spatiale délimitée par les six grands bassins hydrographiques des principaux fleuves français et permettent de coordonner la gestion à cette échelle. L'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse intervient dans la gouvernance des grands lacs alpins. Cet organisme mobilise et fédère les acteurs producteurs et consommateurs de l’espace au niveau des bassins. Elle est responsable de la planification, de l’animation des réseaux d’acteurs au travers de la construction d’accords- cadres pour définir les engagements et objectifs à atteindre. Elle fournit des moyens financiers pour la réalisation des actions de préservation et de restauration de l'eau à l'échelle des BV. Les SDAGE, SAGE et contrats de bassins (chap 1.3.4) sont les outils contractuels mis à disposition des collectivités territoriales pour appliquer localement la politique nationale/européenne en matière de gestion de la ressource en eau. Les agences de l’eau veillent à leur mise en œuvre (Maussin 2004). A l’échelle des grands lacs alpins, les agences de l’eau accompagnent les EPCI et les maîtres d’ouvrage dans la mise en place des actions de gestion et dans l’information et la sensibilisation du public à la protection des écosystèmes lacustres (www.eaurmc.fr).

Le deuxième type d’acteur coordinateur est représenté par les EPCI, structures administratives de regroupement de communes créées dans le but de mutualiser les compétences. Il existe deux communautés d’agglomérations dans le BV du lac du Bourget (Communauté d’Agglomération – CA - du lac du Bourget – CA Grand lac ; la CA de Chambéry Métropole – Cœur des Bauges), une communauté d’Agglomération (CA Grand Annecy) et une Communauté de Communes (CC – des sources du lac d’Annecy) dans le BV du lac d’Annecy, et pour le Léman : la CA de Thonon Agglomération, la CC du pays d’Evian – vallée d’Abondance, et 27 districts3 en Suisse.

Il existe des syndicats mixtes, des EPCI avec des compétences multiples spécifiques qui jouent un rôle important dans la gestion des lacs. Le Comité intersyndical pour l’Assainissement du lac du Bourget (le CISALB) possède des compétences transférées des deux agglomérations du

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BV du lac et a pour mission : (1) la préservation des milieux et le maintien du développement socio-économique en lien avec le lac, (2) la mise en réseau des acteurs, (3) la gestion et le suivi des qualités de l’eau et des milieux du lac et de son BV, (4) la coordination de la gestion piscicole, (5) la gestion de la conduite de détournement des eaux usées traitées vers le Rhône, (6) l’information à la population et l’accueil du public. Le CISALB s’appuie essentiellement sur le contrat de bassin du lac du Bourget pour organiser et planifier la gouvernance du lac, il a un rôle de maîtrise d’œuvre et de maîtrise d’ouvrage. Ces éléments en font une structure très dépendante des structures décisionnelles. Sur le lac d’Annecy, le Syndicat Intercommunal du Lac d’Annecy (le SILA) a des compétences plus étendues en matière de gestion du lac, avec un fonctionnement en régie, ce qui lui confère plus d’autonomie dans la prise de décision et la mise en place d’actions concrètes. Ce syndicat mixte a un pouvoir de décision, de maîtrise d’œuvre et d’ouvrage sur l’assainissement, l’aménagement, la protection et la restauration du lac, l’accueil du public, la gestion des déchets et de certains équipements pour la navigation et la voie verte. Il assure donc des missions de co-gouvernance avec l’Etat (représentant : DDT 74) sur le lac d’Annecy, et a un rôle important de mise en réseau des acteurs et de résolution des conflits d’usages.

Le caractère transfrontalier du Léman et l’étendue de son BV supposent l’existence d’institutions transfrontalières pour assurer les relations et coordonner les actions entre les acteurs des deux pays. La Commission Inter-gouvernementale pour la Protection des Eaux du Léman (CIPEL) est un organe franco-suisse de coordination de la politique de l’eau à l’échelle du BV du Haut-Rhône à partir de la frontière suisse à l’aval du Rhône. Son aire de compétence comprend donc le BV du Léman et celui de la rivière de l’Arve en Haute-Savoie. Les missions de la CIPEL sont (1) la veille et le suivi des eaux du Léman et du BV, (2) organiser et faire effectuer les recherches nécessaires pour déterminer la nature, l’importance, les sources des pollutions, ainsi que les actions pour y remédier, (3) mettre en réseau les parties prenantes, (4) coordonner la politique de l’eau à l’échelle du bassin lémanique, (5) informer la population, (6) émettre des recommandations de gestion aux gouvernements français et suisse. Contrairement aux CISALB et le SILA, la CIPEL n’a pas de compétences de maîtrise d’ouvrage, de maîtrise d’œuvre ou décisionnelles. Dernier acteur transfrontalier qu’il convient de mentionner ici : le Conseil du Léman, bien qu’il ait un rôle indirect sur la gestion du lac. Il s’agit d’une structure politique de concertation franco-suisse visant à promouvoir les relations entre les deux pays et initier des projets en coopération dans le domaine de l’économie, le tourisme, la mobilité, la jeunesse et la culture et l’environnement.

A noter que, bien que les grands lacs alpins soient associés au système fluvial du Rhône, il n’existe pas de coordination franco-suisse à l’échelle du fleuve. Il est géré selon une vision sectorielle par les deux concessionnaires d’hydro-électricité français et suisse du fleuve : la

Compagnie Nationale du Rhône (CNR) en France et les Services Industriels de Genève (SIG)

en Suisse. En ce sens, le fleuve a pendant longtemps été considéré comme un objet de production hydroélectrique. Cependant, une gestion intégrée à l’échelle du BV du Rhône prenant en compte les enjeux du fleuve et du lac, devient de plus en plus nécessaire du fait des changements climatiques et de leurs impacts à venir sur les régimes hydrauliques (Pflieger and Brethaut 2012).

Les acteurs que nous venons de présenter sont au centre de la gouvernance des grands lacs alpins. C’est autour d’eux que gravitent les parties prenantes de la gestion, y compris les représentants d’usagers et les informations mobilisées pour la restauration des grands lacs

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alpins. Certains auteurs ont proposé des termes pour qualifier ces organismes à l’interface science – gestion et science – société. Les « boundary organization » (organisations frontières) sont des structures coordinatrices de la gestion, dont le rôle est de mettre en relation les acteurs, fournir une plateforme d’échanges pour orienter les prises de décisions et piloter le suivi des écosystèmes (Guston 2001, Gustafsson and Lidskog 2018). Afin de mener à bien ce rôle de coordination, les structures mettent en place des outils de coordination de la gestion. Les « boundary objects and standardized packages » (objets frontière et « ensembles/paquets » standardisés) sont des outils opérationnels qui permettent de lier deux mondes sociaux différents, comme le monde scientifique et les décideurs ou entre les décideurs et les populations (ex : rapports de synthèse des suivis, plans d’actions, moyens numériques de partages de données, modèles conceptuels…). La mobilisation de ces outils dans la gouvernance d’un grand lac facilite les collaborations : ils permettent de synthétiser les connaissances et servent d’outils de référence sur lesquels les acteurs peuvent s’appuyer pour leurs délibérations, prendre des décisions et planifier des actions (Gustafsson and Lidskog 2018).

Les coordinateurs de la gestion sont consultés dans le cadre de cette étude, du fait de leur rôle structurant dans l’histoire de la lutte contre les pollutions et le fonctionnement des territoires lacustres.

2.4 Le lac Saint-Pierre : un site d’étude des territoires