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Saint-Hydulphe et les diocèses anciens dont elles dépendent

au XVIII

ème

siècle,

d’après Gérard MICHAUX, La Congrégation bénédictine de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe, de la commission des Réguliers à la suppression des ordres religieux,

40 1.2.5. La guerre de Trente Ans (1631 à 1661).

La guerre de Trente Ans, qui éclate en 1618, n’atteint la Lorraine et le Barrois qu’en 1631 et ne s’y termine qu’en 1661 99. L’implication des duchés est causée, en 1632, par le mariage secret, à Nancy, de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII et héritier du trône de France - Louis XIV ne nait qu’en 1638 - avec la princesse Marguerite de Lorraine, sœur du duc Charles IV. Ce n’est qu’un prétexte. Durant cette guerre, le duc Charles IV (duc de 1624 à 1675), allié de l’Empire et des Espagnols contre la France, perd, recouvre puis reperd ses états. Après 1661, l’occupation française - prélude à une possible annexion100 - se poursuit, à cause des guerres de Hollande et de la Ligue d’Augsbourg, jusqu’en 1698. A cette date, la France étant en position d’infériorité, le petit-neveu de Charles IV, Léopold, petit-fils de Nicolas-François de Lorraine - l’abbé de Saint-Mihiel de 1626 à 1634 - devient duc de Lorraine et de Bar (1698-1729), le traité de Ryswick ayant redonné leur indépendance aux duchés.

La guerre de Trente Ans fut effroyable pour la Lorraine et le Barrois : la moitié au moins de la population y périt - 59 % pour la région de Saint-Mihiel et le plateau de la Woëvre, à l’est de celle-ci 101 - et les ruines matérielles furent énormes. Saint-Mihiel, place de deuxième importance mais siège de la cour de justice du duché de Bar, est prise plusieurs fois par les troupes françaises et tombe définitivement le 3 octobre 1635. Louis XIII, qui honore le siège de sa présence, manque y être tué. Cette prise permet au cardinal Bichi, abbé commendataire de Saint-Mihiel, d’entrer dans la ville à la suite du roi de France ! Les officiers lorrains sont envoyés à la Bastille et certains combattants aux galères 102. Des notables sont pris en otages et rendus contre une forte rançon 103, pour obliger la ville à verser à la France une énorme contribution de guerre : 50 000 pistoles d’or « au soleil », soit 250 000 livres. Au final, le versement de 447 318 francs barrois est réparti entre les religieux, religieuses et ecclésiastiques séculiers, la noblesse et les bourgeois 104. Le « traité de 1620 », passé entre l’abbé commendataire et les religieux, montre alors son utilité : « M. l’Abbé de St. Mihiel, alors le Cardinal Picolomini [105], fut cottisé [sic] à 25000. francs, & les Religieux à 20000. francs. Mais suivant le traité fait avec le Prince Henri, un des Prédecesseurs de cet Abbé, les décimes & autres impositions qui devoient concerner le Monastère de St. Mihiel, retombans sur l’Abbé seul, le Cardinal fut obligé de payer les deux cottes. 106 »

Le cardinal Bichi ne resta pas à Saint-Mihiel. Sa mense y fut gérée par ses hommes d’affaires jusqu’à sa mort, à Rome, le 24 mai 1657 107. Le même jour, le pape nomma abbé

99 GABER (Stéphane), La Lorraine meurtrie, Nancy, Université de Nancy II, 1979, 112 p. ; et MARTIN (Philippe), Une guerre de Trente Ans en Lorraine. 1631-1661, Metz, Editions Serpenoise, 2002, 384 p.

100 L’Intendance de Lorraine et Barrois à la fin du XVIIème siècle, édition critique du mémoire « Pour l’instruction du duc de Bourgogne » par Marie-José Laperche-Fournel, Paris, Editions du CTHS, 2006, 351 p., ici p. 173, note 84

101 LAPERCHE-FOURNEL (Marie-José), La Population du duché de Lorraine de 1580 à 1720, thèse de l’Université de Nancy 2, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1985

102 MARTIN (Philippe), « Entre Saint-Mihiel et Fresnes : la Woëvre dans la tourmente, 1631-1661 », Meuse en guerres, XXXVIèmes Journées d’études meusiennes, Fresnes-en-Woëvre, 4-5 octobre 2008, publié sous la direction de Philippe Martin et Noëlle Cazin, Bar-le-Duc, Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc, 2010, p. 59-72, ici p. 61-64

103 DUMONT, op. cit., t. II, p. 48-52

104 Les Sammiellois commirent l’énorme erreur de demander aux Français s’il fallait qu’ils paient cette rançon en monnaie de compte ou d’or. Le coût total passa ainsi pour la ville à la somme colossale de 416 666 francs barrois et, au total, de 447 318 francs barrois, à cause des emprunts qu’ils durent faire à l’étranger. Cf. JACQUOT, op. cit.

105 Erreur de dom de Lisle : il s’agit du cardinal Bichi.

106 LISLE, op. cit., p. 304

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Caelius Picolomini, qui était cardinal-archevêque de Césarée 108 et nonce en France comme son prédécesseur. Lui non plus ne résida pas à Saint-Mihiel, qui ne connut que les administrateurs de ses bénéfices 109. Le cardinal Picolomini demanda lui-même à être dépossédé de l’abbaye, pour une bonne raison qu’explique dom de Lisle : « Celui-cy pressé de payer la pension de 1200. ducats qu’Urbain VIII.[110] avoit réservée sur cette Abbaye au Duc Nicolas-François, voyant en même tems tous ses revenus saisis pour les arrérages de cette pension, remit son Abbaye de St. Mihiel entre les mains d’Alexandre VII. [111] & pria ce Pape d’en disposer, en lui créant néanmoins sur cette Abbaye une pension de 750. écus romains. Dom Henri Hennezon Religieux réformé de la Congrégation de saint Vanne & de saint Hidulphe eut la préférence, à la recommandation du Cardinal de Retz, avec qui il étoit alors en qualité de son Auditeur. 112 »

Ceci se passait à Rome en 1666, où le cardinal de Retz avait emmené dom Henri Hennezon comme auditeur et théologien. C’est donc à un cardinal sulfureux, mais aussi bienfaiteur insigne de l’abbaye et de la bibliothèque de Saint-Mihiel, que Saint-Michel de Saint-Mihiel doit sa remise en règle et la nomination de dom Hennezon. Quant à l’ex- cardinal et abbé de Saint-Mihiel, l’éphémère duc Nicolas-François, réfugié à Vienne, en Autriche, père de plusieurs enfants - dont Charles V, né en 1643, duc nominal de Lorraine et de Bar de 1675 à sa mort en 1690, « un des plus grands Héros de l’univers » 113 -, il devint veuf en 1648. Il ne reprit pas son chapeau de cardinal, mais rentra en Lorraine. En 1661, il devient abbé de la fameuse abbaye Saint-Pierre de Senones, dans les Vosges, par démission qu’en fait son fils, le futur Charles V. Il la résigne, contre pension, à un ancien bénédictin de Saint-Mihiel 114 en 1668 et meurt à Nancy le 27 janvier 1670. L’abbaye de Saint-Mihiel cessa donc aussi de lui payer pension à cette date ! « C’était un Prince d’une taille avantageuse, d’un accuëil affable, civil, sage, prudent, savant, d’un esprit délicat & adroit de sa personne en toutes sortes d’exercices », écrit dom de Lisle 115.

L’abbaye avait souffert énormément, moralement et matériellement au cours de ces années. Les prieurs s’y succèdent rapidement : sept prieurs et seize sous-prieurs, presque tous différents - signe de malaise -, de 1637, année de la fuite de dom Cachet, à 1660, année de l’arrivée de dom Hennezon. Il n’est plus question de longues supériorités ! Le chapitre général, qui nomme les supérieurs, n’est d’ailleurs pas toujours général. Quant au noviciat, alors que, depuis 1609, il y a chaque année (sauf en 1611) quelques profès à Saint-Mihiel, il y en a seulement deux en décembre 1635, puis un en 1645, trois en 1646, trois en 1650 et 1651, cinq en 1654, deux en 1655, dix en 1656, neuf en 1661 et 1662, et cinq en 1663. La paix ramène donc des novices à Saint-Mihiel alors que dom Henri Hennezon, lui-même, issu d’une famille noble de Saint-Mihiel, baptisé le 16 janvier 1618, était allé faire, à cause de la guerre,

108 Césarée, ville de Palestine détruite au XIIIème siècle.

109 Pouillé, op. cit., t. III, p. 312

110 Urbain VIII, pape de 1623 à 1644, connu pour son népotisme, la condamnation de Galilée et une « politique européenne stupide », cf. MERCIER (Jacques), Vingt siècles d’histoire du Vatican, Paris, Lavauzelle, 1978, 530 p., ici, p. 253

111 Alexandre VII, pape de 1655 à 1667, « un fort pauvre homme », aurait dit de lui le cardinal de Retz. C’est lui qui décida, en 1665, d’obliger le clergé à signer le Formulaire condamnant le jansénisme, cf. MERCIER, op. cit., p. 254

112 LISLE, op. cit., p. 313

113 Ibidem, p. 310

114 Dom Joachim Vivin, lorrain, né au plus tard en 1620, profès à Saint-Pierre d’Hautvillers le 2 juin 1636, mort à Saint-Pierre de Senones le 24 août 1684, Matricula, op. cit., n° 462. Il est sous-prieur de Saint-Michel de Saint-Mihiel en 1656-1657, puis prieur de Saint-Pierre de Senones de 1659 à 1663, de 1666 à 1669, de 1671 à 1676, de 1678 à 1683 et en 1684, Catalogue des religieux en charge, op. cit.

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ses études en Franche-Comté, puis son noviciat et sa profession religieuse, le 8 juillet 1635, à l’abbaye de Montroland 116, toujours en Franche-Comté.

Dans la congrégation, il y a 15 professions en moyenne de 1604 à 1789 : plus précisément, 30 en 1635 et 19 en 1636, années où l’on hâte les professions, puis deux en 1637, aucune en 1638. La reprise est très lente, ne dépasse la moyenne de 15 qu’en 1655, atteint 30 en 1659 et 1661, retombe puis remonte en dents de scie jusqu’à 35, en 1677, chiffre-record sur 180 ans 117. Conséquence inévitable de cet afflux : les fuites et les apostasies culminent aussi dans les années qui suivent ! On compte, de 1656 à 1707 (52 ans sur 180 ans - durée de la vie de la congrégation - soit 35 % de cette vie) : 42 fuites (sur 66 de 1610 à 1789, soit 64 %) et 19 apostasies (sur 35 de 1610 à 1789, soit 54 %). Par contre, il n’y a que 4 expulsions (sur 19 de 1610 à 1789, soit 21 %). Notons que, de 1774 à 1789, il ne semble pas qu’il y ait de ces départs dans les rangs de la congrégation 118.

On ne peut faire le même calcul pour l’abbaye de Saint-Mihiel seule, puisque les religieux font profession dans la congrégation entière (pratiquement dans une de ses trois provinces) et non dans une abbaye particulière, et que c’est le chapitre général qui choisit les lieux d’implantation des noviciats - quelques unités pour toute la congrégation - et les change régulièrement. De plus, la matricule de la congrégation ne donne pas toujours les dates de ces événements (surtout au XVIIIème siècle) et jamais le nom du monastère où ils se produisent. Remarquons simplement que, parmi les profès de l’abbaye Saint-Michel de Saint-Mihiel ou les natifs de la ville, on relève, de 1640 à 1759 environ, 9 expulsions, 8 fuites et 4 apostasies. Les expulsions ont lieu de 1640 à 1673, plus une en 1716, et semblent concerner des religieux de 45 ans à 60 ans. Les fuites sont plus tardives : 1665, 1698 et de 1724 à 1759, et concernent des religieux plus jeunes, plus un convers en 1762. Les apostasies ont lieu dans la 2ème moitié du XVIIème siècle et concernent des jeunes gens. L’une d’entre elles est un peu documentée, par C.-E. Dumont qui, pour une fois, cite ses sources : « Le journal de Charles Ancillon, récemment publié, constate qu’en 1670, le 17 octobre, Charles Jenin, natif de Saint-Mihiel, jadis moine bénédictin de ce lieu, fut pendu puis brûlé à Metz, pour avoir dérobé un ciboire qu’il avait essayé de vendre à un juif, qui le dénonça » 119! Ce religieux pourrait être Jérôme Jannin, né à Lérouville au plus tard en 1648 120, profès de Saint-Evre de Toul le 19 juin 1664, apostat (sans date) d’après la matricule 121.

116 Notre-Dame-de-Montroland, abbaye agrégée à la congrégation en 1628, au nord de Dôle (Jura), à plus de 250 km au sud de Saint-Mihiel.

117 Matricula, op. cit.

118 Ibidem.

119 DUMONT, op. cit., t. III, p. 234

120 Localité située à 13 km au sud de Saint-Mihiel, sur la rive gauche de la Meuse, alors principauté de Commercy, diocèse ancien de Toul, aujourd’hui Meuse et diocèse de Verdun.

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5La Lorraine et le Barrois du XVI

ème

au XVIII

ème

siècle,

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1.2.6. L’abbatiat de dom Henri Hennezon (1666 à 1689).

Dom Henri Hennezon 122, né à Saint-Mihiel et baptisé le 16 janvier 1618, profès de Notre-Dame de Montroland (Franche-Comté et diocèse ancien de Besançon, aujourd’hui Doubs) le 8 juillet 1635, est élu abbé régulier de Saint-Mihiel en 1666, mais est aussi prieur de cette abbaye de 1660 à 1664, 1667 à 1672, 1673 à 1674, 1675 à 1681, 1682 à 1687 et 1688 à sa mort 123. Ceci était possible dans la congrégation de Saint-Vanne et c’était un moyen, pour le chapitre général, de conforter l’union avec les abbés réguliers. L’abbaye de Saint-Mihiel était en règle, c’est-à-dire que son abbé était élu par les religieux et confirmé par le pape. De plus il est élu sept fois président général annuel de la congrégation de Saint-Vanne.

Dom Hennezon fut considéré par les bénédictins de l’abbaye de Saint-Mihiel comme le modèle des abbés jusqu’à la suppression de l’abbaye en 1790. Et il l’est toujours par les historiens et les habitants de Saint-Mihiel jusqu’à nos jours compris, ce qui dénote une certaine méconnaissance du personnage, certes restaurateur du spirituel et du temporel de l’abbaye après la guerre de Trente Ans, - du point de vue matériel, la restauration des bâtiments de l’abbaye commença en 1679 et dura un siècle -, mais aussi conseiller politique très prudent de la famille ducale, directeur de conscience du cardinal de Retz et de quelques grands personnages, et surtout janséniste très strict 124.

1.2.7. L’exil du cardinal de Retz dans sa principauté de Commercy 1662-1679).

Jean-François, Paul de Gondi, cardinal de Retz (1613-1679) est l’un des grands vaincus de la Fronde, cette période de bouleversements politiques qui marqua profondément la France sous la régence de la reine Anne d’Autriche, mère du jeune roi Louis XIV, et le ministère du cardinal Mazarin. Il venait d’être nommé cardinal quand la reprise définitive du pouvoir par la reine et le ministre, en 1652, entraîna son arrestation et son envoi au château de Vincennes. Le cardinal de Retz s’évada du château de Nantes en 1654 et entreprit, plus ou moins pourchassé par les agents français et soutenu financièrement par les curés jansénistes de Paris, une errance de plusieurs années en Europe. La situation était embarrassante pour l’Église et la France, car il était en droit archevêque de Paris, puisque son oncle, dont il était le coadjuteur, était mort alors qu’il était encore emprisonné à Vincennes. La mort de Mazarin, la prise de pouvoir personnel par Louis XIV, en 1661, et le tassement des passions permirent de trouver une solution : le cardinal de Retz renonça à l’archevêché de Paris contre dédommagements, dont l’attribution de la prestigieuse abbaye de Saint-Denis abritant les tombeaux des rois de France (celle-là même qui avait fondé l’abbaye de Saint-Mihiel au VIIIème siècle) et donc de revenus décents pour un homme de sa condition et de sa qualité.

122 TAVENEAUX, Le Jansénisme en Lorraine, 1640-1789, op. cit., p. 132-135 et « Un bénédictin cartésien, dom Henry Hennezon, abbé de Saint-Mihiel, confesseur du cardinal de Retz », Lotharingia, vol. VII, 1997, p. 315-329

123 Pouillé du diocèse de Verdun, op. cit., t. III, p. 313 ; et Matricula, op. cit., n° 440

124 LISLE, op. cit., p. 313- 332 ; DUMONT, op. cit., t. II, p. 105-133 et t. 4, p. 367-368 ; TAVENEAUX, Le Jansénisme en Lorraine, op. cit., p. 132-135 ; TAVENEAUX, « Un bénédictin cartésien, dom Henri Hennezon, abbé de Saint-Mihiel, confesseur du cardinal de Retz », op. cit. ; et PERNOT (Michel), « Le cardinal de Retz et les bénédictins vannistes », Autour de la congrégation de Saint-Vanne et de Saint-Hydulphe, l’idée de réforme religieuse en Lorraine, XXXIIèmes Journées d’études meusiennes, Verdun, 2 octobre 2004, Saint-Mihiel, 3 octobre 2004, publié sous la direction de Philippe Martin et Noëlle Cazin, Bar-le-Duc, Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc, 2006, 176 p., ici p. 117-128

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6Dom Henri Hennezon,

(Saint-Mihiel, 16 janvier 1618 - 20 septembre 1689),

abbé de Saint-Michel de Saint-Mihiel de 1666 à 1689,

portrait du XVIIème siècle, collection particulière.

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Il n’eut pas l’autorisation du roi de résider à Paris et alla s’établir, non loin de la France, dans sa petite principauté de Commercy et Euville 125 (sur la rive droite de la Meuse, à dix-huit kilomètres au sud et en amont de Saint-Mihiel), héritée de sa famille maternelle 126.

Le cardinal de Retz, prêtre malgré lui, parce que l’archevêché de Paris « était dans la famille » et que celui de ses frères aînés qui devait « le reprendre » était mort, était un homme d’une grande intelligence et d’une grande culture, y compris religieuse car il avait été formé au séminaire de Saint-Sulpice. Pour occuper son exil, il se rapprocha des bénédictins du prieuré Notre-Dame du Breuil à Commercy, où il y avait un petit collège 127, et de l’abbaye de Saint-Mihiel. L’orientation janséniste de ces religieux ne le choquait pas, les jansénistes le soutenant, alors qu’il ne l’était pas, mais parce qu’il était instruit en matières religieuses, qu’il était l’archevêque de Paris de droit canonique, qu’il célébrait dignement et surtout, peut-être, qu’il était opposé à la conception de l’Etat tout-puissant incarné dans la monarchie absolue à la française. Le cardinal, arrivé en 1662 dans sa petite principauté, fit donc connaissance d’un voisin, dom Henri Hennezon qui, nommé prieur de l’abbaye de Saint-Mihiel en 1660, venait de revenir dans sa ville natale. Nous avons déjà dit qu’il l’emmena à Rome, quand il y alla pour un conclave, et en profita pour faire remettre l’abbaye de Saint-Mihiel en règle et le faire élever à la dignité abbatiale. Dom Hennezon continua à être nommé prieur de l’abbaye, alternativement avec des religieux de confiance, jusqu’à sa mort en 1689. Il en fut donc le maître absolu pendant vingt-trois ans. Et il devint le directeur de conscience du cardinal de Retz qui, sous son influence 128, mit de l’ordre dans ses affaires spirituelles et temporelles, qui toutes en avaient bien besoin ! Dans cette atmosphère et parce qu’il vieillissait, en 1675, le cardinal de Retz en vint à vouloir finir ses jours à l’abbaye de Saint-Mihiel !

L’époque était à ce genre de retraite glorieuse : l’abbé de Rancé se retira, après la mort de sa maitresse, dans son abbaye de La Trappe, qu’il réforma et dont la postérité vit toujours ; la duchesse de La Vallière, maitresse officielle délaissée de Louis XIV, entra au Carmel et y resta jusqu’à sa mort ; et la duchesse de Guéméné, ancienne maitresse du cardinal de Retz une des plus aimées - se mit sous la direction janséniste des solitaires de Port-Royal 129. Le cardinal de Retz ne resta que l’été 1675 à Saint-Mihiel, dans la maison abbatiale. Il avait fait savoir au roi de France qu’il souhaitait se défaire du chapeau de cardinal et celui-ci n’y voyait aucun inconvénient, au contraire, car il y avait peu de cardinaux français et ceux-ci, lors des conclaves, devaient être des hommes de confiance suivant strictement, pour leur vote, les instructions de leur souverain. Le pape, dont il fallait l’autorisation, fit un peu attendre sa réponse, puis refusa. Le cardinal de Retz sortit donc de Saint-Mihiel « recardinalisé ». Madame de Sévigné, une de ses plus fidèles amies - il était le parrain de sa fille, madame de Grignan qui, elle, ne l’aimait pas - estime qu’il en fut soulagé car, sa santé s’étant améliorée grâce à la bonne hygiène de vie suivie à l’abbaye, il commençait à s’y ennuyer 130. C’est à cette sortie ratée de la scène que l’on doit le début de la rédaction de ses fameux mémoires,

125 LISLE, op. cit., p. 315-333 ; DUMONT (Charles-Emmanuel), Histoire de la ville et des seigneurs de Commercy, Bar-le-Duc, 1843, 3 vol. ; et BERTRAND (Albert), « Commercy d’hier à aujourd’hui », Dossiers documentaires, 1980, 67 p.

126 BERTIERE (Simone), La Vie du cardinal de Retz, Paris, Editions de Fallois, 1990, 647 p., ici, p. 475-477

127 Le prieuré bénédictin Notre-Dame du Breuil, voisin de la ville de Commercy, agrégé à la congrégation de Saint-Vanne en 1621. Cf. TAVENEAUX, Le Jansénisme en Lorraine, op. cit., p. 120-123. Dom Augustin Calmet fit ses études dans ce petit collège avant d’aller à l’Université jésuite de Pont-à-Mousson.