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AU SEIN DES INSTITUTIONS BELGES

3.3. L A REPRÉSENTATION DE LA RÉGION DE LANGUE ALLEMANDE AU SEIN DE L ’A UTORITÉ FÉDÉRALE

3.3.1. Le Sénat et la Chambre des représentants

Au sein du Parlement fédéral, les citoyens de la région de langue allemande sont représentés par un sénateur. Malgré une réforme assez profonde de la composition du Sénat 186

, la règle selon laquelle le Parlement de la Communauté germanophone désigne un membre en son sein pour siéger au Sénat a subsisté 187

. Proportionnellement, la Communauté germanophone y est même légèrement mieux représentée depuis 2014, puisqu’elle possède au moins 188

1 siège sur 60 (1,66 %) au lieu d’1 siège sur 71 (1,41 %). En revanche, on peut considérer que la sensible réduction des compétences législatives du Sénat déforce la représentation de la Communauté germanophone au niveau fédéral : celle-ci y est toujours représentée, mais dans un cénacle significativement moins puissant qu’autrefois 189

. L’actuel titulaire de ce siège est Alexander Miesen (PFF) ; il échangera ce poste avec Karl-Heinz Lambertz (SP), actuel président du Parlement de la Communauté germanophone, en septembre 2016 190

.

En revanche, les habitants de la région de langue allemande n’ont aucune garantie d’être représentés au sein de la Chambre des représentants, qui est pourtant l’assemblée principale dans un système parlementaire devenu quasi-monocaméral 191. Pour l’élection de la

Chambre des représentants, il n’existe en effet pas de circonscription propre à la région de langue allemande ; celle-ci est intégrée dans la circonscription de Liège (qui correspond au territoire de la province de Liège). La présence de germanophones à la Chambre dépend donc des aléas de la confection des listes par les partis et du résultat des élections. Dans ce contexte, une formation politique spécifiquement germanophone (c’est-à-dire un parti qui s’adresserait uniquement à l’électorat des communes de langue allemande)

186

Il n’y a désormais plus d’élections directes pour le Sénat. Parmi ses 60 membres, 50 sont désignés par les Parlements des entités fédérées et 10 sont cooptés par les 50 premiers (cf. le nouvel article 67, § 1er

, al. 1er

, de la Constitution). Au sujet de la réforme du Sénat, cf. C SÄGESSER,C.ISTASSE, « Le Sénat et ses réformes successives », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2219-2220, 2014 ; R. DANDOY, J. DODEIGNE, M. REUCHAMPS, A. VANDELEENE, « The new Belgian Senate: A (dis)continued evolution of federalism in Belgium? », Representation, à paraître en novembre 2015.

187

Article 67, § 1er , al. 1er

, 5° de la Constitution.

188

Un habitant de la région de langue allemande, élu député wallon, pourrait en outre être désigné par le Parlement wallon pour siéger au Sénat.

189

En principe, les lois fédérales sont désormais adoptées par la Chambre des représentants et par le Roi (article 74 de la Constitution) ; le Sénat n’intervient que dans les matières énumérées aux articles 77 (compétence du Sénat sur un pied d’égalité avec la Chambre) et 78 (compétence d’évocation du Sénat et pouvoir du dernier mot laissé à la Chambre).

190

Sur le Sénat après la sixième réforme de l’État, cf. notamment K. MUYLLE, « De hervorming van de Senaat en de samenvallende verkiezingen, of hoe de ene hervorming de andere dreigt ongedaan te maken »,

Tijdschrift voor Bestuurswetenschappen en Publiekrecht, 2013, p. 479 ; K. STANGHERLIN, « De Duitstalige gemeenschap anno 2014 », in A. ALEN et al. (dir.), Het federale België na de zesde Staatshervorming, op. cit., p. 305-321.

191

Sur la question de la représentation des habitants de la région de langue allemande à la Chambre des représentants, cf. aussi K. MUYLLE, « La représentation de la Communauté germanophone au sein des institutions fédérales : entre la logique de la participation et celle de la protection d’une minorité », in K. STANGHERLIN (dir.), La Communauté germanophone de Belgique - Die Deutschsprachige Gemeinschaft

Belgiens, op. cit., p. 243-286 ; K. MUYLLE, S. THOMAS, « L’emploi de la langue allemande au Parlement fédéral et au Parlement wallon », in K. STANGHERLIN,S. FÖRSTER (dir.), La Communauté germanophone

n’aurait pratiquement aucune chance de franchir le seuil électoral légal 192

, qui consiste en l’espèce à obtenir au moins 5 % des voix exprimées par l’ensemble des électeurs de la circonscription de Liège. En effet, si l’on se réfère aux chiffres des élections fédérales du 25 mai 2014, il s’avère que les 34 946 votes valablement émis par des électeurs de la région de langue allemande représentaient seulement 5,58 % des 626 365 votes valables exprimés dans la circonscription de Liège. Le seuil électoral n’aurait donc été franchi par un parti qui ne se serait adressé qu’aux électeurs des neuf communes germanophones que si au moins 31 319 électeurs, soit 89,62 % des électeurs de la région de langue allemande, avaient soutenu ce parti, ce qui apparaît fort peu réaliste 193

. Les membres de la Chambre des représentants provenant de la région de langue allemande, lorsqu’il y en a au sein de cette assemblée, sont donc en réalité toujours élus comme candidats d’un parti traditionnel qui les a fait figurer en bonne place sur la liste déposée pour la circonscription de Liège. En pratique, la Communauté germanophone s’est retrouvée sans député fédéral entre 2003 et 2007. Depuis 2007, Kattrin Jadin (PFF) y siège de manière continue.

La dernière réforme de l’État n’a pas apporté de satisfaction à la requête des germanophones, qui espèrent depuis longtemps disposer d’une représentation garantie lors des élections pour la Chambre des représentants. Le Conseil de la Communauté germanophone a en effet déjà formulé cette revendication dans sa note du 26 octobre 1998 évoquée précédemment, sans pour autant préciser alors comment il souhaitait réaliser cette représentation en termes institutionnels 194. Dans une résolution du 17 février 2003,

le Conseil a explicitement affirmé qu’il souhaitait non seulement que la Communauté germanophone soit représentée au Sénat, mais également que les habitants de la région de langue allemande bénéficient d’une représentation garantie d’au moins deux députés fédéraux à la Chambre 195

. Il ressort de nos entretiens avec les responsables politiques germanophones que cette revendication est toujours d’actualité ; certains laissent entendre que cette revendication passerait par l’instauration d’une circonscription propre à la région de langue allemande pour les élections fédérales. La réalisation de ce projet pose cependant des difficultés, notamment sur le plan juridique, en ce qu’une circonscription électorale qui aurait l’étendue de la région de langue allemande ne se verrait en principe attribuer qu’un seul siège en vertu de l’article 63 de la Constitution 196

. Or, l’article 62, alinéa 2, de la Constitution impose l’organisation d’un scrutin proportionnel pour l’élection des députés fédéraux, ce qui est incompatible avec l’existence d’une circonscription uninominale. C’est ce que la Cour constitutionnelle, alors Cour d’arbitrage, a jugé en 1994

192

M. REUCHAMPS, F. ONCLIN, D. CALUWAERTS, P. BAUDEWYNS, « Raising the Threshold, Fighting Fragmentation? Mechanical and Psychological Effects of the Legal Electoral Threshold in Belgium »,

West European Politics, volume 37, n° 5, 2014, p. 1087-1107. 193

Et encore, ceci ne garantit pas l’obtention d’un siège : il est en outre nécessaire de franchir le seuil électoral naturel, qui peut être plus élevé.

194

Conseil de la Communauté germanophone, Note des Rates der Deutschsprachigen Gemeinschaft über

die Bewertung der augenblicklichen föderalen Staatsstruktur, DOC 122-2, 26 octobre 1998, p. 11. 195

Conseil de la Communauté germanophone, Resolution an die Föderalregierung und an das föderale Parlament

in Bezug auf die Erklärung zur Revision der Verfassung, DOC 125-1, 17 février 2003, p. 32. 196

Cette disposition prévoit que les 150 sièges de la Chambre des représentants sont répartis entre les circonscriptions électorales au prorata du nombre de leurs habitants. Or, avec 0,68 % de la population belge (cf. supra), la région de langue allemande ne pourrait pas obtenir plus d’un siège en application du droit commun.

en réponse à un recours introduit par des citoyens qui se plaignait de l’absence d’une circonscription germanophone pour l’élection de la Chambre des représentants 197.

La souplesse qui a été admise pour le cas du Parlement européen (cf. supra) ne pourrait en principe se concevoir sous l’empire de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution 198.

On observe d’ailleurs que, lorsque le mode de scrutin proportionnel a été instauré en 1899, le législateur a veillé à supprimer toutes les circonscriptions uninominales qui avaient subsisté jusqu’alors 199

. Certes, on peut soutenir qu’il conviendrait de tenir compte de la spécificité de la région de langue allemande pour déroger au principe et instaurer exceptionnellement une circonscription uninominale ; le choix de s’engager dans cette voie reviendrait toutefois sans doute au constituant, de sorte que le législateur ne pourrait instaurer une telle mesure qu’après une révision adéquate de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution.

Une solution alternative permettrait d’offrir une représentation garantie aux citoyens des communes germanophones sans renoncer au système proportionnel : il s’agirait de créer une circonscription plurinominale pour la région de langue allemande. La réalisation de cette idée aurait l’avantage de favoriser l’accès à la Chambre des représentants de candidats germanophones issus de plusieurs partis et de diversifier ainsi la représentation des citoyens de langue allemande. Elle impliquerait cependant une surreprésentation des germanophones au sein de la chambre basse 200

et nécessiterait pour cette raison une révision de l’article 63 de la Constitution 201. Une autre solution envisageable consisterait

à élire un seul député fédéral dans la région de langue allemande selon un mode de scrutin différent, connu sous le nom de « vote alternatif », qui permet aux électeurs de classer les candidats dans l’ordre de leur préférence et de prendre en compte, le cas échéant, les choix secondaires qu’ils ont émis 202

.

197

Selon la Cour, le principe de la représentation proportionnelle « s’oppose à ce qu’on ne puisse n’élire qu’un seul député dans une circonscription électorale déterminée, ce qui serait inévitablement le cas d’une circonscription électorale distincte pour la région de langue allemande » (Cour d’arbitrage, arrêt n° 90/94, 22 décembre 1994, B.3.4).

198

En sens contraire : K. MUYLLE, « Le mode de scrutin », op. cit., p. 317-322.

199

Chaque circonscription comptait alors au moins 3 sièges. À ce sujet, cf. F. BOUHON, Droit électoral et

principe d’égalité. L’élection des assemblées législatives en droit allemand, belge et britannique, Bruxelles,

Bruylant, 2014, p. 392-393.

200

Tant que le nombre de députés est fixé à 150 et que la population de la région de langue allemande se maintient dans le même ordre de grandeur par rapport à la population de l’ensemble du pays, l’octroi de plus d’un siège à une potentielle circonscription germanophone impliquerait une surreprésentation de ses habitants.

201

Une nouvelle version de cet article pourrait ainsi prévoir que 2 ou 3 sièges sur les 150 reviennent à la circonscription germanophone et organiser une répartition des sièges restants (dans notre exemple, ils seraient 148 ou 147) entre les autres circonscriptions du pays. C’est une formule de ce type qui est consacrée par l’article 10, § 3, de la loi du 23 mars 1989 relative à l’élection du Parlement européen (Moniteur belge, 25 mars 1989).

202

Lors du dépouillement, on ne prend d’abord en considération que les premières préférences émises par les électeurs ; si un candidat obtient la majorité absolue sur cette base, les opérations électorales sont terminées et ce dernier est élu. Dans le cas contraire, on élimine le candidat qui est arrivé en dernière position et on répartit les bulletins attribués à ce candidat entre tous les autres en fonction des deuxièmes préférences indiquées sur ces bulletins. On procède de la sorte jusqu’à ce qu’un candidat obtienne une majorité absolue de bulletins en sa faveur. En réalité, ce système original est construit dans un esprit semblable à celui du scrutin à plusieurs tours, à la différence près que les électeurs ne se déplacent qu’une seule fois et expriment sur le même bulletin de vote leur premier choix ainsi que leurs autres préférences dont il sera éventuellement tenu compte.

Pour compléter le propos, il faut encore rappeler que la Constitution distingue en son article 43 deux groupes linguistiques dans chacune des chambres du Parlement fédéral : le groupe linguistique français et le groupe linguistique néerlandais. D’emblée, on comprend que les élus fédéraux germanophones ne bénéficient pas d’un statut propre, comparable à celui de leurs homologues francophones et néerlandophones. Plus précisément, les membres de la Chambre des représentants qui ont été élus dans l’arrondissement de Verviers (qui inclut la région de langue allemande) font automatiquement partie du groupe linguistique français 203. Contrairement aux députés élus dans la région bilingue de

Bruxelles-Capitale, la langue dans laquelle ils prêtent serment lors de leur entrée en fonction n’a aucune influence sur leur appartenance à un groupe linguistique 204. Au

Sénat, où il n’existe pas non plus de groupe linguistique allemand, le sénateur désigné par le Parlement de la Communauté germanophone (cf. infra) n’appartient à aucun des deux groupes linguistiques 205

. Au-delà de l’aspect symbolique que présente la question, la situation décrite a également des effets pratiques importants. Ainsi, le sénateur désigné par le Parlement de la Communauté germanophone, en tant qu’il est exclu de tout groupe linguistique, ne peut pas utilement prendre part à l’activation de la sonnette d’alarme qui requiert le soutien de trois quarts des membres d’un groupe linguistique 206

. Quant aux éventuels députés fédéraux issus de la région de langue allemande, ils n’ont l’opportunité de le faire qu’avec des députés du groupe linguistique français dont ils font nécessairement partie.

Par ailleurs, la position particulière des parlementaires fédéraux germanophones par rapport aux groupes linguistiques se ressent dans le cadre de l’élaboration des lois spéciales. Pour être valable, une loi spéciale doit être adoptée à la majorité des suffrages dans chaque groupe linguistique de chacune des chambres, à la condition que la majorité des membres de chaque groupe se trouve réunie (question de quorum) et pour autant que le total des votes positifs émis dans les deux groupes linguistiques atteigne les deux tiers des suffrages exprimés 207

. À la Chambre des représentants, les éventuels membres germanophones peuvent intervenir au même titre que tous les autres députés du groupe linguistique français. En revanche, au Sénat, la voix du membre désigné par le Parlement de la Communauté germanophone ne devrait en principe pas être comptabilisée en raison toujours de son exclusion des groupes linguistiques auxquels la procédure spéciale se réfère ; en pratique, une interprétation souple de la disposition constitutionnelle pertinente permet de prendre sa voix en considération, mais uniquement pour le calcul de la majorité des deux tiers. Cette pratique est désormais institutionnalisée dans le règlement du Sénat : « Lors du calcul de la majorité spéciale visée par l’article 4, alinéa 3, de la Constitution, le vote positif émis par le sénateur désigné par le Parlement de la Communauté germanophone est pris en compte aussi bien dans les suffrages exprimés que dans le total des votes positifs. » 208

203

Article 1er , § 1er

, 1°, de la loi du 3 juillet 1971 relative à la répartition des membres des Chambres législatives en groupes linguistiques et portant diverses dispositions relatives aux Conseils culturels pour la Communauté culturelle française et pour la Communauté culturelle néerlandaise, Moniteur

belge, 6 juillet 1971. 204 Article 1er , § 1er , 2°, de la loi du 3 juillet 1971. 205

Article 43, § 2, al. 2, de la Constitution.

206

Article 54 de la Constitution.

207

Article 4, al. 3, de la Constitution.

208

En réponse à ces difficultés, le Conseil de la Communauté germanophone a revendiqué dans une résolution du 10 juin 2002 un groupe linguistique propre pour son ou ses sénateur(s) jouissant « en principe » des mêmes droits que les autres sénateurs 209

. Un an plus tard, dans une résolution du 17 février 2003, il a précisé qu’il souhaitait être représenté au Sénat par au moins deux membres et qu’il ne pouvait plus être question que ceux-ci disposent des mêmes droits « en principe », mais bien des mêmes droits tout court 210

. Cette revendication a également été émise pour la Chambre des représentants dans une résolution du 26 mars 2007 211.

Enfin, toujours en connexion avec le pouvoir législatif fédéral, il est à noter que toute modification des lois qui concernent directement la Communauté germanophone, notamment les modifications de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone, doit être soumise à l’avis du Parlement de ladite Communauté, qui est donc susceptible d’exercer une certaine influence sur le contenu de la modification envisagée 212. On est cependant en droit de se demander si cette influence

suffit pour protéger valablement les intérêts de la Communauté germanophone. La loi du 31 décembre 1983 a en effet été modifiée dans le cadre de la sixième réforme de l’État par la loi du 19 avril 2014. Le Parlement de la Communauté germanophone a rendu son avis le 3 février 2014 et a attiré l’attention sur plusieurs points de sous-financement 213

. Le législateur fédéral a néanmoins maintenu la modification sans adaptations. À l’issue d’âpres négociations, le Conseil des ministres fédéral a finalement décidé, en sa réunion du 17 juillet 2015, d’augmenter la dotation pour la Communauté germanophone à la hauteur de ce qui était revendiqué par celle-ci (3 millions d’euros en 2015 et 7 millions d’euros par an à partir de 2016) 214

. Une solution politique a donc finalement été trouvée, mais elle n’assure en rien la prise en compte des intérêts germanophones à l’avenir.