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Sur tous les terrains, la religion demeure un sujet très délicat à aborder puisqu’elle est complexe, pluridimensionnelle et que le rapport des hommes et des femmes à celle-ci se transforme constamment (Becci et Burchardt, 2016). La religion inclue des mythes, des symboles et des règles et suggère des valeurs et des conduites morales : elle a un impact dans les sphères privée et publique et ce, autant dans la vie des gens qu’au sein des communautés et des institutions. Au cours de mes trois séjours au Sénégal, mes observations préliminaires vont dans ce sens : les cinq prières journalières sont largement pratiquées, et on retrouve des amulettes un peu partout, sur les motocyclettes, dans les pare-brises des camions et des taxis, aux fenêtres des commerces,

portées tel un collier, etc. La religion musulmane revêt un caractère politique important même si le pays est identifié comme un état laïque (Sow, 2005). Précisions ici que le Sénégal, suite à son indépendance en 1960, a adopté la Constitution de la Ve République française. L’article premier de celle-ci énonce le principe de république laïque, démocratique et sociale (Mbow, 2010). Dans les faits, le religieux et le politique ont de nombreux liens (Sow, 2005), et les adeptes de l’abolition de la laïcité plaident pour un retour à un État religieux compte tenu que la quasi-totalité des croyants au Sénégal est de confession musulmane (Sow, 2005)14.

Plus spécifiquement, l’Islam sénégalais se décline en plusieurs courants : notamment le sunnisme, le chiisme, et le soufisme qui prédomine sur les autres. Si ce dernier est né de la pensée orthodoxe du courant sunnite, la particularité de l’Islam sénégalais est d’être organisé en plusieurs confréries (tariqas en wolof) (Mbow, 2001; Bop, 2005; Diop, 2012) et qu’il y a au sein de cette doctrine un culte des saints (Diop, 2012); c’est-à-dire que dans chacune des confréries, les pratiquants vénèrent Allah, mais aussi le fondateur de chaque confrérie, leur maître spirituel (cheikh ou sërin en wolof, traduit par « marabout » en français). Ceux-ci sont entourés d’une sorte de mysticisme; et on les considère, aujourd’hui, à la fois comme des guérisseurs dotés de pouvoirs magiques et comme des voyants, pouvant résoudre tout problème (i.e. conjugal, familial, etc.). Cette organisation en confréries a joué, et continue de jouer un rôle essentiel sur les plans religieux, culturel, économique et politique au sein du pays (Bop, 2005).

Malgré l’émergence de courants plus conservateurs prônant une application de l’Islam

14 Le débat sur la laïcité est régulièrement ramené sur la place publique comme ce fut le cas en 2001, après l’arrivée au pouvoir du Parti démocratique sénégalais (PDS) avec une opposition importante du Parti Socialiste sénégalais (Sow, 2005). L’ancien Président Abdoulaye Wade avait par ailleurs proposé d’éliminer l’utilisation du mot

« laïcité » de la nouvelle Constitution après son arrivée au pouvoir (Sow, 2005).

fondamentaliste15, il n’apparait cependant pas que le Sénégal se radicalise davantage. Tel que mentionné par Fatou Sow (2005), l’Islam au Sénégal se vit d’une manière très différente que dans les sociétés arabes. Même si les interprétations se basent aussi sur les cinq piliers fondamentaux, il y a des nuances très importantes (Sow, 2005). Cette pratique se distancie de la sharia classique, les chefs religieux n’incluant pas, par exemple, dans leurs sermons la loi du talion, qui stipule que l’on soit lapidé à mort pour cause d’adultère ou que la main d’un voleur soit coupée (Sow, 2005). Le serigne Abdoul Aziz Sy, khalife dans la confrérie Tidjâni, avait d’ailleurs l’habitude de dire aux croyants : « La sharia autorise ce que l’honneur (africain) refuse » (Sow, 2005: 297). En outre, dans l’imaginaire occidental, l’Islam est souvent interprété comme étant une religion patriarcale et défavorable aux femmes. À ce sujet, Dial (2008) et Nazé (2012) mettent en lumière un passage du Coran, fréquemment cité comme « preuve absolue » que l’Islam autorise la violence envers les femmes, notamment :

Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci et parce que les hommes emploient leurs biens pour doter les femmes. Les femmes vertueuses sont obéissantes et soumises; elles conservent soigneusement pendant l’absence de leurs maris ce que Dieu a ordonné de garder intact. Vous réprimanderez celles dont vous aurez à craindre l’inobéissance;

vous les relèguerez dans des lits à part, vous les battrez; mais aussitôt qu’elles vous obéissent, ne leur cherchez point querelle (Sourate 4, verset 34).

Au sujet de « battre l’épouse », il est important de placer cette phrase dans son contexte. Il y a tout d’abord plusieurs étapes et tentatives de réconciliation nécessaires avant d’arriver à ce point (Guèye, 2010b). Pour Badran (2010) ce verset (aussi appelé daraba) qui semble donner la possibilité aux hommes de battre leurs épouses revêtait à l’époque une autre signification et fût mal interprété, la signification première ayant été « quitter » et non pas « battre ». Aussi, l’Islam

15 Tel que l’association réformiste Jamatou Ibadou Rahmane (ou JIR) (Ba, 2012) fondé en 1978 et le Mouvement sunnite (MS) fondé en 1973 (Gomez-Perez, 2018).

demande à l’homme marié de subvenir aux besoins financiers de son épouse. Ainsi, trois fondements doivent être respectés par l’homme envers sa femme, soit de la loger, la nourrir et de satisfaire ses désirs sexuels. L’épouse, quant à elle, lui doit en retour obéissance et respect, sans quoi elle risque les réprimandes de son mari et de compromettre son entrée au paradis selon la tradition musulmane (Dial, 2008; Mondain et al., 2012). La section suivante présente le cadre théorique et les repères conceptuels sur lesquels a été élaborée l’analyse des données recueillies.

3 Considérations théoriques