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Rappelons ici la pression indue mise sur les femmes et liée à l’obligation au mariage, l’abnégation de l’épouse envers le conjoint et ses demandes et, finalement, le fait que certaines répondantes hésitent à divorcer. Au Sénégal, le mariage demeure en effet un rite de passage très

enraciné et valorisé, tant par la société que par la religion musulmane : c’est la seule façon légitime d’avoir des relations sexuelles et de fonder une famille (Dial, 2010). Malgré tout, mentionnons d’emblée que des changements dans les structures familiales s’observent aujourd’hui et qu’ils sont dus en partie aux changements économiques et sociaux qui affectent le Sénégal. En effet, la pauvreté et le chômage endémique au pays poussent les jeunes à s’exiler dans les régions urbaines et à poursuivre leurs études plus longtemps, amenant les femmes sénégalaises à accéder de plus en plus à l’éducation et au marché du travail. De plus, les revendications des mouvements féministes38 auront permis l’amélioration des conditions de vie des femmes. Ainsi, l’âge du mariage tend à être de plus en plus avancé, et le divorce, un peu mieux perçu selon les résultats des travaux de Dial (2006), à Dakar. Néanmoins, les rôles d’épouse et de mère demeurent des piliers très importants dans l’identité de la femme : elle sera encouragée par la religion musulmane à se marier, selon la recommandation divine, et à avoir des enfants, tel que prescrit par le hadith, tel que le souligne Dial : « Mariez-vous et multipliez-vous, je me glorifierai de multipliez-vous, le jour du jugement dernier » (Ascha, 1997, dans Dial, 2006:

91). Ainsi, le mariage demeure encore aujourd’hui la norme : toutes les répondantes auront été mariées à leur conjoint, et elles ont toutes eu des enfants. Il apparaît aussi que les parents des

38 Une association fût pionnière des mouvements féministes, soit Yewwu-Yewwi (« Pour la libération de la femme ») (Kane et Kane, 2012; Guèye, 2013a). Son apparition, dans les années 1980, faisait écho à la décennie des Nations Unies pour la femme (1975-1985), la crise économique des années 1980 et le désengagement de l’État (Kane et Kane, 2012). La grande majorité des associations féminines ont d’ailleurs émergé entre les années 1980 et 2000 (Guèye, 2013a). Plusieurs femmes membres de cette première association, ou des sympathisantes du mouvement, ont par la suite été à l’origine de la mise sur pied d’autres associations importantes telles que l’Association des femmes africaines pour la recherche et le développement (AFARD), le Conseil sénégalais des femmes (COSEF), le réseau Siggil Jiggen et le Collectif des femmes pour la défense de la famille (COFDEF) (Guèye, 2013a). Ainsi, plusieurs associations luttent aujourd’hui contre la violence faites aux femmes, telles que l’Association pour la promotion de la femme sénégalaise (APROFES), le Comité de lutte contre la violence faite aux femmes (CLVF), Siggil Jiggen, l’Association des juristes sénégalaises (AJS), etc. (Guèye, 2013a) Le Groupe de recherche sur les femmes et les lois au Sénégal (GREFELS) effectue quant à lui plusieurs recherches pour documenter le phénomène de la violence faite aux femmes (Guèye, 2013a). En 1987, le pays comptait pas moins de 6816 groupements féminins (Guèye, 2013a).

époux ont un rôle important à jouer autant dans la création que dans la dissolution des unions.

Le premier mariage est parfois imposé et relève du choix des parents qu’ils ne pourront remettre en question. Plusieurs femmes peuvent alors se sentir coincées dans cette union qu’elles n’ont pas choisie, tout comme plusieurs hommes peuvent être tentés dès lors de prendre une seconde épouse afin de pouvoir « choisir », cette fois, leur partenaire. Si, lors de mes entretiens, deux participantes ont admis qu’elles n’avaient pas choisi leur conjoint, cela est aussi mis de l’avant dans l’étude de Dial (2006) à l’effet que le premier mariage peut parfois être arrangé par la parenté.

Cette même importance attribuée au mariage pourra engendrer, dans certains cas, la victimisation secondaire des femmes sénégalaises. En effet, certaines répondantes (n = 3) auront mis l’accent sur le terme wolof mougn, signifiant « digérer », voire « laisser passer », mentionnant que c’était un terme fréquent dans les discussions à propos de leur mariage difficile.

La femme violentée est alors encouragée à laisser passer les violences puisque, dans la conception générale, le mariage est parsemé de difficultés. De surcroît, il apparaît qu’en plus de cette banalisation de la violence, celle-ci se voit attribuer, paradoxalement, une certaine valorisation : ces répondantes ont à cet effet indiqué qu’elles étaient valorisées par leur famille et leur belle-famille parce qu’elles surmontaient une relation empreinte de violence. Ces résultats demeurent ainsi conformes aux écrits sur le sujet (Guèye, 2004a; Dial, 2010; Ly, 2014).

Aussi, le devoir des femmes sénégalaises de porter le poids de la réussite de leurs enfants figure parmi les pressions sociales les poussant à demeurer au sein de leur ménage malgré les violences vécues, tel que le rapportent certaines répondantes, et comme l’illustre des expressions wolofs telles que Ligéeyu nday añub doom (« le travail de la femme est le déjeuner de l’enfant »). Cette particularité liée au vécu de la femme sénégalaise démontre la dévotion qu’elle doit entretenir

envers son mari et son engagement à titre de mère et d’épouse, comportements attendus d’elle dans la société sénégalaise (Yade, 2007; Dial, 2010). Le comportement de la mère détermine aussi celui de sa fille, selon cet adage, dans la formation de ce que doit être une « bonne » femme. Ainsi, si la femme brise son rôle d’épouse, par exemple en recourant au divorce, cela risque de nuire à l’avenir de ses enfants, conformément aux observations faites par Marame Guèye (2004a).

Dans le cadre du mariage, il convient aussi de discuter du concept de virilocalité puisque la femme sénégalaise doit, suite à son mariage, rejoindre le domicile de son mari soit, la plupart du temps la résidence de sa belle-famille, les conjonctures économiques rendant difficile l’accès à la propriété. Or, cette promiscuité avec la belle-famille occasionne souvent son lot de conflits : la jeune épouse est alors placée sous l’autorité de sa belle-mère et doit être soumise à celle-ci et répondre à ses demandes. Deux répondantes se sont confiées à ce sujet, et un des informateurs-clés a souligné à quel point l’épouse se doit d’impressionner sa belle-mère, par exemple en lui offrant des cadeaux. Deux répondantes ont aussi mentionné que leur belle-mère créait souvent des divisions entre elles et les co-épouses, appuyant ainsi les résultats de Dial (2010) et de Ly (2014). Dans ce cadre de polygamie, ou plutôt de polygynie (puisque ce droit est exclusif à l’homme musulman), les femmes sénégalaises de l’échantillon mentionnent avoir vécu difficilement l’arrivée d’une co-épouse, se sentant fréquemment abandonnées par leur conjoint.

Il apparaît alors qu’elles acceptent mieux d’être la dernière arrivée, soit la deuxième ou troisième co-épouse, possiblement parce qu’elles n’ont pas l’impression d’avoir été « remplacées ». De plus, cet état de fait semble plus facile à tolérer lorsque chaque épouse a sa propre résidence plutôt que lorsqu’elles partagent le même toit. Bien que les imams rencontrés sur le terrain mentionnent que chaque mari polygame doit traiter équitablement chacune de ses épouses et ne

pas en préférer l’une face à l’autre, force est de constater par le discours des répondantes que cela n’est pas toujours le cas, et le mari cachera même souvent à sa première épouse l’arrivée de la deuxième, la première l’apprenant généralement après le fait accompli, tel que vécu par quatre répondantes. La polygamie entraîne donc dans plusieurs cas un déséquilibre affectif (le conjoint pourrait par exemple démontrer une préférence pour l’une de ses conjointes et être plus présent et attentionné envers elle), une compétition entre les co-épouses, tout comme des inquiétudes (telle que la crainte de perdre l’amour de son conjoint) (Dial, 2010; Ly, 2011). En outre, deux répondantes rapportent avoir vécu de la violence d’une co-épouse, ce qui a déjà été corroboré par d’autres auteurs (Piraux, 2000; Chouala, 2008; Dial, 2010; Ly, 2014). À ce sujet, la présente recherche aura soulevé la présence de violence intra-familiale et intra-genrée, notamment entre co-épouses et entre la belle-famille et les co-épouses, ce qui demeure néanmoins peu relevé dans la littérature scientifique abordant les violences conjugales (Dial, 2006; Chouala, 2008; Ly, 2011).