• Aucun résultat trouvé

La bonne entente établie entre les territoires américains et français est-elle une fiction ? Jules Huret part à la rencontre des communautés d'ascendance française.L'amour pour la France n'a pas cessé d'exister en Louisiane. Un siècle après l'achat de la province par les Britanniques, une fillette se fait la porte-parole des Cadiens, « Français de Louisiane » auprès de Jules Huret. : « Quand vous serez de retour en France, Le Figaro pourra dire, par votre plume, que les Français de Louisiane n'oublient pas la mère patrie, et qu'ils l'aiment du plus profond de leur coeur » . Vous figurez-vous cela, à 10 000 kilomètres de Paris ? 256». Cependant les autres Etats américains

partagent-ils de même ce sentiment à l'égard de la patrie de La Fayette? Quelles relations entretiennent les Etats-Unis et la France? Afin de présenter avec le plus de justesse possible la nation américaine auprès des lecteurs du Figaro, Huret multiplie les exemples comparatifs mais surtout part à la rencontre de ses compatriotes, traits d'union plus ou moins vivace entre les deux pays. Sont-ils pour l'essentiel dans le souvenir de leur terre d'origine, à l'image de cette jeune lousianaise? Son arrivée à New-York, métropole en plein effervescence le fatigue et le besoin de retrouver une présence familière se fait ressentir, désir rapidement assouvi lorsqu'il aperçoit un restaurant : « le restaurant Martin est recherché à la fois pour sa cuisine

253 Op.cit. p.237 254 Op.cit. p.236 255 Op.cit. p.235

française excellente et pour l'atmosphère de gaîté que nos compatriotes savent toujours mettre autour d'eux quand ils veulent257». Nation de Brillat-Savarin, la France est réputée pour sa gastronomie

et les cuisiniers qui choisissent de s'y installer reçoivent un très bon accueil de la part des Américains. Les enjeux économiques sont au cœur des préoccupations de son séjour car il doit apporter des réponses aux interrogations de ses lecteurs concernant la menace que représente, ou non, ce jeune Etat. Est-il un concurrent sérieux pour les industriels français? Jules Huret en sa qualité de grand reporter Français, peut facilement contacter des dirigeants expatriés afin d'enquêter. Ainsi, en visite dans deux usines appartenant au domaine de la soierie et de l'automobile, il estime que ces industries sont « menacées », il s'agit d'ailleurs du terme qu'il emploie dans son ouvrage. Les soieries produites aux Etats-Unis se vendent mieux que celles produites en France car la mentalité générale est tournée vers la consommation. De plus, les usines sont largement pourvues en main d’œuvre en raison de l'afflux migratoire. Huret est défaitiste quant à l'avenir du marché économique: « Vous le savez, l'Amérique se prépare à la grande lutte économique qui doit un jour où l'autre éclater entre l'ancien et le nouveau continent. Elle se dit que dans vingt ans sa force industrielle aura décuplé qu'elle aura déjà inondé l'Europe de ses produits et qu'alors il faudra leur trouver de nouveaux débouchés.258 » Les machines

françaises sont moins performantes. Jules Huret essaie de défendre les intérêts français à l'étranger et pour cela, expose aux interlocuteurs rencontrés les atouts du savoir-faire français : « Ce règne de l'élégance et de l'art français est tout ce qui reste debout des anciennes prédominances du vieux monde dans le nouveau continent. C'est grâce à lui que la jeune et orgueilleuse Amérique s'incline encore... 259».

En tant que « témoin ambassadeur », il représente son pays à l'étranger de façon indirecte et hors des ambassades, ce qui lui permet de découvrir le peuple sans être assujetti à un protocole strict. Ainsi, il parcourt les Etats-Unis, curieux de connaître la considération des Américains mais également des expatriés à l'égard de la France,. Les femmes américaines perçoivent la France au travers de Paris uniquement, la capitale étant la ville du romantisme par excellence. Les enfants du peuple Peaux-Rouges scolarisés ignorent tout de ce pays. Certains expatriés en ont néanmoins un avis critique. En Californie, l'un d'entre eux lui confie ne pas regretter son choix de vie, qualifiant la France de nation défavorisée, où le salaire moyen d'un professeur y est dix fois inférieur. L'Américain d'ascendance française est quelquefois moqué comme ce garçon qu'Huret rencontre et qui lui annonce être brimé par ses camarades parce qu'il parle sa langue d'origine. Le grand reporter confie à ses lecteurs des 257 Op.cit. p.18

258 HURET, Jules, En Amérique : de San Francisco au Canada, Fasquelle, Paris, 1905, p.86 259 Op.cit. p.107

anecdotes parfois surprenantes au sujet des relations qu'entretiennent les deux nations. Ainsi, un consul français déconseille vivement à ses compatriotes de demeurer plus longtemps aux Etats-Unis :« Croyez-moi, prenez le bateau allez-vous en, il n'y a rien à faire ici !260 ». Fort

heureusement, les bourdes diplomatiques sont rares et les relations sont cordiales, des échanges se nouent entre eux. Le journaliste français jouit de relations qui lui permettent de rencontrer des personnalités influentes et d'obtenir des renseignements de façon privilégiée, assurant l'exclusivité de ses informations auprès du Figaro : « L'ambassadeur d'Allemagne à Washington disait dernièrement dans un cercle diplomatique : - C'est curieux, tout à l'air dirigé contre nous dans ce pays. Il avait raison 261». Confronté aux problématiques internationales

contemporaines, Jules Huret est soucieux de connaître la politique extérieure d'une nation, certes lointaine, mais qui peut être menaçante compte tenu de sa puissance. Lors de son étape à Chicago, il a souhaité s'entretenir avec Monsieur Harper, le président de l'université de la ville et proche du milliardaire Rockefeller, qui n'ignore pas les rouages de la vie politique de son pays. Le grand reporter craint de voir basculer une nation réputée isolationniste vers le militarisme. Monsieur Harper explique à Huret la politique de défense américaine fondée sur la doctrine de la guerre juste : « L'Amérique n'a pas à craindre l'excès. Nous aimons la guerre, mais pour la bonne cause seulement. Nous l'avons prouvé à Cuba et aux Philippines. Après la guerre des Philippines, notre expansion sera terminée262 ». L'universitaire juge ensuite évident et prochain un

rapprochement naturel des Etats-Unis avec son voisin septetrional avec qui il partage des valeurs communes, à l'inverse du Mexique. Comment réagit le Canada face à un voisin aussi puissant et risquant de mettre en péril sa souveraineté ? Huret commence par rencontrer des paysans d'ascendance française puis il interroge l'homme politique québecois Henri Bourassa et résume de façon pragmatique la situation : « Dans l'état actuel du Canada, plusieurs propositions peuvent être proposées : l'annexion aux Etats-Unis, l'impérialisme Anglais, la réunion à la France et l'indépendance du Canada263 ». Henri Bourassa se montre partisan d'une autonomie

gouvernementale pour le Canada. Huret est venu dans ce pays afin de constater la nature des relations franco-canadiennes. La réunification de ce territoire à la France n'est pas prévue puisque malgré de nombreuses similitudes, il demeure une différence de mœurs : « L'amour que nous portons à notre patrie d'origine s'adresse plutôt à l'âme nationale de la France (…) qu'à la personne des Français eux-mêmes.. 264».

260 Op.cit. p.250

261 HURET, Jules, En Amérique : de New-York à la Nouvelle-Orléans, Fasquelle, Paris, 1904, p.53 262 HURET, Jules, En Amérique : de San Francisco au Canada, Fasquelle, Paris, 1905, p.267 263 Op.cit. p.445

C- Le grand reportage en Allemagne, une participation de plus en plus active de Jules