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La question de la sécurité se pointe à l’horizon une fois que les corps ont anticipé ou expérimenté la maladie infectieuse et tentent à tout prix de prévenir et de gérer les risques biologiques qu’elle représente.

2.5.1 Notion de sécurité

La sécurité étant définie comme « une situation dans laquelle quelqu’un, quelque chose n’est exposé à aucun risque d’agression physique, d’accident, de vol, de détérioration (…) la sécurité civile étant l’ensemble des mesures de prévention et de secours qui requiert, en toutes circonstances, la sauvegarde des populations » (Larousse 2008, p.927). Il est clair ici que la question de la sécurité est intimement liée à la notion de risque. Une myriade de définitions existe quand on aborde la question de la sécurité. Aussi, elle n’est pas unique, mais multiple. Il serait plus juste de parler de sécurités. Néanmoins, ce vocable est inexistant dans les différents discours. La sécurité absolue, tout comme le risque zéro semblent être chimériques, présentés davantage comme des idéaux vers lesquels nous devrions tendre.

Par ailleurs, au Canada, la sécurité est un droit humain fondamental, garanti par l’article 7 de la Charte des droits et libertés, soit le droit à la vie, la liberté et la sécurité. Cet article fait d’ailleurs écho à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (France,

1789) où l’article II stipule que chaque être humain a le droit à la sûreté; mais aussi à la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) où l’article 3 stipule que « tout individu a le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » (UN, 2011). Le concept de sécurité fait donc partie des valeurs fondatrices des nations occidentales.

Nous l’avons vu précédemment, la sécurité se décline également au travers d’une série de normes en matière de gestion des risques et de qualité afin d’assurer la sécurité du patient par la prévention et le contrôle des infections.

2.5.2 Sécurité du vivant et biosécurité

Au Québec, en sciences infirmières, le terme de sécurité du vivant est peu utilisé, mais rejoint la question de sécurité du patient (patient safety) qui constitue une priorité de recherche de l’OMS avec la culture de sécurité (safety culture). Le risque biologique est abordé sous l’angle de la prévention et du contrôle des infections dans une perspective de protection de la santé de la population via une approche traditionnelle de prévention de la maladie en santé publique.

Selon l’ONU (2001), le concept de biosécurité est né au début du XXIe siècle et sa définition de ce concept était très large :

« Si vous cherchez "biosécurité" sur Internet vous ne trouverez que de rares informations sur ce sujet - et pour la plus grande partie sur des sites consacrées aux maladies des volailles. Les dictionnaires du web semblent ignorer ce terme. Et pourtant, la biosécurité apparaît comme l'une des questions les plus urgentes qui se posent à la communauté internationale. Il s'agit essentiellement de la "gestion de tous les risques de type biologique et environnemental associés à l'alimentation et à l'agriculture, y compris les forêts et les pêches", un secteur qui couvre la sécurité sanitaire des aliments, ainsi que la vie et la santé des végétaux et des animaux. Les risques englobent les organismes génétiquement modifiés, les espèces exotiques et les ravageurs des végétaux et des animaux qui ont été introduits comme l'érosion de la biodiversité, la propagation des maladies transfrontières du bétail, les armes de guerre à action toxique et la maladie de la vache folle. ».

La question de la biosécurité, ou sécurité du vivant constitue une terminologie qui n’est pas répandue chez les infirmières : peu d’écrits sont disponibles sur la biosécurité. Il s’agit d’un concept émergent. Une analyse dimensionnelle de concept de Schatzman (1991) a été réalisée, ce qui a permis d’aboutir à plusieurs constats en matière de biosécurité. Ce concept a d’abord été utilisé dans le domaine des laboratoires médicaux afin de prévenir les maladies infectieuses. Au début du XXIe siècle, concomitamment avec la construction des risques bioterroristes, son utilisation s’est accentuée et s’est élargie aux domaines du transport transfrontaliers, agroalimentaire, de protection de la biodiversité face aux organismes génétiquement modifiés (OGM), aux biotechnologies et à la santé humaine en générale. Il est intéressant de souligner que la biosécurité est un concept utilisé pour assurer la sécurité de la population qui doit pouvoir se nourrir d’aliments exempts de tout pathogène susceptible de provoquer une maladie infectieuse (ex. : la listériose) dont la responsabilité relève du MAPAQ; mais ce terme n’est quasi pas utilisé par les professionnels de la santé dans le RSSS qui parlent davantage de PCI dont la responsabilité relève du MSSS. Cette terminologie multiple face à la sécurité du vivant favorise sans doute un fonctionnement en silo.

Plusieurs constats de l’analyse dimensionnelle sont renforcés par les écrits de Bingham et Hinchliffe (2008) qui soutiennent que le concept de biosécurité, durant une même période, n’est pas vu de la même manière partout que l’on soit en Europe, aux États- Unis ou en Australie. En Europe, la biosécurité touche à l’agriculture et aux maladies. Aux États-Unis, elle est davantage rattachée à la sécurité des laboratoires et au bioterrorisme. En Australie, la biosécurité touche davantage aux aspects écologiques de protection de la biodiversité.

Le terme de biosécurité est peu utilisé par les scientifiques dans les bases de données et les médias. On le retrouve davantage dans les sources gouvernementales nationales et internationales, sur les différents portails touchant à la prévention de la maladie et à la sécurité de la population. Un exemple de cela est présenté par la Federal Emergency Management Agency (FEMA) qui a raffiné sa définition du terrorisme et du

bioterrorisme (Nies et McEwen, 2007) en abordant la nécessité d’améliorer la biosécurité et en tenant compte des armes de destruction massive potentiellement utilisables par les terroristes et en reconsidérant les niveaux de risques présentés par les laboratoires.

Par ailleurs, différents penseurs issus des sciences sociales se sont penchés sur la biosécurité en l’abordant sous l’angle de la sécurisation de la santé (Fidler, 2007; Davies, 2010), de la menace bioterroriste construite par différents groupes (Lentzos, 2006) ou par l’exploration des liens entre la santé et la sécurité (Maclean, 2008). Lakoff et Collier (2008, trad.lib. p. 9) soulignent que « l’importance accordée aux nouvelles menaces microbiennes s’est développée autour de quatre domaines distincts mais qui s’entrecroisent : les maladies émergentes; le bioterrorisme; les sciences de la vie; et la sécurité alimentaire » qui constituent les domaines de la biosécurité. Selon ces auteurs, la santé publique est perçue comme une institution experte qui offre une réponse à ces nouvelles menaces microbiennes en documentant sur le plan statistique l’incidence et la sévérité des maladies infectieuses et en mettant en place des pratiques sanitaires, un approvisionnement en eau et des formes d’habitation et de circulation saines. Ceci fait partie selon eux de la préparation nationale nécessaire afin de sécuriser la santé.

Lakoff et Collier (2008, trad.lib. p.8) définissent la biosécurité comme « les interventions techniques et politiques - efforts pour sécuriser la santé – qui ont été formulés en réponse aux nouvelles menaces pathogéniques, ou aux nouvelles menaces pathogéniques perçues ». Selon ces auteurs, la question de la sécurité serait soulevée à la suite de menaces biologiques discutées sur le plan international par l’OMS (2007) via son rapport sur la santé dans le monde « Un avenir plus sûr : la sécurité sanitaire mondiale au XXIe siècle ». L’aspect mondial de ces menaces remet en question les frontières territoriales et les différentes juridictions dès lors que la maladie est perçue comme une menace à la sécurité humaine et impose des interventions internationales dites humanitaires (Koch, 2008).

Koch (2008) donne un exemple frappant de biosécurité en documentant l’alerte mondiale à la tuberculose décrétée par l’OMS dès 1993. Selon lui, « parce que les maladies

infectieuses sont causées par des microbes, les agents pathogènes sont conçus comme des entités naturelles qui peuvent potentiellement devenir une menace à la sécurité aux niveaux local, national et international » (Koch, 2008, trad. lib. p.123). Une fois cet état d’urgence mondial décrit, une réponse internationale à cette menace à la sécurité s’est opérée par l’instauration d’un protocole nommé Directly Observed Treatment, Short-Course (DOTS) pour contrer l’épidémie de tuberculose. Selon cet auteur, la santé publique ainsi que les patients sont blâmés pour la recrudescence de la tuberculose et des microbes résistants aux médicaments par le non-respect des normes requises par le DOTS et la prescription d’antibiotiques non standards. Koch (2008, trad.lib.p.126) souligne alors que « l’accent mis sur la non-adhésion institutionnelle et individuelle aux traitements masque le fait que le DOTS est plutôt difficile à implanter et à suivre dans sa forme standardisée » puisque ce protocole ne tient pas compte du contexte et des formes de connaissances préexistantes dans le pays où le DOTS est déployé. Selon lui, l’implantation du DOTS de l’OMS dans un pays tel que la Géorgie et les effets qu’il produit constitue un milieu de choix pour examiner les relations de pouvoir dans un contexte local. Loin de relever uniquement du manque d’adhésion au programme, des questions socioéconomiques, d’accès aux antibiotiques et d’accès aux patients sont soulevées par cet auteur en lien avec l’application d’un protocole standardisé de l’OMS afin de réduire la tuberculose sur le plan international. Le manque de résultats positifs du DOTS imputé aux individus qui ne terminent pas leurs traitements antibiotiques peut se comprendre lorsque l’on tient compte du contexte et des facteurs culturels tels que la pauvreté et le stigmate social selon Koch (2008).

Une approche foucaldienne de la biosécurité permet d'amener ce concept au rang des éléments participants au dispositif de sécurité qui touchent à l'axe biopolitique du gouvernement des populations (Foucault, 2004). La biosécurité permet de réguler, de normaliser et de gouverner les populations que ce soit au travers des normes face au transport frontalier ou aux règles qui régulent le quotidien des laboratoires et des infirmières. Elle permet également un quadrillage sécuritaire de l'espace qui contribue à la

création de ce dispositif discursif et non discursif, tel que nous le décrirons dans le cadre de référence.