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La question du risque est intimement reliée aux maladies infectieuses puisque selon Lavabre-Bertrand « les maladies infectieuses ont représenté depuis les débuts de l’humanité l’un des principaux risques auxquels celle-ci a pu être exposée. Elles ont donc constitué d’emblée l’un des principaux centres d’intérêt des médecins » (2005, p.11). Selon Sanou et Bibeau, « les études portant sur la mesure des risques ont surtout été réalisées dans le champ de l’épidémiologie et ont été principalement abordées à partir d’une perspective biomédicale » (2009, p.218). Le risque est habituellement compris comme étant un événement indésirable que l’on souhaite éviter, comme une « combinaison de la probabilité

et de la conséquence de la survenue d’un événement dangereux spécifié » ( Norme OHSAS 18001).

Les risques de développer des maladies infectieuses sont tantôt nommés risques infectieux (Estryn-Béhar, 1991), tantôt risques biologiques (Curé, 2004; Berche, 2009; EASHW, 2007) ou encore risques liés aux armes biologiques dans le cadre du bioterrorisme (Levy et Sidel, 2003; McGlown, 2004; Nations Unies, 2005; David et Gagnon, 2007). La terminologie retenue pour cette étude est le terme risques biologiques qui demeure plus large que le terme risques infectieux. La nomenclature du risque biologique choisie ici est une classification réaliste du risque de Curé (2004), risque qui est considéré comme objectivable, mesurable et dans une certaine mesure gérable, maîtrisable et anticipable. Ce choix permettra d’explorer la façon dont le risque est abordé dans le domaine biomédical, industriel, de gestion et de défense nationale de manière plus approfondie dans le cadre de notre thèse afin d’y amener une réflexion critique et sociopolitique par la suite. Voici comment Curé (2004) définit le risque biologique :

« l’expression risque biologique nous renvoie à deux notions. La première, celle du risque (de l’italien risco ; du latin médiéval risicum ; du grec byzantin rizikon, solde gagnée par un soldat de fortune), est la probabilité de subir les conséquences néfastes d’environnements ou de situations variées. Le risque s’oppose à la chance, qui est la probabilité de bénéficier des conséquences fastes d’événements, de choix, de situations. (…) La seconde est celle de la biologie (du grec bios, vie, et logos, discours), qui s’intéresse à tous les phénomènes manifestés par les êtres vivants. Elle a pour objet les êtres organisés. Ainsi, le risque biologique concernera-t-il les effets adverses, directs ou indirects, que ces derniers puissent occasionner, par leur action, les composants de leur structure ou les substances qu’ils contiennent ou sécrètent (toxines, venins), toutes matières dites organiques, puisque liées aux êtres organisés. » (Curé 2004, p.3).

Curé (2004) classe le risque biologique selon trois sources : le risque naturel habituel, le risque biologique provoqué accidentel tel que les infections nosocomiales ou les infections alimentaires et finalement, les risques biologiques provoqués criminels reliés au bioterrorisme. Cette classification servira à dépeindre un portrait du risque biologique. En santé publique, une gradation dans le discours entourant les maladies infectieuses et les

risques biologiques est palpable : on passe de la maladie infectieuse au risque biologique individuel pour tendre vers le risque pandémique et bioterroriste populationnel international, qui apparaît être une exacerbation du discours de la santé publique face aux mesures pour prévenir et contrôler les infections.

Premièrement, le risque biologique naturel habituel touche aux maladies infectieuses saisonnières telles que la grippe ou encore les MADO comme la tuberculose. Ce type de risque a déjà été traité dans la section précédente touchant aux maladies infectieuses. Néanmoins, le caractère mondial que pourraient revêtir certaines maladies infectieuses touche aux risques épidémiques et pandémiques. Ceux-ci sont définis comme le développement d’une éclosion infectieuse sur une grande zone géographique dans le cas de l’épidémie ou touchant l’ensemble de la population dans le cas de la pandémie (Nies et McEwen, 2007). Ces risques constituent des préoccupations actuelles et sont réactualisés lorsqu’une maladie infectieuse émergente surgit et est perçue comme une menace d’atteinte à la santé de la population. C’est le cas de la grippe porcine A/H1N1 qui semble avoir un potentiel destructeur limité ayant tué 42 personnes au Mexique et 2 personnes aux États- Unis (rapport OMS, 7 mai 2009).

Néanmoins, le risque pandémique était présent et des plans d’urgence, d’alerte, de veille sanitaire et de communication à la population ont été mis en branle au niveau international, national et provincial. Cette communication des risques via un niveau d’alerte pandémique actualisée sur le site Internet de l’OMS (2009), reprise abondamment dans les médias est digne d’une propagande de guerre. Les journalistes recourent à la terminologie de « lutte » contre la pandémie, « combat », d’« armes contre la grippe » (Beaulieu, 2009), d’« ennemi public numéro H1N1 » (Lortie, 2009) rappelant au passage, la pandémie de grippe espagnole surnommée la Grande Tueuse (Lachapelle, 2009) renforçant l’idée que nous risquons de mourir en grand nombre si nous n’agissons pas pour contrer la grippe mexicaine tout en rappelant paradoxalement la nécessité de rester calme (Beaulieu, 2009). Latour (1984) soulignait déjà combien la découverte des microbes, dont le nombre dépasse grandement ceux des Hommes, font l’objet d’une guerre en règle pour les

éradiquer voir les contrôler depuis l’ère pasteurienne. Chomsky et McChesney (2004) soulignent « combien la population est pacifiste » et qu’il « faut la mobiliser et pour la mobiliser, il faut l’effrayer » (p.35). Selon ces auteurs, « le scénario est toujours le même : d’abord une offensive idéologique destinée à fabriquer un monstre chimérique ; ensuite le lancement d’une campagne pour l’anéantir » (p.50). L’incertitude face aux risques biologiques devient un puissant moteur social sollicitant les scientifiques à contribuer au séquençage du virus (Breton, 2009) afin que Sanofi Pasteur (2009), compagnie pharmaceutique française désignée par l’OMS, puisse produire un vaccin et le vendre à travers le monde pour protéger la population de ce nouvel ennemi qu’est devenu le A/H1N1. Il est clair également que les compagnies GlaxoSmithKline produisant le Relenza ainsi que le Laboratoire Roche produisant le Tamiflu mettront à disposition leurs réserves d’antiviraux aux pays touchés par la grippe A/H1N1, ce qui contribue à la vision mercantile de la gestion des risques pandémiques.

Un deuxième type de risque, le risque biologique provoqué accidentel, concerne surtout les infections nosocomiales ou les infections d’origine alimentaire. En ce qui concerne les infections alimentaires ou encore les infections nosocomiales, celles-ci ont largement été documentées sur le plan scientifique et dont la prise en charge est orientée par des plans stratégiques gouvernementaux (MSSS, 2006 ; EASHW, 2007 ; Jarvis, 2007). Au Québec, on estime qu’il « y aurait acquisition d’infection nosocomiale dans près de 10% des admissions dans les hôpitaux de soins à courte durée (…) avec un taux de mortalité probable attribuable à ces infections se situant entre 1 et 10% selon le type d’infection » (Rapport Aucoin, 2005, p.8).

Les risques de contracter et développer une maladie infectieuse à l’hôpital sont surtout abordés au niveau clinique via la prévention et le contrôle des infections d’un pathogène donné pour briser la chaîne de transmission par des mesures de prévention telles que le lavage des mains ou le port d’équipement personnel de protection (EPP) (Perpête, 2006 ; Jarvis, 2007 ; EASHW, 2007 ; APIC,2005 ; Ayliffe, 2000; Nies et Mc Ewen, 2007 ; Meehan et Moore, 2010). Néanmoins, ces dernières années, des études ont contribué à la compréhension du vécu psychologique traumatisant et anxiogène pour les patients, les

infirmières et les étudiantes infirmières lorsqu’ils contractent une infection nosocomiale ou lorsqu’ils sont mis en quarantaine (Gammon, 1999 ; Mitchell, Cummins, Spearing, Adams, Gilroy, 2002 ; Criddle et Potter, 2006 ; Cassidy, 2006). De nombreux articles existent quant au manque de personnel infirmier et la surcharge de travail qui augmente le taux d’infections nosocomiales au sein des établissements de santé (Jackson, Chiarello, Gaynes, Greberding ; Hugonnet, Chevrolet, Pittet, 2007 ; Huggonnet, Villaveces, Pittet, 2007 ; Cho, Ketefian, Barkauskas, Smith, 2003 ; Stone, Clarke, Cimiotti, Correa-de-Araujot, 2004). Ce manque de personnel infirmier et cette augmentation du taux d’infections nosocomiales a un impact sur la qualité et la sécurité du patient puisque le taux d’infections nosocomiales présentes dans un CH est un des indicateurs de qualité (Lundstrom, Pugliese, Bartley, Cox, Guither, 2002 ; Duffy, 2002 ; Needleman, Buerhaus, Mattke, Stewart, Zelevinsky, 2002 ; Mark, Harless, McCue, Xu, 2004).

Des normes internationales et des lois existent quant au travail (Froman, Gey, Bonnifet, 2007) puisque la santé au travail est un secteur traditionnel de la santé publique qui remonte au courant hygiéniste et à l’industrialisation : cette préoccupation n’est donc pas récente. Néanmoins, au Québec, les risques biologiques encourus par les professionnels de la santé dans le cadre de leur emploi, mais également les maladies infectieuses déclarées sont absents des rapports provinciaux liés à la santé des travailleurs (ISQ, 1998 et 2009). Paradoxalement, les experts internationaux s’entendent pour dire que les risques biologiques émergents doivent être considérés pour les professionnels de la santé en matière de santé et sécurité au travail (EASHW, 2007). Traditionnellement, trois secteurs tels que l’industrie minière, forestière et de transport sont priorisés en santé au travail par la Commission de santé et de sécurité au Québec (PRPQST, 2009) et les travailleurs de la santé n’en font pas partie. Dès lors, les risques biologiques encourus par les infirmières ne sont considérés qu’au travers des risques liés aux infections hématogènes puisqu’un financement important existe pour prévenir la propagation du VIH, pour lesquelles un répertoire provincial SERTIH est tenu par l’INSPQ.

La troisième catégorie de risques biologiques de Curé (2004) concerne le risque biologique provoqué criminel qui touche à la militarisation des agents pathogènes et leur utilisation comme arme de destruction massive (ADM). La vie comporte en elle-même autant de potentiels de construction que de destruction. Lorsque les microorganismes sont utilisés dans le cadre de développement militaire de biotechnologies capables de nous anéantir, celles-ci représentent un danger pour l’humanité puisque nous contribuons à l’élaboration d’agents pathogènes ultras virulents et résistants par recombinaison génétique (Berche, 2009) mais également à la conservation très onéreuse de ces agents au sein de laboratoires de niveau 4 de biosécurité (Richardson, 2004). Les discours entourant le bioterrorisme ont pris un certain essor ces dernières années suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et à l’anthrax (David et Gagnon, 2007; McGlown, 2004; Levy et Sidel, 2003). Néanmoins, Chomsky et McChesney (2004) soulignent qu’il s’agit là de discours résurgents entourant la guerre contre le terrorisme menée par Reagan il y a 20 ans. Ce mouvement contemporain de luttes contre le bioterrorisme est rapidement apparu comme une exacerbation du discours de la santé publique entourant la sécurité et la prévention des maladies infectieuses où, selon Thacker (2006) toutes les mesures pour gérer les risques bioterroristes sont acceptables et acceptées afin d’assurer la sécurité de la population : limitation des droits fondamentaux par le Patriot Act, atteinte à l’intégrité physique des individus par la torture au nom de la sécurité nationale et instauration d’une prison extraterritoriale dans un no man’s land tel que Guantanamo, surveillance du corps individuel qui est dénudé par des machines détectrices d’ADM aux aéroports (Péloquin, 2009), tenue d’un répertoire public de présumés terroristes par le FBI (AFP, 2009). Nous sommes ici dans une approche paroxystique des discours de protection et de sécurisation de la santé humaine face à une menace bioterroriste dont l’occurrence anticipée est faible (Curé, 2004; David et Gagnon, 2007).

Cette nomenclature réaliste du risque telle que présenté par Curé est essentiellement biomédicale et gouvernementale, mais peut-être nuancée par l’apport critique des sciences sociales grâce à différents auteurs qui ont pensé le risque davantage

comme un construit social qui doit être contextualisé (Ewald, 1986; Foucault, 2001; Lupton, 1999a et b; Tulloch et Lupton, 2003; Beck, 2008; Douglas, 1992; Castel, 1981).