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La gestion des risques biologiques permet de prévenir l’apparition de la maladie infectieuse afin d’assurer la sécurité du vivant pour l’ensemble de la population puisque le « risque concerne principalement la sécurité» (Tansey et O’Riordan, 1999). C’est un postulat biomédical émergent attendu que la culture de sécurité reliée à la sécurité du patient est présentée comme une nécessité et une priorité en recherche (OMS, 2008; O’Byrne, 2008). Il est donc important de dresser un portrait bref de cette culture de sécurité.

La culture de sécurité (safety culture) est bien décrite dans l’industrie, préoccupation survenue suite aux accidents majeurs telle que la catastrophe de Tchernobyl et qui touche à la psychologie des organisations (Guldenmund, 2000). La culture de sécurité est une facette de la culture organisationnelle utilisée pour décrire les valeurs partagées au sein de l’organisation qui influencent les attitudes et les comportements des membres de l’organisation (Cooper, 2000). Selon Schein (2004), la culture de sécurité peut être étudiée sur trois niveaux différents : les postulats, les valeurs adhérées et les artéfacts. Selon Guldenmund (2000), les attitudes du personnel rejoignent les valeurs auxquelles l’organisation adhère et touchent au climat de sécurité.

Il est difficile de trouver une définition unique de la culture de sécurité qui est un concept émergent, mais nous pourrions retenir la suivante :

« un schéma intégré de comportements individuels et organisationnels basés sur des croyances et des valeurs partagées qui tentent constamment de réduire les méfaits pour les patients qui peuvent se produire durant la dispensation des soins » (Kizer, 2004 IN Hellings, Schrooten, Klazinga et Vleugels, 2007).

À titre d’exemple, depuis 2008, développer une culture de sécurité est la voie adoptée par le Service public fédéral de santé publique belge en matière de sécurité des

patients, voie décrite dans sa note stratégique d’ici 2012 (SPFSP, 2008). La mesure de la culture de sécurité y est présentée comme un concept central d’où s’articulent toutes les démarches visant à optimiser la sécurité des patients en milieu hospitalier. Les autorités de Santé publique belges proposent donc qu’en 2008, l’ensemble des hôpitaux belges réalisent une première mesure de la culture de sécurité au moyen d’un outil développé par Hellings (2008). Entre 2009 et 2011, l’autorité de Santé publique Belge demande à chaque hôpital de déployer des projets en lien avec la sécurité des patients tel le développement de systèmes de notification des incidents/accidents sécurité patient, l’analyse de causes racines en cas de survenue d’évènements indésirables ou enfin l’analyse a priori des risques à l’aide d’une méthodologie appelée Failure Modes and Effect Analysis qui a été initialement développée dans l’Industrie (IEC, 2006; ISO 31010, 2009). Enfin en 2012, la Santé publique belge prévoit que chaque hôpital réalise une 2e mesure de la culture de sécurité afin d’en évaluer les améliorations en regard de la première mesure de 2008 (SPFSP, op cit.).

Au Canada, c’est plutôt l’Institut canadien pour la sécurité des patients (ICSP) qui donne l’impulsion en termes de culture de sécurité et de sécurité du patient à développer dans les établissements de santé (ICSP, 2011). Leur objectif est de privilégier des soins de santé sécuritaires pour tous les canadiens. À ce titre, l’ICSP a développé plusieurs projets touchant à la sécurité du patient dont le lavage des mains afin de gérer les risques biologiques via la campagne nommée Arrêt/Stop ou encore l’émission de lignes directrices quant à la divulgation des événements indésirables et donc la reconnaissance des erreurs systémiques. L’ICSP fournit également des outils pour cibler les causes souches à l’origine des tels événements afin de tendre vers plus de sécurité et de qualité dans les soins de santé. Selon Reason, Carthey et de Leval (2001), diagnostiquer le syndrome du système vulnérable est un préalable essentiel à la mise en œuvre réelle d’une gestion des risques au sein des organisations hospitalières. Ce syndrome du système vulnérable est composé de trois éléments : le blâme des collaborateurs de terrain, le refus de reconnaître que des erreurs systémiques affaiblissent le système et enfin la poursuite aveugle d’objectifs financiers et/ou de rendement. Reason (2005) propose un glissement d’un climat

organisationnel centré sur l’identification des fautes personnelles et la recherche du coupable vers un élargissement à la dimension organisationnelle et systémique : il va jusqu’à parler de défaillance organisationnelle. Ternov et Akselsson (2005) ont démontré que les vulnérabilités du système constituent des causes contributives à des accidents impliquant la sécurité des patients. D’après Reason (2000), les organisations dites hautement fiables sont des exemples d’approche systémique. Ces organisations travaillent de manière constante à améliorer leur culture organisationnelle liée à la sécurité c'est-à-dire en ne se centrant pas sur la prévention de défaillances localisées, mais en rendant le système-organisation aussi robuste que possible, en travaillant sur sa résilience c'est-à-dire, sa capacité organisationnelle à faire face à un évènement indésirable. Kline, Willness et Ghali (2008) ont récemment publié une étude identifiant et modélisant les variables du climat de sécurité au niveau individuel, du groupe, de l’unité et du système. Ces auteurs estiment que la culture de sécurité des patients prédit la sévérité des accidents sécurité patient justifiant l’importance de monitorer et d’encourager une culture de sécurité positive telle que développée dans l’industrie (nucléaire, aviation, etc.) à l’aide de méthodes qui pourraient être transférées vers le secteur des soins de santé.

Cette culture de sécurité tant souhaitée est à présent dite mesurable dans différentes dimensions présentes au sein d’un hôpital tel que : « le taux de transfert », « le soutien du management pour le patient safety» ou encore « la réponse non punitive aux erreurs» (Hellings et coll., 2007). Une fois ces dimensions culturelles explorées au sein de l’organisation par une enquête, un plan personnalisé de changement culturel est possible afin de développer une culture de sécurité, ce qui constitue un défi important pour les gestionnaires (Hellings et coll., 2007). D’autres auteurs semblent avoir de la difficulté à mesurer le patient safety culture par des enquêtes comprenant des dimensions culturelles au sein d’établissements de santé canadiens (Ginsburg, Gilin, Tregunno, Norton, Flemons, et Fleming, 2009). Suite à la consultation d’articles retrouvés dans les bases de données explorées, il apparaît que les domaines du patient safety et de la culture safety sont en développement : jusqu’à présent, les auteurs se sont davantage attardés à mesurer le climat de sécurité plutôt que la culture de sécurité (Zohar, Livne, Tenne-Gazit, Admi et Donchin,

2007; Singer, Meterko, Gaba, Falwell et Rosen, 2007; Singla, Kitch, Weissman et Campbell, 2006). Selon Guldenmund (2000), le climat de sécurité constitue la composante mesurable de la culture de sécurité et comporte par exemple la perception de la sécurité par les employés et le comportement du management.

Une revue de la littérature ayant trait aux évaluations du climat de sécurité patient au sein d’organisations a été conduite par Colla, Bracken, Kinney et Weeks (2005). Il en ressort que les études menées utilisaient toutes une échelle de Likert essentiellement pour mesurer les comportements individuels. En outre, les dimensions du climat de sécurité identifiées furent : le leadership, les procédures, la communication, le staffing et la notification des évènements indésirables. Ces auteurs concluent leur étude en insistant sur le fait que d’autres recherches devraient être menées afin d’établir un lien entre le climat de sécurité et les patients outcomes.

Une critique majeure en lien avec cet impératif de développer une culture de sécurité afin d’assurer la sécurité des patients et des soins de qualité à la population tient sans doute dans le concept même de culture. En effet, l’étude de la culture est un concept central en anthropologie, mais ce dernier a été repris, déformé et est à présent associé à la sécurité du vivant dans d’autres champs que l’anthropologie. Selon Cuche (2010), le terme culture est emprunté pour imposer une lecture de la réalité sous un angle managérial alors qu’en fait, la culture « ne se manipule pas comme un vulgaire outil » (p.8). La culture organisationnelle constitue un moyen stratégique pour les dirigeants d’entreprise d’obtenir des travailleurs leur identification et leur adhésion aux objectifs de l’organisation qu’ils avaient définis dans un contexte de doute et de suspicion, dans un contexte de crise économique (Cuche, 2010, p.116). Dans un même ordre d’idée, l’impératif de culture de sécurité surgit dans un contexte de crise pandémique anticipée par l’OMS (Lakoff et Collier, 2008) où la notion de culture de sécurité semble constituer un moyen stratégique pour la santé publique de favoriser l’adhésion aux objectifs en lien avec la réduction des maladies infectieuses par l’adoption de mesures de PCI afin d’assurer la sécurité des patients.

Il est de notre avis que l’on ne puisse prétendre saisir la complexité de la culture par la mesure d’une ou de plusieurs de ses dimensions, car on en perd son essence en la catégorisant, en la découpant. La culture comporte des enjeux sociopolitiques et financiers liés à la sécurisation de la santé (Fidler, 2007) qui dépassent de très loin le développement d’instruments psychométriques. Cette préoccupation émergente face à la culture de sécurité est le produit d’une conceptualisation réaliste du risque, conception largement critiquée par Lupton (1999) et très présente en santé publique (Lupton, 1993), conception que nous développerons dans le cadre de référence.

Les tenants de l’approche critique du risque et de la sécurité, influencés par Douglas et Wildavsky (1983) considèrent que « les attitudes et les jugements à propos des risques (…) sont définis dans les relations culturelles, nommées comme étant les attentes et les systèmes de valeurs de personnes appartenant à un groupe distinct» (Tansey et O’Riardan, 1999, trad.lib. p.71). Selon ces auteurs, « les théoriciens culturels soutiennent que le débat social au sujet des risques ne peut pas être réduit aux préoccupations en matière de sécurité, et démontrent plutôt combien ils sont inséparables des enjeux entourant le pouvoir, la justice et la légitimité » (Tansey et O’Riardan, op.cit.).

Il existe de nombreuses façons de définir la culture, mais selon nous, c’est une entité vivante, multiforme et en constante évolution. La culture peut se transmettre de génération en génération mais se développe avant tout dans un contexte sociohistorique donné à l’intérieur de rapports de groupes sociaux entre eux (Cuche, 2010). La culture est l’expression de notre Humanité, des liens que nous tissons entre nous et peut s’observer dans les corps, dans la langue, dans les artefacts, mais surtout dans les relations qui existent entre les sujets et les objets, ainsi qu’entre les sujets entre eux. Par ailleurs, Cuche (2010) souligne que « l’homme est essentiellement un être de culture » (p.5) et Augé (1988) aborde le problème non pas de la culture mais des cultures. En ce sens, il n’existe plus de culture uniforme fondée sur les différences entre les peuples tel que conceptualisé autrefois.

La culture constitue plutôt une « adaptation imaginée et contrôlée par l’homme qui se révèle beaucoup plus fonctionnelle que l’adaptation génétique, car beaucoup plus souple

et plus facilement et rapidement transmissible (…) la notion de culture, comprise dans le sens étendu, qui renvoie aux modes de vie et de pensée, est aujourd’hui assez largement admise (…) culture et identité sont des concepts qui renvoient à une même réalité (…) les rapports étroits entre culture et identité sont très perceptibles dans le monde du travail » (Cuche, 2010 p.5-8).

Face à cette multiplicité, la culture organisationnelle dans une approche managériale impose plutôt son système de représentations et de valeurs à ses membres en déterminant les attitudes et les comportements de ses membres. Ne pas adhérer à la culture de l’entreprise reviendrait à s’exclure de l’organisation (Cuche, 2010, p.116). Dans ce contexte, la question de culture de sécurité soulève plusieurs enjeux pour les infirmières québécoises qui travaillent au sein du RSSS.