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Chapitre 2. Les violoneux 33

4. Le style 73

4.3 Éléments de style communs et individuels chez les violoneux du SLSJ 77

4.3.4 La rythmique 92

Selon Jean Desgagné, c’est la rythmique qui serait caractéristique du jeu des violoneux au SLSJ : un « swing » particulier, qu’il décrit en employant le qualificatif « carré » (chap.1, p.31). Nous soulèverons maintenant quelques techniques de jeu qui, combinées, pourraient contribuer à cette

rythmique particulière décrite par Jean Desgagné.

Dans un premier temps, le qualificatif « carré » nous force à considérer

l’hypothèse selon laquelle les violoneux du SLSJ joueraient leurs croches sans les faire « swingner », c’est-à-dire que toutes leurs croches seraient

approximativement de même durée, ce qui contribuerait à une certaine rythmique « carrée ». Or, lorsque nous observons la rythmique générale des violoneux du SLSJ, nous constatons que si les croches sont généralement jouées de façon « carrée », il arrive néanmoins que celles-ci soient jouées de façon irrégulière, c’est-à-dire que la première croche d’un groupe de deux croches soit prolongée, écourtant de ce fait la suivante. Nous avons notamment observé que les violoneux « swignaient » à l’occasion un, voire plusieurs couples

de croches au cours d’une pièce, sans que le sentiment de carrure, ni le

« swing », n’en soit compromis.112 Pour ces raisons, nous ne croyons pas que le concept de jeu « carré » décrit par Jean Desgagné ne se situe littéralement dans le jeu égal des croches.

Un second élément à considérer dans l’étude de la rythmique est l’accentuation. Au violon, les accents peuvent être réalisés, entre autres, en accélérant la

vitesse de l’archet, c’est-à-dire en augmentant la distance parcourue sur les crins de l’archet, ainsi qu’en appuyant davantage sur l’archet, c’est-à-dire en ajoutant du poids sur ce dernier – ou même en combinant ces deux techniques. Ce jeu dans le poids et la vitesse de l’archet peut s’observer notamment dans les modèles de coups d’archets, qui sont créés en combinant de différentes façons des notes liées avec des notes détachées. Par exemple, selon Zenger, le coup d’archet slur two, saw one, qui consiste à enchaîner un modèle de deux notes liées suivie d’une note détachée, favoriserait l’accent attribuable à la vitesse d’archet, un accent qu’il considère comme « naturel », n’étant pas forcé par un ajout de poids :

« The accent is always on the single note which must cover the distance on the bow which two slurred notes covered, so it quite naturally is accented. » 113

Cependant, tel que discuté plus haut (chap. 4, p.84), nous n’avons relevé aucun modèle commun dans les coups d’archets comprenant des liaisons chez les violoneux du SLSJ, c’est pourquoi nous nous permettons d’avancer que les modèles de coups d’archet ne seraient pas révélateurs d’un « swing » commun parmi ces violoneux.

                                                                                                               

112 Spécifions que l’irrégularité des croches n’a généralement pas été notée lors des

transcriptions afin de ne pas alourdir la lecture. Lorsqu’elle fut notée, elle est indiquée par la figure rythmique « croche pointées double ».

113 Zenger, Dixie Robison, Violin Technique and Traditions Useful in Identifying and Playing North

En revanche, nous avons observé que le jeu des violoneux du SLSJ était

généralement réalisé avec une accentuation plutôt mécanique qui se réalisait en appuyant davantage sur les temps forts. Une monotonie rythmique qui pourrait contribuer à créer un effet de swing « carré » chez ces violoneux. En effet, l’accentuation des violoneux du SLSJ est généralement régulière, c’est-à-dire que d’une part, il se fait peu d’accentuations sur les contres-temps, que ce soit sur un temps faible ou sur la partie faible d’un temps, et que de façon générale, ce sont les temps forts qui sont accentués, comme l’avait observé Remon et Bouchard (chap.4, p.73) au sujet des violoneux québécois en général, le tout produisant pour l’oreille un effet plutôt monotone et mécanique. Selon Jean Desgagné, l’accentuation des temps forts s’explique du fait que la musique du SLSJ aurait toujours été associée à la danse. Ainsi, il était autrefois nécessaire de « marquer » les temps forts (voir lexique, annexe 7), c’est-à-dire qu’il fallait appuyer plus sur l’archet lors des temps forts, ou pour reprendre le terme de Jean, il fallait « l’écraser » (voir lexique, annexe 7) afin de bien accompagner les danseurs :

« I a une raison pour ça [pour laquelle on n’accentue pas les contre- temps au SLSL] : c'tait pour danser. Ça fait que l'temps fort… i jouaient pas sul contre-temps. Asteure, on essaye, mais on n’en fait pas

beaucoup. De temps en temps c't'intéressant. Mais pas tout le temps. »

Enfin, signalons également les techniques de jeu détaché comme la note effleurée et le crochet, qui contribuent à créer cette régularité rythmique.

Rappelons que chez les violoneux du SLSJ, la note effleurée ne produit aucune syncope, puisque c’est la première des deux croches qui est jouée avec plus de poids, la deuxième n’étant qu’effleurée. Quant au crochet, ce dernier pourrait également contribuer à une certaine stabilité au niveau rythmique. En effet, les noires d’une mélodie sont souvent remplacées par deux croches, ce qui fait que dans un reel, plutôt que de jouer une combinaison de croches et de noires, les violoneux ont tendance à ne jouer que des croches successives, dans un « ta- ca-ta-ca-ta-ca-ta » continue, les notes ne s’arrêtant plus. Selon Jean Desgagné, la technique du crochet, aussi pratiquée du temps de son père et pour laquelle il

ne connaît aucun terme spécifique, aurait probablement été développée à cause du contexte de jeu du violoneux, qui devait autrefois jouer seul pour les danses. Le violoneux aurait eu tendance à remplacer les notes longues – les noires, mais aussi les blanche – par des croches : « chu certain qu’i faisaient ça rien que pour faire plus de son. Fallait que l'violon, i sonne fort. » (Jean Desgagné, 2019- 08-07). Ainsi, non seulement le crochet, mais plus généralement, la technique de monnayage, également observée par Duval dans le style de certains

musiciens Québécois (Duval, 2012, p.102), pourrait contribuer à la régularité rythmique chez les violoneux du SLSJ.

En outre, les techniques de jeu détaché comme le crochet, les coups doubles et les coups multiples sont réalisées avec un coup d’archet saccadé, ou

« sautillage », contribuant également à une rythmique « carrée » ou mécanique.