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d Russell et les théories des types et pas de classe

En 1918, en plus de ses considérations générales sur les possibilités pour les langages (ou les mondes) de parler d'eux-même, Wittgenstein, [448], ne conçoit pas non plus cette possibilité pour les propositions:

((3.332. Aucune proposition ne peut énoncer quelque chose sur elle-même, parce que le signe propositionnel ne peut pas être contenu en lui-même; (c'est là toute latheory of types).))

L'important est dans la remarque ajoutée à la proposition, plus que dans le fait que Wittgenstein n'envisage pas les méthodes de Gödel ou le Menteur de Quine: la théorie des types se résume essentiellement à une restriction. Russell se déclarait en eetguidé, et même exclusivement, par un principe d'((avoidance of contradictions))

rig;388. Autrement dit, il s'agit d'appliquer le principe du cercle vicieux que Russell (1906) exprime de la façon suivante.

((Je reconnais [...] ceci de vrai dans l'objection que M. Poincaré fait à l'idée de totalité, que tout ce qui concerne d'une manière quelconque tout ou quelque ou un quelconquedes membres d'une classe ne doit pas être un membre d'une classe.))

389;390

Il présente cela plus précisément (((dans le langage de M. Peano))) de la façon suivante.

((Tout ce qui contient une variable apparente ne doit pas être une des valeurs pos-sibles de cette variable.))

391

Mais Russell arme très clairement que ce principe du cercle vicieux ne constitue pas en soi une solution: il faut bâtir une théorie générale dont celui-ci soit une conséquence392.

Les principales théories développées par Russell et à sa suite furent les diérentes théories des types ainsi que la théorie((pas de classe)), extrêmement proche dans son principe. Même si main-tenant, et ce probablement depuis l'avénement des théories de la vérité, ces théories apparaissent comme construites de façon ad hoc, tant elles sont centrées sur l'idée d'éliminer les paradoxes, elles bénécient alors d'une aura et d'une attention considérables. En 1939, alors que la théorie des ensembles s'était implantée en mathématiques depuis plusieurs années et que la théorie de la vérité de Tarski avait supplanté la restriction à la Russell, Frænkel & Bar-Hillel, [147], considè-raient encore que ((la position de Russell dans les dix premières années du siècle ne saurait être considérée comme actuellement dépassée.))Et de récuser que cette théorie fût ad hoc, ce qui est un indice indéniable qu'elle commençait déjà de recevoir cette critique. Sur ce point, Beth déclare en 1950, [35], que la théorie des types est souvent considérée comme un artice ingénieux plus que comme une solution réelle. Malgré tout, en 1967, van Heijenoort, [433], considère encore que la théorie des types constitua une((major advance))

rid ce qui est probablement toujours une opinion très répandue, au moins dans les cercles philosophiques. (393)

On fait parfois remonter l'idée des théories russelliennes à la distinction entre substance et es-pèce que l'on trouve déjà chez Aristote394. Toujours dans un contexte très diérent des paradoxes, elle fut également anticipée par Ernst Schröder dès 1890 (395).

388:Cf. Russell (19051906), [352].

389:Russell (1906), [351], p. 634.

390:Sur ces derniers mots la traduction française de la pensée de Russell ne semble pas fameuse. Ainsi exprimée elle est bien plus forte que l'autre formulation donnée par Russell et qui la suit immédiatement (que nous reproduisons). Si l'on veut suivre cette dernière il faut peut être lire((de cette classe))plutôt que((d'une classe)). Cette expression est plus faible, maintenant, que la formulation précise, mais certainement plus proche.

391:Russell (1906), loc. cit. : [351], p. 634.

392:Cf. Russell (1906), op. cit., [351].

393:Nous nous proposons ici de décrire cette théorie, mais le volume de commentaire que nous lui accorderons ne doit pas être mis en relation avec l'éventuelle importance que nous lui accorderions. Seules pour nous comptent la position et l'inuence des théories. Le volume du développement n'est conditionné que par la place nécessaire pour donner les explications que nous jugeons utiles pour notre développement.

394:Cf. Beth, [35].

Dans le cadre de la solution des paradoxes, la théorie des types apparaît chez Russell dans les

Principles of Mathematics, [349]. Le concept de type logique est donné au chapitre 10 et l'idée est développée dans l'appendice B; la théorie((pas de classe))est également suggérée. D'après van Heijenoort, [433], le corps du texte fut rédigé en 1901 et l'appendice B inséré avant publication en 1903.

En 1905 et 1906, tout en cherchant tous azimuts, Russell promouvra surtout la théorie((pas de classe)). Dès [350] (1905), au moins, Russell prétend éviter les paradoxes à l'aide d'une théorie des propositions basée sur des substitutions. Fin 1905, [352], il abandonne temporairement la théorie des types, au prot de trois autres possibilités: la théorie du zig-zag que nous avons évoquée, une théorie de limitation de la taille des classes, proche de celle mise en ÷uvre pas les théories des ensembles à la suite de Zermelo396, et enn la théorie((pas de classe))où les classes n'apparaissent que comme((façons de parler))et dont les principes sont proches de ceux de la théorie des types. Il donne sa préférence, encore que discrètement, à cette dernière. A ce moment la question est devenue claire: il faut savoir quelles ((normes))(propriétés, fonctions propositionelles) dénissent des classes. En 1906, [351], il abandonnera les théories du zig-zag et de la limitation de grandeur, qu'il trouve infructueuses et armera que la solution de tous les((paradoxes du transni))est dans la théorie((pas de classes)).

On admet généralement que Russell reprendra et approfondira l'étude de la théorie des types entre 1906 et 1908(397). Grâce à leur proximité, il est probable que la théorie ((pas de classes))

ayant atteint un bon niveau de développement, Russell pu mieux cerner les dicultés de la théorie des types. Pour parer à certains défauts de la première théorie, Russell introduisit une dénition générale de l'ordre d'une formule et ramie les types de relations sur cette base. Cette ramication, seule, interdit les théorèmes simples, ce qui amène Russell à ajouter une règle de simplication des ordres, l'axiome de réductibilité, de signication fort peu claire. La théorie (ramiée) des types atteint son état classique dans les Principia Mathematica (19101913), [445], dont elle assure la clef de voûte. Pour beaucoup de logiciens, surtout d'orientation philosophique et surtout de la première moitié du siècle, cet ouvrage constitue les bases de la logique moderne398. C'était en tout cas son ambition, si l'on en juge par le titre qui fait écho à celui du maître-ouvrage de Newton399. Nous nous accorderons au moins eectivement sur le fait qu'il les expose. C'est cet état de la théorie qui est généralement désigné par la locution ((la théorie des types)).

Cette théorie malcommode et selon Russell lui-même (1919), [356], d'une certaine façon encore chaotique, confuse et obscure400, subira plusieurs propositions de simplication, notamment par Norbert Wiener (1914), Chwistek (1922) et Ramsey (1926)401. C'est cette dernière, qui se jus-tie directement sur le regroupement des paradoxes que nous avons vu qui, seule, fera vraiment date sous le nom de théorie simple des types. Exit ainsi dénitivement la ramication, cause de nombreuses dicultés qui ((touche[nt] presque au paradoxe)) comme l'innité d'ensembles vides diérents, ou la pluralité des systèmes de nombres402. La théorie des types (ramiée) sera aban-donnée dans la seconde édition desPrincipia..., [446].

Au-delà des jalons que nous avons posés, on retiendra de l'histoire de cet ensemble théorique qu'il aura subi de nombreux amendements.

Présentons maintenant en quelques mots les principes de ces théories. Tout d'abord, Russell est très clair sur ce point, et va jusqu'à déclarer absurde l'opinion contraire, une variable doit être susceptible de toutes les valeurs possibles (pour un type logique donné)403. Russell rejette ainsi le cadre maintenant standard d'un univers du discours404aussi bien que le principe d'abstraction

396:cf. infra

397:Cf., p. e., Beth, [35] et [36].

398:Martin Gardner, [158], p.e., lui reconnait encore ce rôle en 1975.

399:La locution((Principia)), tout court, désigne le plus souvent l'ouvrage où Newton présente son système méca-nique du monde ainsi que sa loi universelle de la gravitation.

400:Cf. Russell, [358], p. 159.

401:Cf. Dumitriu, [120] et Beth, [36].

402:Cf. Frænkel & Bar-Hillel, [147].

403:Cf. particulièrement Russell (1906), [351].

404:Le cadre logique standard, tel que xé par la théorie des modèles veut que les prédicats fassent référence aux objets d'un domaine ou univers du discours (généralement) donné par avance. Un prédicat s'appuie donc toujours

(bornée) ou le schéma de compréhension tels qu'ils fondent les théories des ensembles . L'esprit général, frégéen, est celui d'une analyse et d'une précision du langage naturel; il n'admet aucune limite de domaine ou d'objet et veut englober toutes les propositions possibles406.

Le principe de la théorie des types est de considérer comme étant de nature diérente, par exemple, un objet (de base) et les ensembles de tels objets, qui sont de type supérieur, les ensembles d'ensembles qui sont de type encore supérieur, etc. On le voit, le rapprochement avec la distinction entre substance et espèce présente chez Aristote n'a rien d'indû. L'idée est sensiblement la même, mais systématisée. Cette distinction étant faite, il s'agit d'interdire des relations qui ne peuvent alors avoir de sens, comme((v

1est élément dev 2

))v

1représente une variable d'un type supérieur à celui de celle dev

2. Le principe d'interdiction est le même que celui qui prévalut jusque tard en mathématique de ne combiner que des variables de même dimension, excluant ainsi des expressions comme dex

2

+x oux+ p

x(407), toutes interdictions que l'on saisit mal maintenant.

Dès le début, les théories des types intégraient comme objets (i.e. valeurs de variables) des propositions aussi bien que des individus, ce qui rendait la théorie particulièrement complexe puisqu'elle devait gérer des dicultés, parfois dédoublées, de diérentes natures, contrairement aux théories des ensembles ou aux axiomatiques de Peano qui ne comportent comme objets que des individus. Très vite Russell dut simplier son système et choisit de se concentrer sur les propositions: c'est la théorie ((pas de classe)). L'équivalent du type y est le nombre de ((variables apparentes)) (variables libres). Ce système ne formalise pas la notion d'ensemble mais présente quand mêmel'avantage qu'il n'était pas nécessaire de tout refaire puisque celle-ci peut se reformuler en termes de propositions. Russell fait explicitement le parallèle avec le cas des inniment petits qui n'avaient pas encore été dénis rigoureusement à l'époque et étaient reformulés dans les termes de la théorie de la limite408. Cette théorie, quoique plus simple que la théorie des types (sa première version ou sa version ramiée), nécessitait en plus de la reformulation que nous avons dite, une méthode élaborée de substitutions de formules, et restait donc peu maniable.

Le problème essentiel des théories des types et((pas de classe))est la typication de la vérité qu'elles introduisent. Par exemple, dans le vocabulaire de la théorie((pas de classe)), Russell (1906), [351], indique explique que le tiers exclu n'apparaît pas commeuneproposition(vraie) mais comme une énonciation vraie: le sens de ((vrai)) varie en fonction du nombre de((variables apparentes))

(variables libres). Sa version simpliée est cependant susamment simple pour conserver un certain nombre d'adhérents.

D'autres problèmes, plus profonds existent également. Koyré (1947), [237], arme ainsi que si((la théorie des types [est] extrêmement élégante, ingénieuse et, en partie, juste)), elle reste fort malaisée à admettre du seul fait qu'elle et ses conséquences n'ont aucun sens d'après elle-même. Cette critique est a priori valable pour toute théorie restrictive qui voudrait s'appliquer à tout le langage: comme tout relativisme, elle s'auto-réfute, d'une certaine façon. Pour Mackie (1973), [266], ces théories apparaissent commead hoc puisqu'elle ne fondent sur rien leur hiérarchie de sens de ((vrai)), ((dénition)), etc. Pour être une solution philosophique, une telle théorie devrait apporter une raison ((positive)) et ((indépendante)) pour une telle hiérarchie. En un mot il s'agit simplementd'une restriction, non d'une théorie de la vérité. D'une façon plus mineure, en regardant vers les exigences passées au lieu des exigences futures, Beth (1950), [35], note que ces solutions apparaissent comme incompatibles avec le programme intégral du logicisme puisque l'axiome de réductibilité et l'axiome de l'inni ne sont pas purement logiques.

ontologiquement sur des niveaux inférieurs.

Bien avant une conception aussi structurée, de Morgan introduisit dès le milieu duxixesiècle la notion d'univers du discours pour bien marquer la dualité inhérente à la notion du prédicat. L'univers du discours, vu comme ensemble des objets, est séparé par chaque prédicat en deux parties : les objets qui le satisfont et ceux qui satisfont sa négation. Selon cette conception de l'univers du discours, on peut dire que Russell défend l'existence d'un univers du discours absolu, englobant tout.

405:Quine, [336], se fait l'écho de cette opinion en armant qu'une règle de compréhension qui n'est pas absolue n'est pas naturelle.

406:Cf. particulièrement Russell (1905), [350].

407:Maisx 2

+a:xoùaa même dimension quexétait valide ce qui fait quex 2

+xpouvait se comprendre comme

((la surface d'un carré de côtéxajoutée de celle d'un rectangle de côtéxet l'unité (par exemple, une toise).)) 408:Russell (1906), [351].