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Mais une négation, en soi, n'est pas toujours apparente et peut prendre des formes très variées. C'est ce que nous nous proposons d'observer sur les exemples suivants.

Le plus surprenant de ces exemples, qui nous a rendu quelque peu perplexe, a été introduit par un court article au ton humoristique. Le problème qu'il pose n'a pourtant rien d'avenant.

Paradoxe 60 : MINIAC

Source :

Thomas Storer, [408], 1962129.

Voici un procédé infaillible et peu onéreux pour répondre à toute question imaginable: MINIAC. Pour contruire MINIAC: Prendre une pièce de monnaie et coller deux pastilles portant respective-ment un((OUI))et un((NON))sur ses deux faces.

Pour faire opérer MINIAC, procéder alors comme suit.

1. Tenir MINIAC entre le pouce et l'index et poser votre question, A. Par exemple: ((Va-t-il pleuvoir de-main?)).

2. Lancer MINIAC.

3. Noter la réponse:((OUI))ou((NON)).

4. Poser la question B:((Est-ce que la seconde réponse aura la même valeur de vérité que la première?))

et lancer MINIAC.

5. Noter la réponse:((OUI))ou((NON)).

La réponse à la question A était vraie ou fausse, toute comme celle à la question B. On n'en sait rien, à première vue, mais un petit raisonnement nous montre que si la réponse B est((OUI)), alors la réponse A est vraie et qu'inversement si la réponse B est((NON)), alors la réponse A est fausse. Dans tous les cas, on peut déduire la bonne réponse à sa question.

Le lien avec les dilemmes que nous avons présentés jusqu'à présent n'est pas évident. Pour mieux le voir continuons avec quelques autres exemples, qui sont parfois désignés sous l'apellation famille

126:Cf. supra, le paradoxe du doute: paradoxe 15, p. 41.

127:Nous reprenons la citation de Ashworth, [13], n. 5 p.47.

128:On peut voir, en calcul des propositions (classique), que((X^p$X^:p))équivaut à((:X)), quel que soitp.

129:Nous adaptons l'histoire originale. L'article référencé ne contient que l'exposé de ce paradoxe. Le lecteur pourra également se reporter au livre de J. Mackie, [266], qui le cite (presque) intégralement.

de paradoxes de Prior. Prior l'introduit en 1961, [330], avec une interprétation de l'Epiménide qui dière sensiblement des lectures usuelles130.

Paradoxe 61 : l'Epiménide selon Prior

Source :

Arthur Prior, [330], 1961.

Comme toujours, Epiménide le crétois déclare((Tous les crétois mentent)).

En suivant Church, Prior note que, stricto sensu, on n'a de paradoxe que si il n'y a pas d'autre phrase prononcée par un crétois, ou, plus précisément, pas d'autre phrase qui soit vraie131. Mais Prior va plus loin: c'est que le fait qu'Epiménide prononce cette phrase entraîne logiquement (et il le démontre formellement) qu'il existe une autre phrase prononcée par un crétois qui se trouve être vraie.

Tout en le regrettant, Prior déclare((we must just accept the fact that thinking, fearing etc., because they are attitudes in which we put ourselves in relation to the real world, must from time to time be oddly blocked by factors in that world))

kz;132.

La démonstration de ce fait n'a rien de compliquée, en soi, mais elle est un peu longue133. Le raisonnement sous-tendu reste cependant assez simple et Prior donne un certain nombre d'autres exemples similaires134, cependant le shéma sera encore plus visible sur l'exemple suivant qui remonte à Curry.

Paradoxe 62 : le paradoxe de Curry (2)

Source :

Haskell B. Curry, [96], 1942 (135)

Note :

On trouve aussi le nom((paradoxe de Löb))(cf. infra).

Considérons l'assertion suivante:

((What I am now saying is not so unless God exists.))

kj

Supposons que cette phrase soit fausse, comme il s'agit d'une implication136

, cela signie que 1) elle est vraie, et que 2) Dieu n'existe pas. Donc elle est nécessairement vraie, ce qui correspond au fait que son existence implique l'existence de Dieu. On peut alors conclure que Dieu existe.

De cet exemple nous retiendrons qu'il a été rapproché d'une forme du théorème de Löb qui le résume à ((siA est une formule qui s'arme prouvable dans T, alorsA est vraie dansT)). Nous avons vu plus haut137, en eet, que c'est une conséquence du théorème de Gödel que si

T'!'

est vraie dansT alors'est vraie dansT; il sut donc que'arme sa compatibilité avec T. A fortiori si'$

T','sera automatiquement vraie. Tout comme le théorème de Gödel, interprété sans distinction entre vérité et prouvabilité conduisait au Menteur, le théorème de Löb, dans les

130:Nous évoquons celles-ci plus haut et les détaillons plus bas: cf. V.2.a, pp. 70 sqq.

131:Ce type de situation était fréquemment utilisé au Moyen Age pour désigner une phrase dans elle-même. Cf. supra Omnis propositio...

132:Prior, op. cit., [330], Ÿ 39, p. 32. Cependant, Prior note plus haut que ceci l'oblige à distinguer le simple énoncé d'une phrase et le fait de dire vraiment ce qu'elle est censée dire (Ÿ 31, p. 28).

133:Nous la reprenons ici dans la mesure où Prior la donne dans une notation polonaise impossible à lire pour beaucoup de logiciens actuels. Par ailleurs, Prior note tout à l'aide de l'implication et de la quantication universelle : le faux est?=(8p)p(dans nos notations) et la négation:p=p!?.

Nous conservonsdcomme notation de l'opérateur de Prior, qui signie en l'occurrence((Un crétois dit...)). Si

C=8p;dp!:psymbolise la phrase d'Epiménide, nous avons alors :

ligne résultat justication

T1. (8p;dp!:p)!(dC!:C) instanciation universelle deC T2. dC!(C!:C) T1 et[p!(q!r)]![q!(p!r)] T3. dC!:C T2 et[p!(q!:q)] $ (p!:q) T4. dC!(9p;dp^p) T3 et:(p!q) $ (p^:q) T5. dC!(dC^:C) T3 et(p!q) ! (p! p^q) T6. (dC^:C)!(9p;dp^:p) généralisation existentielle T7. dC!(9p;dp^:p) T5, T6 T8. dC![(9p;dp^:p)^(9p0;dp0 ^p0 )] T4, T7

134:Comme Prior, [330], ne désigne jamais ce qu'il entend exactement par((a familly of paradoxeskh)), l'usage est un peu otant pour savoir si c'est bien cela qui constitue sa famille.

135:Nous reprenons l'exemple de Max Black, [46], p. 72.

136:((An'est pas vrai, à moins queB))se représente parA!Bou:A_B. Si le lecteur ne convient pas de ce que cette représentation est adéquate, il peut remplacer notre exemple par la phrase((Si ce que je dis en ce moment est le cas, alors Dieu existe.))

mêmes conditions nous donne la vérité réelle d'une phrase sur la seule base de ce qu'elle arme. Pour cette raison Boolos & Jerey, [53], appellent ce paradoxe((paradoxe de Löb))

138. La forme originale nous éclairera plus.

Paradoxe 63 : le paradoxe de Curry (1)

Source :

Haskell B. Curry, [96], 1942 (139)

[Première version du paradoxe de Curry, inspirée du paradoxe de Russell:]

On se donneBune formule quelconque, on peut alors construire une formuleAtelle queA=A! B(Aéquivaut au fait queAimpliqueB). Pour cela on poseN=x:x!B, puisH =y:N(yy)et enn,A=HH. On a alors, en eet,A=N(HH)=N(A)=A!B.

Par un raisonnement élémentaire, on peut alors voir que B est vrai. D'abord ` A! A, ce qui équivaut, en remplaçantApar sa valeur, à`A!(A!B), soit`A!B, orA!B=A, donc

`A, d'où, par modus ponens,`B. (140

)

Comme le montre bien Curry, la phrase nale à démontrer peut être quelconque, ce qui n'était pas évident dans la présentation de Prior. Rappelons maintenant que dans de nombreuses logiques le faux peut être simplement désigné par une variable dénotant une proposition quelconque. Ici

B est quelconque et si nous la remplaçons par le faux, nous retrouvons précisément un énoncé du Menteur. Plus précisément, cette présentation nous montre que l'argument du Menteur peut être reproduit en Logique Minimale, une logique encore plus faible que la Logique Intuitionniste. On peut en particulier en déduire que le raisonnement sous-tendant le Menteur ne dépend pas du raisonnement par l'absurde (classique) et pas même du tiers exclu142;143. Si on insiste sur le côté quelconque deB, on peut aussi considérer que ceB représente une négation du second ordre144. On a alorsA0

=A0

!(8B)B, soit A00

=(8B)(A00

!B), qui correspond à la version suivante du Menteur145.

Paradoxe 64 : le Menteur de Curry

Source :

Haskell B. Curry, [96] (146)

If this statement is true, so isA.la[pour touteA]

C'est en ce sens que les paradoxes de la famille que nous venons d'esquisser sont des dilemmes dont la négation, du second ordre, doit être calculée.

Revenons maintenant sur notre premier exemple, le paradoxe de MINIAC. J. L. Mackie, [266], à notre connaissance le seul à l'avoir réellement mis en relation avec le Menteur, distingue les cas possibles selon la vérité de la première réponse. La seconde question devient ainsi, selon les cas, ou ((Est-ce que la seconde réponse sera vraie?)) ou ((Est-ce que la seconde réponse sera fausse?)). La seconde réponse constitue alors ou un Adage ou un Menteur, de façon contingente. Dans l'optique de ce paragraphe le problème apparaît en fait dès la première question du seul fait que

138:Ils ont suivis par Barwise & Etchemendy, [26], p. 23.

139:Nous adaptons légèrement les notations. Voir nos notations de logique fonctionnelle, append. p. 428.

140:Curry donne un autre procédé pour trouver un telAqu'il dit être inspiré du paradoxe d'Epiménide. On raisonne ici avec une numérotation de Gödel141. Sim est le numéro de Gödel deM, etZm un terme le représentant, il existe un termeT (générique) tel queTZm=M. Soit alorsU=x:Txx!Betule code de ce terme. On peut poserA=UZu. On a alorsA=TZuZu!B=UZu!B=A!B.

On montre alors comme dans la première version queBest vraie, quelle qu'elle ait été choisie au départ. On remarquera que ces deux versions du paradoxe de Curry font usage du procédé de réplication employé par le Menteur de Quine

141:Cf. supra, III.5, pp. 48 sqq.

142:Le tiers exclu est l'axiome logique qui arme'_:'(ou, éventuellement,'!'qu'il vaut mieux appeler

((axiome d'armation))). Il faut distinguer soigneusement cette proposition logique de l'armation que la logique comporte deux valeurs, appelée((règle de bivalence)).

143:Nous n'avons vu ce fait mentionné que chez Solomon Feferman (1982), [136], cf. p. 245.

144:Le calcul des prédicats du second ordre se distingue du calcul usuel (du premier ordre) par le fait qu'il est possible d'introduire des quantications sur des prédicats. Le faux,?, y est généralement représenté par(8A)Aet la négation parX!?, soitX!(8A)A.

145:Le Menteur que nous obtenons est n'est pas logiquement équivalent au paradoxe que nous venons d'évoquer, ce serait faire un usage incorrect de la règle de généralisation universellel, mais son fonctionnement est identique.

celle-ci est quelconque: répondre ((oui)) ou ((non)) à une question quelconque revient à armer une contradiction (au second ordre). A la seconde étape, se conditionner à une valeur de vérité quelconque (et même souvent considérée comme encore plus quelconque que la valeur de la proposition exposée par la première question) c'est armer un Menteur du second ordre.