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g Kripke et la théorie de la vérité comme point xe

En 1975, quand Martin & Woodru, d'une part, et Kripke, d'autre part, proposent leur théorie de la vérité comme point xe, les théories à trou sont résolument des théories calculatoires. Aucune justication théorique ou problématique ne semble plus devoir être avancée. Kripke, [276], souligne même sa nette préférence pour des théories précisément dénies, résolument formelles. Selon lui seules celles-là sont à même de faire avancer le débat par ce que ce sont les seules où est clair ce

491:La nécessitation est généralement la règle de logique modale((de'déduire nécessairement-')): ' '

N. Ce nom désigne aussi facilement ses interprétations et des schémas similaires. Van Fraassen estime cependant que((semantic entailement))aurait pu induire le lecteur en erreur.

492:Cf. van Fraassen, [431], p. 147

que défend leur auteur. Par ailleurs, il s'agit de valoriser le travail technique par rapport à la discussion oiseuse sans n.

Quand on itère une procédure de dénition, couche par couche, de la vérité, éventuellement dans le transni, le procédé nit invariablement par s'arrêter, à cause du nombrelimité de formules. On atteint alors un point xe: le procédé itératif, si on l'applique à ce couple

(

vérités

,

faussetés

)

nous rend le même couple, inchangé. R. L. Martin et Peter Woodru, [276], publient, semble-t-il, le premier article promouvant l'usage des points xes dans le domaine des théories de la vérité à trou. Ils s'intéressent, dans ce cadre, aux points xes maximaux, c'est-à-dire à des extensions du prédicat de vérité les plus grandes possible (cohérentes)494. Une sorte d'équivalent, en théorie de la vérité, de l'équilibre de Nash en théorie de la décision: un accord de toutes les valeurs de propositions (en présence) sachant, ex post, la valeur de vérité des autres. Ces auteurs sortent donc, de ce fait, de la stricte itération à partir de la vérité élémentaire puisque ceci ne donne, sauf subtilité, qu'un point xe minimal. C'est à ce point xe, puisqu'il est unique, que s'intéressera plus particulièrement Saul Kripke (1975), [241]. Par la théorie qu'il développe autour de cet outil, mais ce serait plus exact de parler d'outil développé autour de cette théorie (la théorie de la vérité à trou), Kripke apparaît volontiers comme la seconde grande étape après Tarski. Pour beaucoup de commentateurs, l'÷uvre de Kripke amorce une nouvelle réexion et (([dépasse] la solution mutilante [de Tarski]))

495; alors qu'en fait cette solution, comme nous venons de le voir, s'appuie précisément sur une telle remise en cause qui la précède de une à deux décénies.

Cependant l'originalité de Kripke demeure: comme il le t plus tôt pour la logique modale, ce grand outilleur de la logique propose un système permettant une bonne modélisation des théories de la vérité à trou. Lui-même se voit ainsi comme prolongeant et/ou corrigeant la théorie orthodoxe (telle qu'il la voit, il s'agit essentiellement de la théorie de Tarski), la seule approche sérieuse selon-lui, c'est-à-dire travaillée en détail. Son cadre est bien toujours((Qu'est-ce que la vérité?))

496mais il ne s'intéresse plus tant, c'est le moins qu'on puisse dire, à l'aspect((nature de)), comme Tarski, qu'à l'aspect de détermination de ce qui est vrai et de ce qui est faux. Le((nature de))est toujours nécessairement présent mais relégué au second plan. Il s'agit donc toujours d'une théorie de la vérité, mais évaluative (et même calculatoire), non ontologique.

Kripke voulait, avant toute chose, proposer un modèle qui fût applicable invariablement à plusieurs conceptions philosophiques diérentes. Ainsi, s'il pense que ce sont les fameuses entités insaisissables que sont les propositions qui portent la vérité, il n'en prend pas moins les phrases dans son système, arguant de la non-pertinence de la nuance pour le problème. Cela lui permet, de fait, d'utiliser une théorie de l'autoréférence développée pour les phrases, mais moins claire pour les propositions. De la même façon, il base sa logique sur la logique trivaluée forte de Kleene mais arme, et c'est assez clair dans son système, que tout autre système raisonnable comme le système faible de Kleene ou la supervaluation de van Fraassen pourraient également être utilisés497. Dans tous les cas, il sut que la troisième valeur puisse être interprétée comme un trou de valeur de vérité par rapport aux deux autres, lesquelles dénissent une Logique Classique. Les conditionsT

sont maintenant lues

T(')est vraie [resp. fausse] si et seulement si'est vraie [resp. fausse] mais on aurait le même procédé avec

T(')si et seulement si(('est vraie)).

Dans cette conception, un point xe apparaît donc comme une théorie contenant son prédicat de vérité.

Kripke remarqua alors qu'il existait toujours un plus petit point xe,L

, qu'il voyait comme

((probablement le modèle le plus naturel de la vérité)). Mais il alla un peu plus loin en introduisant

494:Ces points xes sont maximaux au sens du lemme de Zorn, et ne sont donc pas uniques (ils ne s'accordent pas sur les adages).

495:Cf. Delahaye (1993), [103]. Barwise & Etchemendy (1987), [26], expriment une opinion similaire.

496:C'est le seul auteur que nous ayons rencontré qui y ait reconnu la sentence de Pilate.

la notion de point xe intrinsèque comme un point xe n'ayant aucun conit avec les autres. On voit facilement qu'il en existe un maximal: il donne une valeur à certaines phrases qui n'ont qu'une valeur possible. Ainsi la phrase (12) présentée par le dilemme suivant ne peut-elle être que vraie, sans gêner la valeur d'aucune autre phrase; elle aura donc pour valeur((vrai))dans un point xe intrinsèque maximal.

Paradoxe 31 : le semi-Adage

Source :

Saul Kripke, [241], 1975.

(12) ((Soit (12) soit sa négation est vraie.))

Par contre, si (3) désigne l'Adage (((cette phrase est vraie))), la phrase(3)_:(3)n'aura jamais de valeur de vérité dans un tel point xe.

Malheureusement l'intérêt des points xes fait aussi leur diculté: bien que cela ne soit pas vi-sible, il s'agit d'un procédé équivalent à l'itération. Aussi, encore une fois, même si cela n'apparaît pas à première vue, la dénition d'un point xe dépend-elle crucialement de la méthode d'enrichis-sement de la vérité choisie, fondamentalement itérative. Il reste donc possible que certains réseaux d'énoncés puissent être considérés comme résolus par une méthode qui sort de l'enrichissement prévu par le système. C'est ce qui advient avec le puzzle d'Anil Gupta:

A dit:

(a1) Two plus two is three. (Deux plus deux égalent trois.) (a2) Snow is always black. (La neige est toujours noire.) (a3) Everything B says is true. (Tout ce que dit B est vrai.) (a4) Ten is a prime number.(Dix est premier.)

(a5) Something B says is not true.(B dit quelque chose de pas-vrai.) Et B d'armer:

(b1) One plus one is two. (Un plus un égalent deux.) (b2) My name is B.(Mon nom est B.)

(b3) Snow is sometimes white. (La neige est parfois blanche.)

(b4) At most one thing A says is true. (A dit au plus une seule chose vraie.) (498)

Nous voyons immédiatement, dans ce puzzle, en ne considérant que les propositions de A, qu'ef-fectivement au plus une d'entre elle est vraie puisque (a1), (a2) et (a4) sont fausses et que (a3) est la négation de (a5). Si l'on considère que (a3) et (a5) sont dénuées de valeur de vérité, cela semble encore raisonnable à armer, y compris dans un cadre technique kripkéen. On peut alors conclure que B ne dit ici que des vérités, et, par contrecoup, que (a3) est vraie et (a5). On souhaiterait donc que la méthode d'enrichissement de la vérité donne cet équilibre dans les points xes. Gupta proposera à ce titre une variante des méthodes inductives précédentes, mais en insistant sur ce qu'il ne s'agit pas tant d'induction que de révision de la vérité: des approximations de meilleures en meilleures, défendant ainsi un point de vue résolument prospectif de la vérité.

En fait, dans la mesure où il reste en Logique Classique et où l'on ne peut parler de la vérité qu'une fois qu'elle a été attribuée ou rejetée, il n'est pas possible de dire, dans ce système, que telle proposition, le Menteur par exemple, n'a pas de valeur de vérité ou n'est pas vrai au sens de

((est faux ou dans le trou)). Il faut pour cela se placer dans un métalangage:

((The ghost of the Tarski hierarchy is still with us.))

rmz;499

Bien entendu, ça n'en est pas seulement le fantôme: des notions comme(((sémantiquement) fondé))

ou ((paradoxal)) ne sont dénissables, comme le trou, qu'extérieurement. A tout le moins peut-on les dénir précisément, c'est une force de ce type de modèle: Une propositipeut-on (ou un jeu de

498:Cf. Gupta (1982), [182], p. 210, nous traduisons.

propositions) estfondéesi et seulement si elle a une valeur de vérité dansL

, c'est-à-dire si elle n'a pas de valeur arbitraire. Une proposition (ou un jeu de propositions) estparadoxale si et seulement si elle n'a de valeur de vérité dans aucun point xe. Dans ce sens, un adage n'est pas paradoxal: il a une valeur, vraie ou fausse, dans tout point xe maximal. Tout comme Tarski brisait l'attente de ceux qui voulaient une dénition de la vérité qui fût une critère, Kripke reconnaît briser ainsi celle de beaucoup des chercheurs ayant travaillé sur une théorie à trou de la vérité qui espéraient atteindre un langage universel dans lequel on puisse tout dire et tout exprimer: en un mot (le nôtre) dépasser l'interdiction de Tarski. Kripke doute que cela puisse être accompli.

Kripke, malgré sa volonté achée d'établir un cadre général de travail dans lequel de nom-breuses options philosophiques peuvent être implémentées, a été obligé, chemin faisant, de poser un certain nombre de choix. Même si la logique trivaluée est modiable, et même si l'on peut encore considérer comme sensées (meaningful) des phrases qui ne correspondraient pas à des pro-positions, ce qui garde une certaine marge de man÷uvre, Kripke a fait le choix que l'on ne puisse pas parler des trous, ou de la vérité dans le langage: on a une vérité de premier niveau et une négation, pas de méta-vérité ni de dénégation. D'après la typologie sommaire des théories à trou que nous avons donnée, Kripke regarde à côté du trou.