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La rupture conventionnelle comme mode de résolution des conflits

Partie 3. Les entretiens : résultats bruts

2. La procédure

2.10. La rupture conventionnelle comme mode de résolution des conflits

La rupture conventionnelle a été présentée comme le moyen de limiter les contestations et d’éviter au maximum les recours en justice d’une des deux parties grâce à la pacification des ruptures de contrats de travail. Elle serait ainsi une « forme juridique organisée de rupture amiable » du contrat de travail et permettrait de « sécuriser » la rupture de ce dernier en évitant le recours à la justice et pour restreindre les contentieux. Mais en lieu et place de cette sécurisation attendue, notre enquête de terrain a plutôt mis au jour, si l’on suit les salariés, un étouffement, voire un évitement et, en tous cas, un non-règlement des conflits.

Plusieurs salariés interrogés ont insisté sur le fait que ce dispositif permet de partir « proprement », sans reproches sur la qualité du travail effectué (alors qu’un licenciement pour faute, même « à l’amiable », salit le travail du salarié) ; il permet en ce sens, de se séparer en « bons termes » (ex- pressions récurrentes dans les entretiens, même chez les salariés contraints à partir). Voici présenté de nombreuses citations qui illustrent cette idée d’étouffement des conflits par le recours à la rup- ture conventionnelle :

- consultant : « donc, c’est une négociation qui, au final, s’est bien passé… Je ne voulais pas de

bras de fer parce que c’est dur à vivre et je ne pense pas qu’on puisse aboutir à des choses intéres- santes de part et d’autre. Je ne voulais pas entamer une procédure avec un avocat parce que c’est important d’avoir un réseau de connaissances et je suis reconnu partout où je suis passé comme ne voulant pas faire de vagues. Donc, je voulais que ce soit clean même si, au départ, on n’était pas d’accord sur le principe parce que j’ai essayé de leur faire dire les choses en pressant le citron et je n’y suis pas parvenu ».

- commercial : « les modalités, c’est à la tête du client. Moi, par exemple, ça aurait dû finir aux

prud’hommes, mais pour éviter ça, ça a fini comme ça. Comme j’étais avec une personne de l’entreprise, ils ont préféré que ça ne fasse pas trop de vagues. Donc, le jour où je suis parti en rup- ture conventionnelle, comme par hasard, cette personne a évolué. C’est pas grave, j’ai laissé faire, je voulais éviter les problèmes. Ça ne me convenait pas du tout, mais c’était soit partir avec la somme qu’ils me proposaient, soit aller aux prud’hommes et ça aurait traîné en longueur sachant que je ne voulais plus entendre parler d’eux. (…) J’ai été contraint de partir. J’ai accepté parce que je n’aime pas les problèmes, je préfère récupérer un chèque et partir ».

- secrétaire : « je ne voulais pas aller aux prud’hommes parce que je ne voulais plus en entendre

parler. (…) Il était bien content de la porte de sortie qu’est la rupture conventionnelle. Comme c’était un peu tendancieux, il avait peur du recours aux prud’hommes. Mais je ne l’ai pas fait, parce que je ne voulais plus le voir ».

- attachée à la promotion du médicament : « j’avais envie de partir en bons termes. C’est pour ça

que je suis satisfaite de ça parce que je n’ai pas eu besoin de me battre, ça s’est fait tout seul. Donc, c’était bien, un truc rondement mené ».

- huissier d’accueil : « ce qu’il s’est passé, c’est que notre société a perdu le site des XXX, donc ils

ne savaient plus quoi me proposer. Une autre agence a voulu me reprendre, mais ce qu’ils me pro- posaient était moins intéressant que mon poste de chef d’équipe. En plus, on n’avait plus les heures sup, ils baissaient le coefficient, donc j’y perdais. Mais, du coup, ma société ne savait pas où me mettre. Ensuite, ils voulaient me mettre à R ou à T, mais moi j’habite à S et j’ai une vie familiale, donc j’étais dans l’impasse. Donc, au lieu de me faire un licenciement économique, ils ont voulu me faire un licenciement par consentement mutuel. Malheureusement, dans mon contrat, j’avais une clause de mobilité, donc ils m’ont mis… pas une pression, mais ils m’ont fait comprendre que, si je n’acceptais pas ça, j’allais me retrouver aux prud’hommes et que ça allait durer deux ou trois ans. Donc là, ils m’ont donné même pas trois mille euros de solde de tout compte avec la prime de mille euros pour pas que j’aille aux prud’hommes. Comme j’étais dans l’urgence… En plus, ils m’auraient fait attendre pour mon attestation de salaire pour le Pôle emploi. Du coup, ils ont utili- sé la loi, mais dans le mauvais sens ! Parce que bon, le consentement mutuel… (…) Le Pôle emploi m’a dit que j’aurai pu avoir plus d’indemnités si j’étais allé aux prud’hommes ou s’ils m’avaient fait un véritable licenciement économique. Mais je ne peux pas regretter parce qu’avec ce genre de société ça aurait été la croix et la bannière, ça aurait duré trois ans ».

- responsable service administratif et commercial : « c’est une rupture conventionnelle pour la-

quelle je ne suis pas demandeur. Ça s’est passé comme ça, de façon très surprenante, donc c’était un peu dur au départ. Tout s’est passé correctement après, mais c’est le principe qui m’a beaucoup surprise. Mais, à partir du moment où j’ai accepté ça, j’ai joué le jeu correctement, j’ai formé ma remplaçante et je n’ai pas porté plainte parce que, soit on accepte, soit on n’accepte pas. Sinon, il fallait que j’accepte le licenciement, il faut être raisonnable. J’ai accepté parce que je ne voyais pas vraiment d’autres issues, je ne me sentais pas d’attaque à me bagarrer en prud’hommes pour le licenciement. Il aurait fallu que je cherche des fautes sur les dix-huit mois qui venaient de passer pour faire les entretiens de licenciement. Psychologiquement, je ne… Et déjà, ils voulaient que je parte, donc psychologiquement j’ai quand même été abattue. J’ai beaucoup réfléchi avec mon mari. Je voulais négocier encore un an, mais mon mari me disait que ce n’était pas la peine puisqu’ils ne voulaient plus me voir. Je ne demandais pas la lune, je demandais un an pour avoir ma retraite couverte. C’était ça le souci, d’autant que les nouvelles lois étaient juste en train de passer. (…) La direction ne me parlait plus, mais j’ai joué le jeu. Je suis quand même aller dire au revoir parce que, sinon psychologiquement, je ne me serai pas sentie bien. Quand on est responsable et qu’on a un poste important, on ne peut pas faire n’importe quoi. Je voulais partir sereinement. (…) Par contre, si j’avais eu 40 ans, je n’aurai sans doute pas réagi de la même façon : j’aurai accepté le licenciement, mais j’aurai attaqué derrière ! Dans le même contexte, si j’avais eu dix ans de moins, je n’aurai pas réagi de la même façon étant donné qu’il n’y avait pas de faute et qu’ils n’ont pas réussi à me donner une raison. Si, ils m’ont dit qu’à partir de 57 ans on se fatigue. J’aurai refusé, mais après vivre dans le conflit dans une société, c’est l’horreur ».

- responsable administrative et financière : « cette rupture est du fait que j’avais envie de partir de

cette société parce qu’on était en conflit. Oui, ils ont tout de suite évoqué la rupture conventionnelle parce que c’est la rupture à la mode… Mon directeur général savait que ça fonctionnait et qu’il pouvait se débarrasser d’un salarié légalement et sans qu’il n’y ait de problème derrière. Donc, systématiquement quand il y avait un clash avec un salarié, il disait : “si tu veux, on fait une rup- ture conventionnelle !” J’avais un dossier assez conséquent pour les attaquer aux prud’hommes, mais je ne voulais pas les attaquer parce que je ne suis pas procédurière et je n’aime pas les con- flits. (…) L’avantage de la rupture conventionnelle c’est que, quand il y a un conflit, au lieu de ren- trer dans un protocole transactionnel avec un licenciement… Disons que c’est moins lourd à gérer qu’un licenciement normal. C’est vrai que quand il y a vraiment des conflits des deux côtés… Dans 70 % des cas des ruptures conventionnelles que j’ai faites dans la société, c’était ça ! Le directeur

marketing c’est pareil, ils ont voulu s’en débarrasser et au lieu de faire un licenciement, ils font une rupture conventionnelle parce que c’est plus rapide et ils n’ont pas besoin de se justifier ! Donc, au lieu de faire un licenciement, de devoir trouver des preuves et de risquer les prud’hommes, on a fait une rupture conventionnelle ! Mais j’en suis satisfaite parce que ça m’a permis de partir avec quelque chose et d’éviter d’aller aux prud’hommes pour éteindre le conflit. Je n’avais pas envie d’entrer là-dedans. C’est une facilité, en fait ».

- G, vendeuse à temps partiel dans le Doubs, envisageait un recours aux prud’hommes pendant sa longue et difficile période de pourparlers. Satisfaite d’obtenir la RC, elle a préféré laisser cette pé- riode derrière elle.

- T, la quarantaine, formateur à temps partiel, envisageait également de saisir les prud’hommes après avoir signé un avenant à son contrat réduisant son nombre d’heures de travail. L’obtention de la RC le satisfaisant, il a renoncé à ce recours.

Enfin, certaines personnes interrogées affirment, avec le recul qui leur est possible de prendre cinq ou six mois après leur départ, qu’elles auraient dû agir différemment en refusant, par exemple, la rupture conventionnelle proposée – si ce n’est imposé par leur employeur – pour intenter à la place une action en justice par la saisie des prud’hommes. Ces cas d’étouffement des conflits, s’ils exis- tent, ne doivent cependant pas masquer le fait qu’une majorité des enquêtés affiche une satisfaction face aux modalités, rapides et simples, de cet outil qui ouvre, de surcroît, droit aux allocations- chômage.