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L’indemnité de rupture

Partie 3. Les entretiens : résultats bruts

2. La procédure

2.4. L’indemnité de rupture

Les ratios d’indemnités calculés par rapport à l’indemnité légale sont très étendus (de cent quarante euros pour une indemnité légale à cent mille euros pour un ratio de 14) et se répar- tissent approximativement de la manière suivante : environ la moitié de l’échantillon perçoit une indemnité de ratio 1 (cette proportion est d’autant plus élevée en province60), pour près d’un quart de l’échantillon le ratio est de 2 ou 3 et enfin, pour à peine un dixième des enquêtés, il est compris entre 3 et 14.

Il est intéressant de constater que l’indemnité n’est pas nécessairement liée à l’ancienneté, puisque certains salariés qui ont peu d’ancienneté ont négocié des indemnités importantes. En revanche, le

ratio de l’indemnité est bien souvent corrélé avec la profession et catégorie socioprofession- nelle (PCS) : ceux sont les cadres qui obtiennent les indemnités les plus élevées. Ceux qui négo-

cient des indemnités relativement importantes sont souvent ceux qui connaissent le droit du travail, qui sont protégés par leur statut de représentant du personnel ou qui sont assistés par un avocat. Ainsi, l’acheteur du groupe pharmaceutique a obtenu cinquante et un mille euros d’indemnité en ayant été assisté par un avocat. Le chargé de clientèle du centre d’appel, représentant du personnel, a menacé sa direction de porter plainte et a obtenu treize mille euros d’indemnité. La comptable de l’équipementier automobile avait déjà connu une rupture conventionnelle, elle connaissait ses droits. Elle a obtenu quatorze mille euros en ayant quatre ans d’ancienneté et avec un salaire de mille huit cent cinquante euros bruts mensuels. Enfin, la comptable du cabinet de conseil a doublé ses indemnités et obtenu dix-huit mille euros en ayant été assistée par un avocat.

Les non-cadres, plus isolés, peu informés et ayant parfois une position plus fragile au sein de l’entreprise, ont obtenu le minimum légal. C’est le cas, entre autres, de l’agent de service de la so- ciété de nettoyage qui a perçu huit cents euros d’indemnité. La commerciale du garage automobile

59 Une seule personne, vendeuse à temps partiel a tenu des propos plutôt négatifs sur le rôle de conseil de la DDTEFP : « ils [les

agents de la DDTEFP] vous donnent les papiers, puis c’est à vous de vous renseigner ».

60 Or, dans plusieurs cas, il apparaît de manière assez évidente que devant les prud’hommes, les salariés auraient perçu davantage au

n’a même rien perçu. Or, la convention définit les conditions de la rupture, notamment le montant de l’indemnité pour le salarié ; ce montant ne peut être inférieur à l’indemnité légale de licencie- ment. Notre enquête de terrain a révélé que le montant de l’indemnité recouvre souvent celui de l’indemnité légale lorsque la rupture conventionnelle a lieu à l’initiative du salarié. Étant satisfait de l’acceptation de principe de l’employeur et craignant une rétractation de celui-ci, l’indemnité n’est alors pas négociée ; ce qui importe dans ce cas, c’est l’obtention du filet de sécurité que représente les indemnités-chômage afférentes à ce dispositif, à l’image de ces trois salariés :

- attachée à la promotion du médicament : « en plus, quand j’ai eu l’entretien, j’ai vu que j’allais

avoir une indemnité de départ intéressante, alors que je pensais que je n’aurai même pas le droit à ça… Enfin, je ne le faisais pas pour avoir une indemnité. Moi, ce que je voulais, c’était simplement de pouvoir toucher le chômage le temps que j’y ai le droit ».

- électricien : « on n’a pas du tout discuté de l’indemnité parce que ça je m’en fichais un peu,

c’était plus pour toucher les indemnités-chômage dans le cas où je ne trouvais pas de boulot en arrivant sur la région ».

- ingénieur-analyste en informatique : « je n’ai pas du tout négocié l’indemnité parce que j’étais déjà

contente de pouvoir avoir cette rupture conventionnelle et ça ne m’est même pas venu à l’esprit. Mais, en fait, je ne pensais pas avoir une indemnité. Donc, c’était plutôt une surprise parce que je ne faisais pas tout ça pour l’argent. Mais sinon, je savais que ça me donnait le droit au chômage ».

Dans ce cas, l’enquêté ne se souvient souvent d’ailleurs plus du montant de l’indemnité qui lui im- portait peu (seule comptait le fait de percevoir le chômage). Certains apprennent même l’existence d’une indemnité lors de la signature du document Cerfa et une personne interrogée l’a même dé- couverte lors de l’entretien avec un enquêteur :

- hôtesse de caisse : « l’indemnité ? Je ne pourrais pas vous dire, je ne sais même pas si on en a parlé,

je ne me rappelle plus. Non, je ne me rappelle plus du montant… Non, je n’ai pas négocié, je n’étais même pas au courant, vous voyez ! Il ne m’a pas parlé de l’indemnité. Je sais que lui il avait pas mal de documents avec des machins, des tableaux, un suivi, mais moi je n’en n’ai pas vu la couleur. Oui, là je viens de voir dans mon solde de tout compte : j’ai “indemnité de rupture conventionnelle sou- mise”, c’est deux cent quatre-vingt-un euros. Mais non, on n’en n’a pas du tout discuté, je ne savais même pas ».

Dans ces cas où la mémoire fait défaut, il leur faut regarder leur document Cerfa lorsqu’il le pos- sède. En effet, une petite proportion de l’échantillon ne disposait pas de ce document soit parce qu’ils ne le retrouvaient pas, soit parce qu’ils n’en n’ont jamais eu d’exemplaire.

Le montant de l’indemnité est en revanche supérieur à l’indemnité légale (jusqu’à quatorze fois61)

lorsque le salarié le négocie, lorsque la rupture a lieu dans un contexte conflictuel (« indemnité

d’apaisement » : « il avait déjà fait le calcul de mes indemnités et il m’a dit qu’il allait arrondir à trois cents euros de plus » LS 1, 48 ans, secrétaire, Île-de-France) ou lorsque l’employeur veut se

séparer du salarié contre sa volonté (« indemnité compensatrice » qui s’apparente à une forme de versement de « dommages et intérêts » lors de démissions forcées ou d’une rupture conventionnelle proche d’un licenciement économique). Dans ce dernier cas, une indemnité plus importante repré- sente un argument dans l’acceptation du départ. Ce fut le cas de la responsable de développement commercial du fabricant de verres ophtalmiques qui a obtenu vingt-quatre mille euros d’indemnité de rupture en ayant moins de trois d’ancienneté.

X, responsable de mécanique, a été convoqué un vendredi, à la fin de sa journée de travail. Son em- ployeur lui a alors proposé le recours aux prud’hommes (que le salarié saisirait) ou une RC. Il lui a également donné quelques jours pour y réfléchir. Le lundi suivant, après avoir consulté un syndica-

liste extérieur, le salarié a accepté la RC et a négocié sept mois de salaire brut (ce qui représente environ quatre fois le minimum légal) en guise d’indemnité de départ.

Dans certains cas également, l’employeur achète parfois le silence du salarié par une indemnité très élevée62 (dans les situations de conflits).

En outre, l’indemnité versée peut aussi être supérieure à l’indemnité légale dans des cas de parfaite entente entre les deux parties, ce qui peut être interprété comme une forme de reconnaissance de l’investissement du salarié et de gratification du travail correctement effectué.

L’ancienneté peut, dans certains cas, représenter un argument important dans la fixation du montant de l’indemnité (idée de « patrimonialisation de l’emploi »).

Il arrive parfois que l’employeur démontre au salarié, documents à l’appui, que la rupture conven- tionnelle sera plus avantageuse pour lui qu’un licenciement ou que de continuer à travailler (pour les salariés de 58 ans) :

- huissier d’accueil : « on a eu au moins trois entretiens, disons quatre avec le premier où on a par-

lé de la rupture. Je lui ai dit : “ça va me coûter quoi ?”. Il m’a dit que ça ne me coûtera rien et il m’a dit que je serai payé pareil que si je travaillais jusqu’à la fin. Entre l’indemnisation et le Pôle emploi, il m’a dit que je ne perdrai rien jusqu’à fin avril 2012. C’était comme si je travaillais jus- qu’à la fin. J’ai eu les chiffres et tous les machins ! Comme il m’a prouvé que je ne perdais rien, c’était bon. Sur les clauses, il n’y a eu aucun problème ».

Une confusion entre le montant de l’indemnité et le solde de tout compte est souvent visible. Cer- tains employeurs en jouent (« je vous fais un cadeau », alors qu’il s’agit de sommes dues), mais une salariée a également usé de cette confusion en négociant l’indemnité de rupture conventionnelle telle une transaction et à laquelle elle a fait ajouter l’indemnité légale et les sommes dues dans le solde de tout compte :

- responsable administrative et financière : « l’indemnité ça faisait quatorze mille euros, mais ce

qu’ils n’avaient pas pensé c’est que j’avais aussi mon indemnité légale de licenciement qui venait s’ajouter ! Donc, oui, les quatorze mille, c’était la négociation, mais en plus j’ai eu mon indemnité légale de licenciement (ça faisait cinq mille euros à peu près) et mes congés payés ! Ils ont tilté quand je leur ai dit qu’il y avait aussi les cinq mille euros d’indemnité de licenciement ! Ils me di- saient que c’était inclus dans les trois mois et demi et je leur ai dit que non ! Mon avocate aussi m’a dit que c’était en plus, donc elle m’a fait là encore la bonne formule. Ils ont dit qu’ils allaient voir avec leur avocat, mais elle aussi a dit que, les trois mois et demi, c’était la négociation qu’on avait parce qu’on rompait le contrat de travail, mais l’indemnité légale venait en plus. C’est comme une transaction ».

Il a parfois été souligné que le montant de l’indemnité permet de recouvrir le délai de carence du versement des indemnités-chômage ; il s’agit alors d’un argument pour la négociation. Mais ce rai- sonnement est en partie erroné au sens où la réalité est inversée. En effet, les textes officiels disent que le demandeur d’emploi ne sera pas immédiatement indemnisé. Il doit en effet tenir compte de trois paramètres qui reculent d’autant le moment où il percevra sa première indemnité-chômage. Le délai de carence : dans tous les cas, le Pôle emploi applique un délai de carence de sept jours pen- dant lequel le chômeur ne sera pas indemnisé quelle que soit sa situation par ailleurs. Le nombre de jours de congés payés non pris, mais qui ont fait l’objet d’une indemnité compensatrice par l’employeur, recule aussi d’autant de jours l’indemnisation. Enfin et surtout, l’indemnité de licen- ciement supra-légale retarde également l’indemnisation : le salarié peut percevoir une somme supé- rieure aux indemnités légales ou conventionnelles que lui devait son employeur. Dans ce cas, le Pôle emploi divise le montant du « bonus » par le salaire journalier du salarié qui subira donc un différé d'indemnisation supplémentaire de X jours (ne pouvant pas dépasser soixante-quinze jours),

selon les cas et qui s'ajoute aux autres délais. Le raisonnement selon lequel le salarié négocie une prime la plus élevée possible pour compenser les délais de carence est donc en partie erroné, puisque c’est l’inverse (le délai de carence est plus élevé, puisque l’indemnité est importante).