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5. P RESENTATION DU MODELE D ’ ETUDE ET DES QUESTIONS ETUDIEES DANS CE TRAVAIL

5.3. A RTICULATION DU TRAVAIL DE THESE

Dans le but d’explorer les interactions entre les caractéristiques de l’environnement et la dynamique spatio-temporelle du pool larvaire de C. fornicata en baie de Morlaix, j’ai articulé mes travaux autour de quatre questions :

1) Quelle est la distribution spatiale des larves de crépidule au sein d’une baie mégatidale ?

Dans les processus d’invasions biologiques les capacités de dispersion naturelle conférées par la phase larvaire sont un élément essentiel pour l’expansion des espèces invasives. L’étude conjointe des pools larvaires et adultes restent néanmoins rares. Ce chapitre a pour

INTRODUCTION GENERALE

but d’analyser à l’échelle de la baie de Morlaix les relations entre la présence des adultes, les caractéristiques environnementales et la distribution spatiale des larves de C. fornicata.

2) Quelle est l’amplitude des variations saisonnières du pool larvaire de Crepidula

fornicata ?

J’ai ici cherché à caractériser les périodes de présence des larves et appréhender les variations de température, de salinité et de Chlorophylle a (comme un indicateur de la quantité de nourriture disponible) sur l’abondance larvaire et la structure de taille des larves à partir d’un suivi bimensuel réalisés sur trois ans en un point de la baie de Morlaix.

3) Quelle est l’influence des températures (mesurées in situ) sur le développement des larves de crépidule issues d’une population introduite ?

Au regard des résultats du chapitre II, j’ai réalisé des expériences en laboratoire sur l’influence de la température sur le développement larvaire de C. fornicata. Ces expériences ont eu pour but d’étudier (1) la courbe de croissance des larves soumises aux températures rencontrées in situ (d’après les résultats du chapitre II) et (2) l’effet des changements de température sur le développement larvaire.

4) Quelle est l’importance des variations saisonnières de température sur la durée de vie larvaire pélagique de C. fornicata en Europe?

Au vu des résultats des chapitres II et III, j’ai mené une approche par calcul analytique pour analyser l’impact de l’évolution saisonnière de la température sur la durée de vie pélagique (PLD), considérée comme un indicateur de la distance de dispersion et pouvant être un point critique dans le cas d’une espèce invasive. Ces résultats ont été confrontés à des données bibliographiques sur d’autres sites colonisés par C. fornicata en Europe.

CHAPITRE I : DISTRIBUTION ET

CARACTERISTIQUES DES LARVES DE CREPIDULA

CHAPITRE I

Notes : 1- La réalisation du modèle analytique présenté a bénéficié de l’aide de Sakina Ayata, doctorante à

la station biologique de Roscoff.

2- Ce chapitre fait l’objet d’une publication en préparation pour Biological Invasions présentée en annexe V : Rigal, F., Comtet, T., Ayata, S.-D. & Viard, F.. Does larval supply explain the low proliferation of the invasive gastropod Crepidula fornicata in a tidal estuary?

Comme souligné dans l’introduction générale, les invasions par des espèces non-indigènes sont reconnues comme une des principales menaces pour la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes marins (Leppäkoski et Olenin 2000 ; Reise et al. 2006). Parmi ces écosystèmes, les baies et les estuaires semblent particulièrement sensibles et touchés par ces processus d’invasions biologiques (Cohen et Carlton 1998).

Lors de son étude de l’estuaire de l’Elbe (Allemagne), Nehring (2006) a mis en avant quatre arguments qui pourraient expliquer la présence d’un grand nombre d’espèces non-indigènes dans ce type d’habitat : (i) la présence de ports dans les zones côtières, qui sont des points privilégiés d’introductions d’espèces via le transport maritime, (ii) la présence d’espèces invasives euryhalines provenant des eaux continentales et atteignant la mer par les estuaires (iii) un nombre d’espèces indigènes plus limité dans les systèmes estuariens à l’origine d’une moindre pression de compétition et (iv) les caractéristiques physiologiques, en particulier le caractère majoritairement eurybiotique des espèces estuariennes, leur conférant de meilleures chances de survie que les espèces strictement marines ou d’eaux douces. A côté de ces caractéristiques, chez les invertébrés à cycle bentho-pélagique, la présence d’une phase larvaire a également été mise en avant comme un facteur majeur de la réussite de différentes invasions en milieu marin côtier (e.g. Mya arenaria, Strasser 1999 ; Crepidula fornicata, Dupont et al. 2003 ; Nuttalia obscurata, Dudas et Dower 2006; Mytilopsis leucophaeata, Verween et al. 2007). En effet, les larves peuvent être facilement transportées avec les eaux de ballast ainsi qu’être dispersées naturellement par les courants marins. Succédant alors à l’introduction primaire (i.e. initiale), les larves vont pouvoir participer à l’expansion de l’espèce (i) en exerçant une pression démographique à une échelle locale, (ii) en favorisant l’expansion géographique du front d’invasion à une échelle régionale, et (iii) en permettant de maintenir la connectivité (e.g. échange de gènes) entre les populations établies.

Chez les invertébrés marins non-indigènes comme pour les espèces indigènes, l’étape pélagique du cycle de vie est une phase critique notamment à l’origine de fluctuations temporelles des densités d’adultes benthiques (e.g. Gaines et Bertness 1992). Par exemple, Dunstan et Bax (2007) ont montré que chez l’espèce invasive Asterias amurensis,

CHAPITRE I

l’établissement durable des populations était dépendant de la production locale de larves compétentes à la métamorphose et de leur dispersion en dehors de leur lieu de production. La densité des adultes reproducteurs, qui contribuent à l’importance de la production larvaire locale, et les conditions hydrodynamiques qui, chez les organismes à faibles capacités natatoires, contribuent à maintenir ou exporter les larves du lieu où elles ont été émises, sont ainsi deux paramètres fondamentaux qui vont contribuer au couplage entre les phases benthique et pélagique du cycle de vie. Un exemple extrême est donné par les espèces à comportement grégaire (e.g. Roughgarden et al. 1988) pour qui la position des populations adultes benthiques va conditionner l’endroit où les larves vont être majoritairement recrutées. De plus, selon les positions des populations adultes, les conditions rencontrées par les larves au moment de leur émission peuvent être très variables. Ainsi, dans la baie du Mont Saint-Michel, les larves du polychète Sabellaria alveolata émises par des populations séparées de 15 km sont soumises à des conditions hydrodynamiques très différentes qui sont responsables de dynamiques de recrutement spécifiques dans ces deux populations (Ayata et al. soumis). Comprendre les processus en jeu dans la dynamique de la dispersion larvaire, qui in fine aura des conséquences sur les capacités d’invasion de l’espèce, requiert d’examiner conjointement la distribution des larves, la localisation et les caractéristiques de la population adulte benthique.

Au cours de ce travail, je me suis ainsi intéressé à la relation entre la distribution des larves et celle des adultes de Crepidula fornicata dans une baie mégatidale, la baie de Morlaix. Outre des facilités évidentes d’accès au site d’étude, cette baie présente une particularité intéressante : une prolifération relativement limitée par rapport à ce qui est souvent documenté pour ce mollusque. En effet, si Crepidula fornicata a colonisé avec succès de nombreuses baies et estuaires (Blanchard 1997), le patron d’invasion de C. fornicata n’est pas uniforme, et dans certains cas, les populations introduites se sont peu développées. Différentes hypothèses ont été proposées pour expliquer la non-prolifération de C. fornicata dans ces baies. Par exemple, dans le bassin d’Arcachon (Golfe de Gascogne ; Gironde), de Montaudouin et al. (2001) ont mis en évidence le rôle des caractéristiques hydrosédimentaires de la baie, de la présence de prairies de Zostera et de l’absence de pêche à la drague pour expliquer le faible stock de crépidules. En baie de Morlaix, cette espèce a été observée pour la première fois il y a 50 ans environ, et cette population est longtemps restée anecdotique (seulement quelques individus dans la rivière de Morlaix au début des années 80, Dauvin

Tableau I.1. Evaluation des biomasses et de la surface colonisée par Crepidula fornicata

dans différentes populations introduites sur le littoral français (tiré de Montaudouin et al. 2001).

Sites Première observation Surface (% de

surface colonisée) Biomasse (poids frais, t)

Arcachon 1969 (Bachelet et al. 1980) 44 km² (5%) 155 (de Montaudouin et al. 2001) Rade de Brest 1949 (Cole 1952) 150 km² (61%) 18500 (Chauvaud 1998)

Baie de St Brieuc 1974 (Dupouy et Latrouite 1979) 800 km² (25%) 250000 (Hamon 1996)

CHAPITRE I

des densités ou une couverture spatiale telles que celles enregistrées dans d’autres baies de la Manche comme la rade de Brest (Chauvaud 1998), ou la Baie du Mont Saint-Michel (Blanchard et Ehrhold 1999) (Tableau I.1). Une des hypothèses qui peut être avancée pour expliquer cette moindre prolifération est un « mauvais couplage » entre phases benthique et pélagique, par exemple lié à une exportation des larves produites localement en dehors de la baie et non compensée par des apports extérieurs en larves. Pour tester cette hypothèse, et ne disposant pas de modèle couplé biologie-physique de dispersion larvaire à l’échelle de la baie de Morlaix, nous avons utilisé une approche indirecte en analysant en parallèle la distribution spatiale des larves et des adultes. Trois échantillonnages larvaires ont été réalisés sur une période de quatre semaines en dix points de la baie de Morlaix pour (1) déterminer si le pool larvaire (concentration larvaire et structure de taille du nuage larvaire) était contrôlé par la population adulte (densité des individus reproducteurs) et (2) examiner si certaines conditions environnementales (ex. salinité) ou les conditions de marée si particulières à la zone d’étude pouvaient expliquer au moins en partie nos observations de terrain.

3°50'0"W 3°50'0"W 3°52'0"W 3°52'0"W 3°54'0"W 3°54'0"W 3°56'0"W 3°56'0"W 3°58'0"W 3°58'0"W 4°0'0"W 4°0'0"W 4°2'0"W 4°2'0"W 4°4'0"W 3°48'0"W 3°46'0"W 48°50'0"N 48°50'0"N 48°48'0"N 48°48'0"N 48°46'0"N 48°46'0"N 48°44'0"N 48°44'0"N 48°42'0"N 48°42'0"N 48°40'0"N 48°40'0"N 48°38'0"N 48°38'0"N 48°36'0"N 48°36'0"N 48°34'0"N 48°34'0"N 0 2 500 5 000Meters

Figure I.1. Nom et localisation des 10 sites échantillonnés dans la baie de Morlaix, dans le cadre de

l'étude de la distribution spatiale des larves de Crepidula fornicata.

Dans le texte, les sites seront nommés par leur numéro. Les coordonnées géographiques des sites et la matrice de distances entre sites sont données respectivement dans le tableau 2 et l’annexe 1.

Roscoff Carantec Morlaix Estuaire de la Penzé Estuaire de Morlaix Pointe de Primel 0 1 2 3 4 5 7 6 8 9 Figuier Caspari Pointe de

la Vache Ile Verte La Vieille Pierre Noire

La Noire La Chambre Taureau Rivière de Morlaix N O S E

La Manche

Mètres

Zone intertidale (La limite en bleu indique le 0 des cartes marines).

CHAPITRE I