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Le Royaume de Shu antérieur (907-925)

Tandis que s‟écroulait l‟empire Tang, un épisode qui s‟échelonna sur environ trente ans de luttes entre forces rebelles et loyalistes, il s‟ensuivit une segmentation de l‟autorité et une redéfinition de l‟échiquier politique. Ainsi, à la dynastie Tang se substituèrent de nombreux régimes régionaux emportés par les chefs d‟armées ayant dominé le théâtre des opérations durant les dernières années de guerre civile.

Toutefois, en dépit de leurs oppositions, tous se disaient êtres les légitimes

successeurs de la dynastie Tang et aspiraient à reconquérir son empire. À cet égard, il nous semble donc inapproprié d‟appréhender la scission de l‟empire comme la simple expression de régionalismes séparatistes113, ce qui nous semble aussi anachronique que de recourir à la notion de nation. Certes, à l‟intérieur de leurs bases territoriales respectives, les régimes en place développèrent tous leurs propres stratégies d‟action en instituant certaines institutions et en cherchant par divers moyens à convaincre de leur légitimité les habitants avec lesquels ils interagissaient. D‟un tel scénario, il était donc normal de voir s‟accentuer les différences régionales. Néanmoins, prenons garde de ne pas confondre diversité régionale et régionalisme. Manifestement, nul ne saurait objecter que la dynastie Liang fondée par Zhu Wen se distinguait de l‟État de Shu, dont WangJian 王建 (847-918) était le souverain au même moment. Toutefois, leurs oppositions et leurs différences ne sauraient être comprises en termes strictement géographiques, voire géopolitiques, puisque l‟un comme l‟autre entendaient occuper le même espace, c‟est-à-dire rien de moins que l‟empire. De ce fait, à notre avis, les différences entre les deux régimes doivent davantage être recherchées dans la façon

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C‟est l‟une des rares critiques que nous trouvons à adresser à Franciscus Verellen pour son article « Shu as a Hallowed Land : Du Guangting‟s Record of Marvels », Cahiers d’Extrême-Asie 10 (1998), pp. 213-254. Dans cet article, Verellen semble concevoir que le fondateur des Shu antérieurs, Wang Jian, par l‟intermédiaire de Du Guangting, parvint à légitimer son régime en faisant l‟apologie du

régionalisme de Shu. Ainsi, en relatant la longue histoire de Shu et ses particularismes régionaux, le

Livre des merveilles (Luyi ji 錄異記) aurait été un outil démagogique venant attester aux habitants de

Shu que l‟indépendance politique du royaume était inscrite dans l‟ordre naturel des choses. Toutefois, il est fondamental de souligner que l‟autorité de Wang Jian reposait d‟abord et avant tout sur l‟idéologie confucianiste du mandat céleste (tianming 天命), ce que ne doit pas occulter le fait que Wang Jian fut un dévot taoïste proche de Du Guangting. Or, il est bien difficile de trouver une notion plus opposée à l‟idéologie du mandat céleste que celles de régionalisme ou de souveraineté territoriale. Ceci dit, nous sommes prêts à accepter l‟idée qu‟il puisse y avoir eu une corrélation entre l‟ouvrage de Du Guangting et la reconnaissance de la légitimité politique de Wang Jian, mais encore faut-il nous donner une idée plus ou moins précise de la diffusion du Livre des merveilles au début du Xe siècle.

qu‟ils avaient de concevoir l‟ordre sociopolitique.

Tant s‟en faut, il serait fallacieux d‟affirmer que Wang Jian planifia de longue date son couronnement impérial et de ne voir en lui qu‟un conspirateur sécessionniste. Car, en fait, jusqu‟à la toute fin de la dynastie Tang, il s‟avéra être un champion de la restauration, raison pour laquelle il bénéficia du support, certes avantageux mais combien conditionnel, de l‟ancienne clientèle impériale. Par exemple, au moment où Zhu Wen fut accusé de régicide et commit son coup d‟État en 904, véritable date de la destitution dynastique, Wang Jian ne répondit pas immédiatement par la proclamation d‟un nouveau régime dont il serait l‟ultime dépositaire. Au contraire, il se ligua sur-le-champ avec d‟autres gouverneurs pour abattre le régime de Zhu Wen114. Ainsi, selon Sima Guang, Wang Jian se serait non seulement allié avec son vieil ennemi Li Maozhen 李茂貞 (856-924)115, mais aussi aurait-il échangé de multiples lettres ayant pour objet la restauration avec Yang Chongben 楊崇本 (?-?)116, Li Keyong, Liu Rengong 劉仁恭 (?-?)117, Yang Xingmi 楊行密 (851-905)118 et Zhao Kuangning 趙匡凝 (?-?)119

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114 Sur cette alliance impliquant de nombreux gouverneurs, voir ZZTJ 265. 8634-8635; Wang Hongjie,

(2008 : 148-160). Il nous semble cependant que ce dernier porte des propos gratuits en mettant en cause la sincérité de Wang Jian, lequel n‟aurait fait usage du loyalisme Tang que dans le seul but de légitimer son propre pouvoir. Nous ne voulons pas dire que cette idée ne renferme pas une part de vérité, toutefois un peu de nuance serait le bienvenu.

115 Li Maozhen était le gouverneur de Fengxiang 鳳翔 (Shaanxi 陝西). Son véritable nom était Song

Wentong 宋文通, nom qu‟il échangea contre le nom de la famille impériale Tang, Li, que lui conféra Xizong en récompense de ses états de service. Pour sa biographie, voir JWDS 132. 1737-1740. Son mausolée, contenant deux épitaphes, à lui et à son épouse, a également été exhumé en 2003. Voir Baoji shi kaogu yanjiu suo 寶鷄市考古研究所, éd., Wudai Li Maozhen fufu mu 五代李茂貞夫婦墓 (Beijing : Kexue chuban she, 2008).

116 Yang Chongben était alors gouverneur de Jingnan 靜難 (Shaanxi). Sa participation à la coalition

semble confirmer par La nouvelle histoire des Tang (XTS 10. 302).

117 Liu Rengong était gouverneur de la commanderie Lulong 盧龍 (Hebei) lorsqu‟il passa au service

de Li Keyong avant 895. Néanmoins, en 896 il transféra son allégeance à Zhu Wen. Sa biographie dans

La nouvelle histoire des Tang ne permet pas de confirmer qu‟en 904 il se rangea dans la coalition contre

Zhu Wen. Certes, il retourna au service de Li Keyong, mais sa biographie semble nous dire que ce ne fut qu‟en 906 (XTS 137. 5985-5987). Néanmoins, la biographie de Yang Xingmi semble indiquée qu‟il fit bel et bien parti de l‟alliance (voir la note suivante pour la référence).

118 Originaire de Luzhou 盧州 (Anhui), Yang Xingmi fut nommé préfet militaire de cette préfecture

par le général loyaliste Gao Pian 高駢 (822-887) alors que ce dernier était gouverneur du Huainan 淮 南 et général en chef des armées du Sud durant la rébellion de Huang Chao. Suite à la mort de Gao Pian, lorsque Zhu Wen fut nommé gouverneur du Huainan et que ce dernier tenta de prendre le contrôle de la région, Yang Xingmi prit la tête d‟un mouvement de résistance armée contre Zhu Wen. Sa biographie dans La nouvelle histoire des Tang confirme qu‟il entra en relation avec Wang Jian, Zhao Kuangning, Liu Rengong et Li Keyong suite à l‟usurpation de Zhu Wen (XTS 188. 5451-5460). Plus tard, lorsque sera proclamée la dynastie Liang, Yang Xingmi sera proclamé empereur du Royaume de Wu 吳.

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Certes, Robin D. S. Yates constate qu‟en 903 Wang Jian était sur un pied de guerre avec Li Maozhen, à qui nous pouvons ajouter Zhao Kuangning120, tandis qu‟il entretenait des rapports diplomatiques avec Zhu Wen121. Toutefois, cette situation ne prévalait qu‟avant la mort de Tang Zhaozong, suite à quoi se produisit un indéniable revirement d‟alliances. D‟une part, il semble que Wang Jian cessa définitivement de chercher un compromis avec Zhu Wen, tandis que tous les efforts de ce dernier pour rétablir de bonnes relations avec Shu se soldèrent par un échec122. D‟autre part, en 904 Wang Jian offrit sa fille, la princesse Puci 普慈公主 (?-?), en mariage à Li Jichong

(Hubei), également désigné par le nom de commanderie Zhongyi 忠義. Avant même le coup d‟État de Zhu Wen en 904, nous dit sa biographie, il fut déjà un allié militaire de Yang Xingmi et Li Keyong. En 904, probablement après le régicide, Zhu Wen lança une attaque contre Kuangning. Ainsi, suivant le conseil de son frère Kuangming 匡明, alors gouverneur de Jingnan 荊南 (Hubei), il s‟allia à Wang Jian. En dépit de cette alliance cependant, Kuangning et Kuangming furent défaits et se réfugièrent à Yangzhou auprès de Yang Xingmi. Tandis que Kuangning mourut peu après, Kuangming prit la route de Shu où il fut nommé par Wang Jian gouverneur de la commanderie Wuxin 武信. Voir XTS 186. 5427-5428; ZZTJ 265. 8651.

120 ZZTJ 265. 8633.

121 Robin D. S. Yates (1988 : 32-33); Wang Hongjie (2008 : 164-165). 122

Sima Guang mentionne deux missions diplomatiques envoyées par Zhu Wen à Shu après 904. La première, conduite par un dénommé Sima Qing 司馬卿, que nous ne connaissons pas autrement, aurait eu lieu en 905 et aurait eu pour motif de disculper Zhu Wen de la mort de Zhaozong. Wei Zhuang 韋莊 (834?-910), alors chargé de l‟affaire, aurait dépêché Wang Zongwan 王宗綰, un lieutenant de Wang Jian, à la réception de l‟ambassade Liang qui reçut une fin de non-recevoir (ZZTJ 265. 8652). L‟usage de soldats plutôt que de diplomates dans un échange diplomatique illustre bien un refus total de négociation. Selon Sima Guang, la seconde mission aurait eu lieu en 912 et aurait été dirigée par Lu Pin 盧玭 (?-?), lequel aurait voulu profiter de la reprise des hostilités entre Wang Jian et Li Maozhen pour renouer l‟amitié entre Wang Jian et Zhu Wen (ZZTJ 268. 8751). Ouyang Xiu nous dit quant à lui que la mission de Lu Pin fut en 914 (XWDS 2. 20), tandis que le Jinli qijiu zhuan 錦里耆舊傳 de Gou Yanqing 勾延慶 (Xe siècle) nous donne l‟année 910 (JLQJZ 2. 1-2). Ce dernier prétend citer

intégralement la missive diplomatique que transporta Lu Pin, ce qui est plausible puisque Gou Yanqing, un bureaucrate des Shu postérieurs, rédigea son ouvrage sur place avant 970 où il pourrait avoir eu accès aux archives du royaume. Sur le Jinli qijiu zhuan et son auteur, voir Chen Zhensun 陳振孫 (1186-1262), Zhizhai shulu jieti 直齋書錄解題 7. 10. D‟après le Shiguo chunqiu 十國春秋, qui ne date pas l‟événement, ce fut Zhang Ge 張格 (mort vers 925) qui fut chargé de recevoir l‟ambassade de Lu Pin, lequel faillit se faire mettre à mort par Wang Jian (SGCQ 41. 4). Mais admettons que Lu Pin arriva à Shu en 910, il est possible que ce fut Wei Zhuang qui rencontra Lu Pin, ou bien que Wei Zhuang travailla de concert avec Zhang Ge. Ainsi, mentionnant ni la date ni le nom des ambassadeurs Liang, Zhang Tangying 張唐英(1029-1071), auteur du Shu taowu 蜀檮杌, parle d‟une seconde mission diplomatique par laquelle Wei Zhuang reçu froidement un ambassadeur Liang muni d‟une missive dont la description correspond à celle citée par Gou Yanqing (STW 45. 23). Si Zhang Tangying dit vrai, alors cette seconde mission ne peut avoir eu lieu après 910, l‟année du décès de Wei Zhuang. À notre connaissance, le seul effort de Wang Jian visant à normaliser les relations entre les cours de Shu et Liang survint après la mort de Zhu Wen en 913, suite à quoi il envoya une ambassade à Kaifeng (JLQJZ 2. 5-6). Wang Hongjie (2008 : 165-180) discute également de ces échanges diplomatiques tout en offrant quelques traductions de missives. Toutefois, en s‟appuyant sur les sources auxquelles nous venons de référer, Wang mentionnent plusieurs échanges diplomatiques dans le temps, lesquels en fait ne correspondent souvent qu‟à un seul et même échange dont les sources donnent des dates différentes. Avant de pouvoir prononcer des conclusions sur la signification historique de tels échanges, il faudra définitivement procéder à des recherches plus poussées.

李繼崇 (?-?), un fils adoptif de Li Maozhen, instaurant ainsi une alliance qui ne sera rompue qu‟en 911123

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Selon Sima Guang et He Guangyuan, ce fut suite aux exhortations de son

assistant administratif (panguan 判官) Feng Juan 馮涓 (jinshi 850)124 que Wang Jian chercha à contracter une alliance maritale avec la famille de Li Maozhen. Ainsi, tandis que Zhu Wen attaquait Li Maozhen, des généraux de Wang Jian lui auraient conseillé de profiter de la situation pour s‟emparer de Fengxiang, ce à quoi Feng Juan aurait rétorqué de se méfier de Zhu Wen et de sceller la paix avec Li Maozhen par une alliance nuptiale125. Évidemment, nous pourrions en déduire que Feng Juan laissait déjà entrevoir un pragmatisme politique fonction de l‟intégrité territoriale de Shu,

123 À propos de ce mariage, voir l‟anecdote livré par le Jianjie lu 鑒誡錄 de He Guangyuan 何光遠

(Xe siècle) (JJL 4. 6-7). Néanmoins, tout comme l‟alliance entre Wang Jian et Li Maozhen, ce mariage fut rompu en 911 avec le retour de la princesse à Chengdu. Les motifs de ce divorce nous apparaissent plutôt incertains. Sont-ils de nature strictement conjugale, politique ou un peu des deux? Sima Guang nous dit que la princesse retourna vers son père en raison des mauvais traitements de son époux, ce qui mit Li Maozhen hors de lui, ne lui laissant d‟autres choix que de rompre ses relations avec Shu (ZZTJ 267. 8737). Cependant, comment savoir si, contrairement à ce que Sima Guang semble croire, la princesse Puci ne retourna pas vers la cour de son père après la reprise des hostilités entre ce dernier et Li Maozhen. Quant à Li Jichong, il demeura au service de Li Maozhen jusqu‟en 915, après quoi il transféra son allégeance à Wang Jian dont les armées eurent le dessus sur Li Maozhen qui perdit la préfecture de Qinzhou 秦州 à la tête de laquelle était Jichong (ZZTJ 269. 8798-8799). Après cet événement, il ne semble pas que Jichong reprit avec la princesse, laquelle semblait vivre à Chengdu tandis que Jichong fut envoyé à Qianzhou 黔州, à la tête de la commanderie Wutai 武泰 près de l‟actuel Chongqing (ZZTJ 269. 8800). La véracité de ces informations semble corroborée par la découverte à Chengdu de la tombe de la fille de Li Jichong nommée Dame Li (898-917), laquelle n‟aurait pas été la fille biologique de la princesse Puci, à défaut de la considérer comme sa mère adoptive. Ainsi, au moment où la princesse arrive dans la vie de Jichong en 904, Dame Li est déjà âgée d‟environ six ans, ce que nous pouvons déduire du fait qu‟elle succombe à une maladie en 917 dans sa 19ème année. Son épitaphe mentionne bien le nom de la princesse, toutefois un caractère est désormais illisible devant le nom de cette dernière précédé du caractère « mère » (mu 母). Selon Ma Wenbin, le caractère manquant serait di 嫡 pour dimu, dont le sens est « mère adoptive ». Selon toute

vraisemblance, Dame Li serait arrivé à Chengdu accompagnée de la princesse Puci en 911, suite à quoi elle fut mariée au fils d‟un des fils adoptifs de Wang Jian dont ne connaissons pas le nom. Pour une étude de cette épitaphe, voir Ma Wenbin 馬文彬, « Wudai Qian-Shu Li shi muzhiming kaoshi » 五代 前蜀李氏墓誌銘考釋, Sichuan wenwu 四川文物, 2003. 3, pp. 87-90. Compte tenu du déshonneur essuyé par Li Maozhen dans cette affaire, il n‟est guère surprenant de constater que son épitaphe ne mentionne pas le mariage entre son fils adoptif et la princesse Puci. Voir Baoji shi kaogu yanjiu suo (2008 : 159-177).

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Au moment où Wang Jian parvint à conquérir Chengdu en 891 (ZZTJ 258. 8417-8418), Feng Juan se trouvait à l‟intérieur de la ville. Immédiatement après le siège victorieux de la ville, Juan serait entré au service de Wang Jian en tant qu‟assistant administratif (SGCQ 40. 2). Dans le Quan Tang wen 全唐 文, la notice biographique de Feng Juan précédant trois des mémoires qu‟il rédigea mentionne également le poste d‟assistant-administratif (QTW 89. 2). Toutefois, la notice qui lui est accordée dans le Quan Tang shi 全唐詩 nous dit qu‟il fut nommé académicien de Hanlin sans mentionner le poste d‟assistant-administratif (QTS 760. 8631).

125 ZZTJ 265. 8634; JJL 4. 6-7. Voir également le Quan Tang wen où se trouve le prétendu mémoire

laissant ainsi présager la fondation d‟un État régional. Néanmoins, détrompons-nous, car en 904 comme en 907, Feng Juan se serait opposé à l‟idée d‟instituer une nouvelle dynastie au détriment de la lutte pour la restauration. Ainsi, selon Sima Guang,

lorsque les généraux et conseillers de Wang Jian le pressèrent de se proclamer empereur en 907,

Feng Juan fut le seul à se manifester pour inviter le prince de Shu à se retenir, arguant que « la restauration impériale ne dépend que de la sujétion de ceux qui se disent sujet [de la dynastie Tang], tandis que le statut des bandits qui s‟en délient est odieux ». 馮涓獨獻議

請以蜀王稱制, 曰 : 朝興則未爽稱臣, 賊在則不同爲惡126

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Ainsi, poursuit Sima Guang, incapable de faire triompher son point de vue et refusant de servir une autre dynastie que les Tang, « Juan se retira chez lui pour ne plus en sortir 涓杜門不出 »127. Selon le Shiguo chunqiu, sa retraite aurait duré jusqu‟en 911, soit jusqu‟à la reprise des hostilités avec Li Maozhen. Alors il serait revenu à la cour pour mettre en garde Wang Jian contre les méfaits de la guerre et pour lui rappeler les obligations qui incombent à un empereur128. Cependant, pouvons-nous nous appuyer sur Sima Guang et Wu Renchen pour assumer que Feng Juan coupa les liens avec Wang Jian et son entourage. Car même s‟il choisit de s‟effacer pour un temps de la scène politique, cela ne veut en rien dire qu‟il cessa de fréquenter à titre non-officiel la cour et les lettrés de Chengdu. Le fait que Du Guangting affirme que Feng Juan rapporta des miracles à la cour de Shu et qu‟il commissionna des rituels taoïstes patronnés par l‟Étatdevrait nous amener à reconsidérer cette proposition129. Franciscus Verellen, lequel étudia longuement le rôle dudit prêtre taoïste à la cour de Wang Jian, démontre ainsi comment les présages divins étaient alors interprétés

126 ZZTJ 266. 8685. 127

ZZTJ 266. 8685.

128 SGCQ 40. 3. Le discours que rapporte Wu Renchen correspond à un des mémoires de Feng Juan

que prétend rapporter le Quan Tang wen (QTW 889. 3). Cette image de confucianiste pacifiste constamment apposée à Feng Juan se dégage également des anecdotes le concernant dans le Jianjie lu (JJL 4. 4-5).

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À propos d‟un miracle observé par Feng Juan, voir Du Guangting, Shenxian ganyu zhuan 神仙感 遇傳 3. 9-10. Par ailleurs, Du Guangting cite une pétition (ci 詞) formulé par Feng Juan demandant de procéder à un rituel taoïste zhai 齋. Ce texte est particulièrement intéressant en ce sens que ladite pétition donne suite au décès d‟une certaine Dame Li décédée pour cause de maladie. Voir Du

Guangting, Guangcheng ji 廣成集 4. 15. La coïncidence serait trop grande pour ne pas assumer qu‟il s‟agit de la fille de Li Jichong. Que Feng Juan rédigea cette pétition indique décidément qu‟il était très proche de la cour et de la famille impériale.

comme des preuves de légitimité, tandis que les rituels taoïstes étaient inséparables du culte impérial130. N‟excluons donc pas la possibilité que Feng Juan ait pu prendre part au sacrifice au ciel sanctifiant le couronnement de Wang Jian131.

Selon nous, il importe à présent de retenir que la fondation du Royaume de Shu résultait d‟une désillusion quant à l‟éventualité d‟une restauration. Ainsi, après même que la faillite fut consommée en 907, un espoir de voir triompher les forces loyalistes se faisait toujours sentir132, tandis que la proclamation d‟une nouvelle dynastie à

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