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Les rongeurs constituent un ordre (Rodentia) numériquement très important (un peu plus de 2270 espèces) de la classe des mammifères (Mammalia : revue dans Musser & Carleton, 2005). Cette formidable diversité spécifique se traduit par une distribution géographique importante qui dénote aussi une étonnante plasticité écologique de ces organismes ; on les retrouve sur tous les continents et au sein d’une grande majorité des îles du globe ainsi que dans la plupart des milieux (Mammalia : revue dans Wilson & Reeder, 2005).

Partout dans le monde, les rongeurs sont connus pour leurs effets négatifs sur les cultures agricoles et les denrées stockées (revues dans Leirs, 2003 ; Granjon & Duplantier, 2009 ; Buckle & Smith, 2015). La mixité de leur régime alimentaire (granivore, frugivore et/ou végétarien) leur permet en effet de se nourrir d’une grande variété de cultures entretenues par l’Homme. Les pertes enregistrées se composent non seulement des quantités de nourriture effectivement ingérées par les rongeurs, mais aussi des aliments rendus impropres à la consommation humaine à la suite des morsures et des souillures par les déjections (fèces, urine), par des poils, voire par des cadavres. À tout cela, il faut ajouter les dégâts causés aux emballages et aux infrastructures de stockage, ainsi que la dissémination d’agents infectieux et parasitaires au niveau de ces denrées. Ainsi, les pullulations des espèces natives du genre Mastomys sont la cause de dégâts qui peuvent affecter durablement la situation alimentaire dans certaines régions africaines; en Asie, les populations de R. rattus vivant dans le delta du Mékong au Vietnam constituent un frein majeur à la production de riz, où les pertes sont estimées entre 300 000 et 400 000 tonnes par an. Les activités nocives des rongeurs sur l’agriculture engendrent par voie de conséquence des pertes économiques parfois très importantes (Singleton et al., 2010).

De nombreuses espèces de rongeurs sont aussi connues pour être des réservoirs de nombreux parasites et pathogènes potentiellement zoonotiques (Meerburg et al., 2009). Les rongeurs sont ainsi reconnus comme hôtes d’au moins une soixantaine de maladies (ex. peste, typhus murin, fièvres hémorragiques, leptospirose, toxoplasmose, borréliose, fièvre de la vallée du rift) représentant une sérieuse menace pour la santé humaine (Meerburg et al., 2009). Les

par l’intermédiaire d’un vecteur) transmises à l’Homme, mais également aux animaux domestiques (Granjon & Duplantier, 2009), et sont souvent mal connues et peu diagnostiquées. Cette faible connaissance des pathogènes abrités par les rongeurs peut avoir des conséquences dramatiques sur la santé publique et le développement économique des pays (John, 2014). Il apparait donc capital de surveiller particulièrement les zoonoses portées par les rongeurs commensaux en raison du contact étroit qu’ils entretiennent avec l’Homme.

En plus de leurs impacts notables sur l’agriculture et la santé, quelques espèces de rongeurs possèdent d’importantes capacités d’expansion géographique liées aux étroites relations qu’elles entretiennent avec l’Homme. Certaines de ces espèces envahissantes ont des conséquences parfois dévastatrices sur la diversité des communautés au sein desquelles elles sont retrouvées (Courchamp et al., 2003). Ainsi, quatre espèces de rongeurs figurent dans la liste des cent espèces envahissantes ayant le plus d’impact sur la biodiversité dans le monde (Lowe et al 2010): le ragondin Myocastor coypus (Molina, 1782), l’écureuil gris Sciurus carolinensis (Gmelin, 1788), le rat noir Rattus rattus et la souris domestique Mus musculus domesticus. Par exemple, l’arrivée du rat noir dans certaines îles du globe a été associée à une réduction importante d’une grande partie de la faune native conséquemment à l’activité prédatrice de ce rongeur (revue dans Smith & Banks, 2014).

Les études sur les rongeurs envahissants se sont généralement intéressées aux mécanismes par lesquels ces organismes parviennent à se répandre au sein des aires nouvelles ainsi qu’aux conséquences de ces expansions. Si la compétition directe a été souvent mise en avant comme mécanisme explicatif de l’établissement et de la prolifération subséquente des rongeurs, elle apparaît dans certains cas très hypothétique (Drake & Hunt, 2009 ; Harris, 2009). En particulier, il a été montré que M. m. domesticus est un faible compétiteur vis-à-vis des rongeurs natifs (Cucchi et al., 2005 ; Gomez et al., 2008). Les travaux les plus documentés suggèrent que les rongeurs envahissants impacteraient drastiquement les communautés natives via les parasites (hypothèses enemy release, spill-over et spill-back; cf. Introduction générale, section 5.4.) et s’établiraient puis prolifèreraient dans la niche colonisée après l’extirpation des espèces locales. Ainsi, il a été constaté dans certaines études une perte substantielle de parasites dans les populations de R. rattus de régions envahies plus ou moins récemment par rapport à des zones anciennement colonisées (revue dans Morand et al., 2015), ce qui fournit une première indication pour l’hypothèse d’enemy release. La transmission de parasites aux communautés natives envahies (i.e.. spill-over) par les rongeurs envahissants apparait comme l’hypothèse la plus étayée. En effet, de nombreux travaux ont associé les invasions du rat noir

(e.g., Smith & Carpenter, 2006 ; Wyatt et al., 2008), de la souris domestique (e.g., de Bruyn et al., 2008) et de l’écureuil gris (Tompkins et al., 2003) à leur capacité d’agir comme vecteurs et/ou hôtes réservoirs d’une large gamme de parasites/pathogènes transmissibles. A titre d’illustration, l’écureuil gris originaire d’Amérique du Nord est devenu envahissant en Afrique du Sud et dans tout le Royaume-Uni en provoquant une réduction drastique des populations natives de l'écureuil roux (Tompkins et al., 2003), du fait de l’introduction d’un poxvirus avec lequel il a coévolué. L’introduction du rat noir et de la souris domestique au sein de certaines îles a conduit à l’extinction de nombreuses espèces natives potentiellement compétitrices (revue dans Harris, 2009). Le partage récurrent de parasites locaux par les rongeurs natifs et exotiques suggère que le spill-back pourrait être une hypothèse alternative au spill-over pour expliquer le succès de certaines invasions de rongeurs envahissants (Kelly et al., 2009). Ainsi, le rat noir aurait été responsable du maintien et de la transmission de la bactérie Coxiella burnetii, partagée par une autre espèce de rat Rattus norvegicus, durant l’épidémie de 2007 à 2010 aux Pays-Bas (Reusken et al., 2011). Cependant, une grande partie de ces études souffrent d’un certain nombre de limites entravant la fiabilité des conclusions établies et, par voie de conséquence, la généralisation des patrons observés (voir chapitre 2, section 3).

Les rongeurs envahissants possèdent donc des attributs faisant d’eux d’excellents candidats pour tester les hypothèses reliant le parasitisme (et ses conséquences évolutives) au succès d’invasion (Morand et al., 2015).