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Ecologie des communautés de parasites et invasions de rongeurs au Sénégal

II.1 Des patrons complexes

L’approche d’écologie des communautés utilisée au cours de ma thèse pour décrire les communautés de parasites des rongeurs natifs et exotiques a mis en exergue la non-uniformité des patrons observés durant les invasions étudiées, en fonction des communautés d’hôtes et de parasites considérées. En effet, si une réduction significative de la pression parasitaire a été démontrée sur le front d’invasion des deux espèces exotiques, ce signal n’a cependant été visible pour les deux communautés de parasites qu’au sein des populations du rat noir. Parallèlement, les variations de prévalence/abondance de parasites au sein des rongeurs natifs entre zones récemment et non envahies ont uniquement été constatées sur les communautés d’helminthes. Ces observations témoignent en partie du caractère complexe des relations hôtes- parasites dans un contexte d’invasion biologique, en relation probable avec la stochasticité des phénomènes démographiques et environnementaux associés aux différentes histoires d’invasion. La diminution éventuelle de la pression parasitaire d’origine subie par les espèces hôtes exotiques au cours de l’invasion - telle qu’observée dans notre étude - représente une parfaite illustration de cette situation. Typiquement, s’il est possible de prédire dans une certaine mesure quels parasites sont susceptibles d’être perdus au cours d’un processus d’invasion (par exemple, des parasites trop virulents ou à cycles de vie complexes), la diminution de la pression parasitaire liée à un événement d’invasion peut aussi résulter de processus complètement aléatoires. Les modifications subies par une communauté de parasites au cours d’un processus d’invasion ne seront donc pas forcément similaires d’une histoire

3 et 6 populations de rongeurs hôtes pour chaque stade du gradient d’invasion, avec environ une vingtaine d’individus de chaque espèce par population) est suffisant pour limiter l’interférence des biais potentiels liés au caractère stochastique des invasions.

De manière connexe, le fait que mes résultats ne valident pas les prédictions des hypothèses spill-over ou spill-back sur les routes d’invasion étudiées ne signifient pas indubitablement que ces deux mécanismes n’opèrent pas avec les communautés de parasites examinées (voir discussions des articles I et II). Si les parasites impliqués dans du spill-back ou du spill-over sont très virulents sur l’espèce native, on pourrait s’attendre à ne pas les détecter en populations naturelles, autrement qu’indirectement sur des taux de mortalité des hôtes par exemple. C’est le cas du virus Pox transmis par l’écureuil gris S. carolinensis à l’écureuil roux Sciurus vulgaris et responsable de l’exclusion de ce dernier en Grande-Bretagne au cours du 20e siècle (McInnes et al., 2013). La confirmation des patrons observés sur les communautés de parasites étudiées dans ce travail nécessiterait donc (i) d’étudier les communautés de parasites sur d’autres gradients d’invasion de la souris domestique et du rat noir et (ii) de suivre temporellement les différents réplicas (populations de rongeurs de chaque espèce hôte) analysés sur chacune des routes d’invasion étudiées, en combinant les études d’écologie des communautés avec des suivis de densité des populations de rongeurs.

II.2 Une approche ‘multicommunautés d’hôtes’

L’arrivée d’une nouvelle espèce dans le milieu local est susceptible d’altérer fortement les interactions hôtes-parasites, à l’interface de communautés composées de plusieurs espèces natives et exotiques (Telfer & Bown, 2012). Les perturbations écosystémiques associées à ces variations dans la biodiversité peuvent avoir des impacts sur la transmission des parasites locaux (Johnson et al., 2013a). Les récentes recherches sur le sujet ont suggéré un lien conflictuel entre biodiversité et circulation des parasites. Dans un contexte d’invasion biologique, les changements de diversité des communautés d’hôtes associés à l’établissement d’une espèce exotique peuvent provoquer une augmentation (hypothèse d’amplification) ou une diminution (hypothèse de dilution) du risque de transmission d’un parasite local, en fonction de la compétence de l’espèce introduite à transmettre le parasite. Ces phénomènes d’amplification / dilution font l’objet d’un intérêt grandissant de la communauté scientifique, mais n’ont été étudiés principalement que dans le contexte de maladies à vecteurs aux USA (Keesing et al., 2010). Ils mériteraient d’être appréhendés dans des contextes d’invasion en cours où la diversité

et la densité des populations d’hôtes varient significativement dans le temps et dans l’espace le long des routes de colonisation.

II.3 Une approche ‘multicommunautés de parasites’

La plupart des organismes hôtes, la plupart du temps, sont infectés par plusieurs espèces de parasites appartenant probablement à différentes communautés de macroparasites et/ou de microparasites (Pedersen & Fenton, 2007). Les rongeurs ne font pas exception à la règle (Morand et al., 2006 ; Meerburg et al., 2009). Dans ce contexte, les travaux se focalisant sur un seul parasite ou groupe de parasites peuvent aboutir à des conclusions incomplètes ou incorrectes sur les interactions hôtes-parasites (Vaumourin et al., 2014) notamment durant le processus d’invasion. Typiquement, le ou les parasites ayant un effet significatif sur le processus d’invasion pourraient être celui ou ceux non estimés durant une étude ciblant un taxon parasite particulier. L’étude de deux communautés distinctes de parasites (helminthes gastro- intestinaux et bactéries pathogènes) au cours de ma thèse, bien que ne représentant pas de manière exhaustive le spectre parasitaire des rongeurs étudiés, permet d’envisager dans un contexte beaucoup plus réaliste le rôle des parasites dans les invasions biologiques. Cependant, d’autres communautés de parasites, telles que les virus, les protozoaires ou les ectoparasites (tiques et puces) infectent très probablement les rongeurs étudiés. Ces communautés n’ont pas été étudiées au cours de ma thèse mais mériteraient d’être analysées pour évaluer un éventuel lien avec le succès d’invasion de R. rattus et de M. m. domesticus au Sénégal. Par exemple, il a été montré que l’invasion des îles Christmas par le rat noir R. rattus est associée à la transmission d’un protozoaire (Trypanosoma lewisi) aux populations natives de Rattus macleari qui ont été totalement exclues (Wyatt et al., 2008).

II.4 Une approche ‘infracommunauté de parasites’

Au sein d’un hôte, les parasites, indiféremment micro- et macroparasites, peuvent interagir de manière directe (via la compétition pour les ressources) ou indirecte (via des modulations du système immunitaire de l’hôte) (Graham, 2008). Ces interactions peuvent avoir des conséquences positives (ex. immunorégulation des réponses immunitaires) et/ou négatives (compétition directe pour la niche à occuper) sur au moins l’un des partenaires (Pedersen & Fenton, 2007). Elles peuvent également avoir des répercussions substantielles sur la physiologie et la fitness des individus hôtes (Lass et al., 2013). Ce sont toutes ces interactions parasites-

hôte comme un véritable écosystème. Cependant, très peu d’études se sont intéressées à l’étude de ces interactions en populations naturelles (Telfer et al., 2010). Or, celles-ci peuvent influencer de manière prépondérante les interactions hôtes-parasites, notamment dans un contexte d’invasions biologiques où les parasites sont au cœur de processus fondamentaux pouvant influencer le succès et l’impact des espèces exotiques. Par extension au concept de ‘pathobiome’ développé par (Vayssier-Taussat et al., 2014), il serait intéressant d’envisager les différentes interactions possibles entre les parasites, et leurs effets potentiels sur les organismes hôtes. Les conséquences associées à ces éventuelles interactions peuvent fondamentalement impacter la structuration des communautés parasites, et leurs effets potentiels sur les organismes hôtes, le long d’un gradient d’invasion. Par exemple, la perte d’un parasite au cours de l’expansion d’une espèce hôte peut aboutir à une augmentation de l’abondance et/ou de l’impact d’un ou de plusieurs autres taxons parasites avec lesquels le parasite perdu était en compétition (Lello et al., 2004). Egalement, l’occurrence des transferts de parasites entre hôtes natifs et exotiques telle que supposée par les hypothèses de spill-over et de spill-back peut être tributaire de ces interactions. En effet, la présence d’un parasite au sein de l’hôte peut faciliter l’infection par de nouveaux parasites, du fait par exemple, de la régulation de certaines voies immunitaires.

Plus spécifiquement, on pourrait s’intéresser aux associations existant entre les espèces des différentes communautés de parasites infectant (à l’échelle de l’individu) les rongeurs commensaux présents sur les deux routes d’invasion étudiées. Ces associations potentielles pourraient refléter des interactions effectives entre parasites qu’il faudrait évidemment tester. Ainsi, la recherche d’associations particulières (agrégation ou exclusion au sein des hôtes) entre certains taxons d’helminthes et de bactéries récoltés durant ce travail, et les effets potentiels de ces associations sur les rongeurs hôtes au cours de l’invasion, pourrait constituer une perspective intéressante. A ce sujet, des interactions ont déjà été démontrées entre des taxons d’helminthes gastro-intestinaux et certains microorganismes pathogènes, y compris les bactéries (Pedersen & Fenton, 2007 ; Graham, 2008 ; Hawley & Altizer, 2011). Typiquement, il a été essentiellement mis en évidence que les réponses immunitaires dirigées contre les helminthes induisent une cascade de réactions immunitaires aboutissant à une réduction des réponses immunitaires dirigées contre les bactéries pathogènes (Thakar et al., 2012 et références citées). Cependant, des résultats empiriques supplémentaires sont nécessaires pour confirmer la généralité de ce patron et clarifier les mécanismes immunitaires impliqués concrètement dans ces co-infections helminthes-bactéries (Thakar et al., 2012).