• Aucun résultat trouvé

III- Relations entre immunité et parasitisme durant l’invasion

III.2 Les patrons observés chez les rongeurs natifs

Les populations de rongeurs natifs n’ont subi aucune variation significative dans leur investissement immunitaire en dépit de variations significatives attestées sur certains helminthes probablement natifs entre zones non envahies et récemment envahies. L’impact des invasions biologiques sur les fonctions et réponses immunitaires des hôtes natifs a rarement été décrit et étudié dans les travaux cherchant à élucider les relations entre immunité des hôtes et succès d’invasion. Or, la faculté d’une espèce native à ajuster ses niveaux de réponses immunes en fonction du risque d’infection et des perturbations imposés par l’installation d’une espèce nouvelle peut avoir un rôle clef dans sa capacité de compétition contre l’espèce envahissante à qui elle est confrontée.

Cas 1 - Les changements de communautés parasitaires peuvent-ils expliquer les changements d’investissement dans les voies immunitaires ?

L’absence de variations immunitaires chez les rongeurs natifs au cours de l’invasion du rat noir et de la souris domestique en dépit des changements de prévalences et/ou d’abondances de parasites natifs sur le front d’invasion peut être expliquée par l’absence d’effet significatif de ces parasites sur la fitness ou le système immunitaire de l’hôte. On peut aussi se demander si ces parasites qui ont probablement co-évolué avec leurs hôtes n’élicitent pas des voies immunitaires spécifiques différentes de celles testées durant cette étude. Dans un cas extrême, ces parasites pourraient être parvenus à se défaire complètement de l’action du système immunitaire de l’hôte par des stratégies d’échappement et/ou de détournement au cours de leur évolution commune (Mansfield & Olivier, 2011) ; ils pourraient donc subir des modifications d’occurrence et d’intensité en relation avec d’autres paramètres physiologiques de l’hôte et de manière indépendante de l’immunité. Des modifications physiologiques des hôtes natifs de manière subséquente à l’établissement des hôtes exotiques peuvent avoir lieu suite aux événements de compétition et à la perturbation du milieu par les envahisseurs.

Cas 2 - Les changements d’investissement dans les voies immunitaires peuvent-ils expliquer les changements de communautés parasitaires ?

Inversement, l’absence de modifications dans l’immunité, en relation probable avec une faible capacité d’adaptation du phénotype immun, peut expliquer le désavantage des populations natives sur leurs congénères exotiques. Les hôtes natifs seraient plus sensibles à l’infection par leurs parasites natifs lorsqu’ils sont confrontés aux hôtes exotiques. C’est ce signal qui a été observé dans mes résultats, avec une augmentation sur le front d’invasion des prévalences/abondances de certains parasites natifs au sein des hôtes locaux (chapitre 2, article I). En effet, comme explicité précédemment, l’établissement d’une nouvelle espèce (potentiellement meilleure compétitrice) partageant le même habitat va entrainer des changements inéluctables dans les traits d’histoire de vie des hôtes locaux. Ici, l’absence de modulations immunitaires est perçue comme une cause (par exemple de l’accès limité aux ressources suite à la colonisation du milieu) plutôt que comme une conséquence de la variation des patrons d’infection des rongeurs natifs sur le gradient d’invasion. Si les rongeurs natifs ne sont pas capables d’adapter leur système immunitaire en réponse à l’invasion, ils risquent d’être fortement impactés par les changements de pression parasitaire potentiellement induits par les hôtes exotiques. En effet, les hôtes exotiques peuvent introduire des parasites sur le front d’invasion et accroitre le risque d’infection des hôtes natifs. Par exemple, dans mon étude, la souris domestique a été trouvée porteuse de la bactérie pathogène du genre Orentia dans les zones actuellement en cours d’invasion où rongeurs natifs et exotiques co-existent (chapitre 2, article I).

c) Quand interviennent les changements immunitaires chez les rongeurs envahissants ? L’invasion est un phénomène dynamique caractérisé par des variations spatio- temporelles des caractéristiques propres aussi bien aux espèces non natives qu’à l’environnement et aux communautés envahies (Hastings et al., 2005). Ainsi, les traits d’histoire de vie favorisant l’expansion des populations exotiques peuvent être éphémères et varier sensiblement durant l’évènement d’invasion (Phillips et al., 2010a). A titre d’exemple, Gendron et al. (2012) ont montré via des suivis longitudinaux que la baisse de la pression parasitaire ayant probablement favorisé le succès de l’invasion du gobie européen à tâches noires (Neogobius melanostomus) au Canada n’était qu’une phase transitoire du processus d’expansion, puisque cet hôte a retrouvé d’importants niveaux d’abondance et de richesse parasitaires une quinzaine d’année suivant son introduction. Un autre exemple est celui de la grenouille envahissante Rhinella marina dans le nord de l’Australie qui s’est retrouvé réinfectée

par le ver parasite des poumons Rhabdias pseudosphaerocephala dont elle s’était libérée 2-3 ans auparavant sur son front d’invasion (Phillips et al., 2010b). Ces changements relativement rapides de pression parasitaire sur les espèces hôtes envahissantes suggèrent – au moins en partie – des modifications dans la capacité des parasites à infecter leurs hôtes et/ou des modulations dans l’investissement immunitaire de ces hôtes. L’élucidation de la problématique des modulations immunitaires des hôtes exotiques vis-à-vis de la pression parasitaire du milieu dans un contexte d’invasion biologique nécessite indispensablement des suivis temporels sur la nature et l’intensité de l’investissement de ces hôtes dans l’immunité. Dans ce même contexte, s’il est attesté que les réponses immunitaires du rat noir et de la souris domestique diffèrent significativement au cours de leur processus d’invasion au Sénégal, le moment à partir duquel ces changements interviennent demeure inconnu. Ces variations immunitaires potentiellement en lien avec le succès d’invasion des rongeurs envahissants résultent soit d’une plasticité qui pré-adapterait ces espèces à l’invasion, soit d’adaptations post-introduction aux conditions locales nouvelles auxquelles sont confrontés le rat noir et la souris domestique sur leur front d’invasion respectif. Une récente méta-analyse (Moeller & Cassey, 2004) a montré que le niveau des réponses immunes médiées par les lymphocytes T serait un pré-réquis, plutôt qu’une conséquence, du succès d’expansion de plusieurs populations envahissantes d’oiseaux. La distinction entre ces deux phénomènes est d’importance, notamment pour appréhender les mécanismes écologiques et/ou évolutifs sous-jacents aux variations immunitaires observées durant l’invasion.