concurrence. Ceci existe déjà ailleurs dans les banques : afin de protéger les intérêts des épargnants, une directive européenne impose à toutes les banques une muraille de Chine entre les activités de marché et les activités de gestion d’actifs. La partie gestion d’actifs de la Banque X, quand elle achète ou vend des actifs, est obligée de considérer la partie ‘marchés’ de la Banque X comme un fournisseur comme les autres et de mettre plusieurs contreparties en concurrence. Aujourd'hui, tout le monde considère cette réforme comme saine : elle évite une collusion à l’intérieur de la Banque X qui se ferait, via les prix d’achat et de vente, sur le dos des épargnants.
Ma suggestion est analogue. Établir une Muraille de Chine entre la banque de détail et la gestion d’actifs : celle‐là serait obligée de mettre en concurrence les produits d’épargne vendus au guichet à l’épargnant final. Même s’il est difficile de repérer les bons produits d’épargne de l’avenir, un tel mécanisme mettrait un peu plus de concurrence, d’efficacité et de transparence dans la gestion et la distribution de l’épargne. Cette diversification de l’offre des produits de gestion s’appelle l’architecture ouverte. En particulier, ceci permettrait de faire baisser, par transparence, les marges de gestion (que GARNIER et THESMAR identifient comme un élément important du choix des produits d’épargne).
Les critiques de l’architecture ouverte avancent deux arguments :
• La ‘confusion des clients’ devant les marges affichées qui les feraient hésiter à épargner.
C’est un argument classique des lobbies de producteurs contre la concurrence qu’ils récusent : « il ne faut pas de concurrence, la multiplicité des prix va déstabiliser les clients ! ».
Nous avons déjà entendu cet argument lors de l’ouverture du secteur des télécoms à la concurrence dans les années 1990…
• Le risque ‘MADOFF’ : les banques pourraient vendre à leurs clients des produits d’épargne frauduleux. Ici aussi la réponse est simple : il suffit que l’AMF et la Banque de France n’autorisent les banques à commercialiser que des fonds dûment audités et contrôlés par l’AMF –ce que n’étaient pas les fonds MADOFF.
4) Une désaccord avec le rapport. GARNIER et THESMAR proposent (dernier chapitre, 2) a) que
« l’État verse une prime (dégressive avec l’âge et tombant à zéro à 40 ans) qui viendrait abonder les versements en PERCO et PERP ». J’en comprends la logique : inciter les jeunes ménages à épargner tôt. Mais à une époque de large déficits publics et de chômage de masse, je ne suis pas du tout sûr qu’il soit socialement optimal (au sens de l’efficacité économique et au sens de la justice sociale, par ex. au sens de RAWLS) d’élargir les déficits publics pour cette cause.
Roger Guesnerie
Le rapport présenté par O. Garnier et D. Thesmar est un texte de qualité. Il faut tout d’abord souligner qu’il fournit une mine d’informations sur les phénomènes à l’étude, qu’il s’agisse de l’épargne longue et des risques financiers.
On ne peut manquer d’être particulièrement sensible à l’effort de comparaison internationale, fait par les auteurs. Cet effort porte par exemple, je cite un peu dans le désordre, sur les grandes masses des patrimoines, sur l’effet des système de retraites dans l’explication des détentions des divers actifs financiers, sur l’effet petit pays dans les échanges de capitaux, et sur la variation des parts intérieures et étranger de la détention d’actions…Le rapport a aussi le mérite de présenter des informations importantes, pour lesquelles je ne connais pas de source synthétique accessible à ceux
qui sont quelque peu éloignés du sujet, sur tout ce qui concerne les rentabilités sur les marchés financiers. Il passe en revue les rentabilités comparées à long terme des actions, obligations, et rappelle les questions lancinantes sur l’explication de ces évolutions, qui vont de l’énigme de la prime de risque, à la réversion à la moyenne dans le cours des actions et la pertinence prédictive du
« price‐earnings » ratio.
Voilà donc un rapport extrêmement riche en informations, et comme il se doit pour un travail du CAE, c’est un rapport qui s’efforce de bien faire le départ entre les enseignements de théorie économique et de l’analyse empirique, et les axiomes de la philosophie économique libérale. Cela va sans dire, mais sans doute vaut il mieux le dire, à un moment où l’on peut se demander si ce n’est pas la substitution aux enseignements du savoir économique d’une philosophie économique libérale à tout
Ma première remarque conséquente rebondit sur la référence qui vient d’être faite à la philosophie économique libérale : le principe 1, selon la dénomination adoptée, qui est mis en exergue affirme que « l’objectif premier de la politique de l’épargne doit être non le financement de la politique mais le bien‐être des ménages dans une perspective de cycle de vie ». Ce principe a un certain air de parenté ressemblance avec un axiome de la philosophie libérale. Il faut répèter que vous vous efforcez de le justifier en économistes, mais on peut trouver en l’occurrence les justifications, de l’ordre d’une demie‐page dans la version initiale, un peu courtes, et ce pour trois raisons.
La première est simplement que, comme il est souligné dans le rapport, une grande partie de la politique antérieure de ce pays relève d’une autre analyse : la réfutation d’aussi longs errements mérite sans doute plus pour être convaincante.
La seconde est que la description que vous faîtes des marchés financiers suggère de nombreuses et profondes imperfections, au sens que l’on donne à ce terme lorsqu’on parle de marché. Nous ne sommes pas dans le « first best » mais dans le « second best ». Et dans ce monde de second best, il y a sans doute toute une série de raisons pour lesquelles un pays isolé, et plus encore une entité régionale comme l’Europe, voudrait se prémunir contre des dysfonctionnements, ou au contraire en tirer profit. J’entends bien qu’il y a des arguments de « third best », plus ou moins convaincants selon le cas, pour rejeter l’activisme : la difficulté de comprendre les mécanismes, la capture par des intérêts particuliers, etc.. Mais, il y aurait sans doute beaucoup à dire, à la porte d’un champ de réflexion difficile mais passionnant.
La troisième raison est que l’argumentaire que vous suggérez n’évoque, même pas pour les réfuter, certains des craintes qui sous tendent des décisions récentes : je pense à la question de la nationalité de l’entreprise qui est sous‐jacente à toute une série de mesures prises ici ou là, je veux dire ici ou en Amérique.
Résumons : sans être nécessairement tout à fait en désaccord avec ce principe 1, l’argumentaire qui l’introduit paraît, à première lecture, pour le moins rapide. Il devrait, semble t’il, pour être établi de façon convaincante, réfuter beaucoup plus d’objections que celles qui sont évoquées. Dois‐je ajouter que ce commentaire ne m’empêche pas d’adhérer pour l’essentiel aux suggestions de simplification de la fiscalité de l’épargne qui sont faîtes.
Après cette remarque portant sur un des principes que le rapport s’efforce de dégager, il faut évoquer deux points plus spécifiques, et dont le premier touche à la théorie.
Le rapport renvoie parfois aux modèles de cycle de vie qui prennent en compte l’endettement, mais les auteurs auxquels il se réfère le souvent plus, mettent plutôt au centre de leurs explications de l’épargne, les arguments d’aversion au risque. On peut pourtant penser que
l’existence d’une contrainte d’endettement est une variable essentielle d’explication des comportements d’épargne sur le cycle de vie, et même, comme le montre l’analyse, pour les ménages dont la probabilité d’être un jour touché par cette contrainte est assez faible. La remarque n’est pas simplement académique : dans beaucoup de pays, c’est à cause de la contrainte d’endettement, que les ménages doivent faire état d’un apport personnel significatif voire assez lourd pour l’acquisition d’un logement60. Là, l’épargne pour constitution d’apport personnel est importante dans cette phase du cycle de vie. Le recours aux actions, dans cette logique, conduit à prendre un risque qui paraît particulièrement inapproprié61. Accepter l’analyse suggérée conduit à relativiser beaucoup l’argumentaire du rapport sur la logique de détentions d’actions à ce stade du cycle de vie (même si la recommandation en la matière pour l’épargne retraite à cotisations définies, reste convaincante).
On peut ajouter, mais c’est une préférence en matière de théorie qui est sans doute minoritaire, que la contrainte d’endettement explique de façon beaucoup plus robuste la précaution au sens banal du terme, puisqu’elle ne requiert pas, comme la précaution au sens savant, des hypothèses sur le signe des dérivées (au moins) troisièmes de l’utilité. Qu’il n’y ait pas de malentendu, cette remarque ne préconise pas d’exclure de l’analyse les considérations, fussent elles subtiles, de l’aversion au risque mais de faire plus de place à la contrainte d’endettement.
Le dernier point de ces remarques concerne l’analyse de la complémentarité répartition‐
capitalisation. A nouveau, elle est convaincante, non seulement parce qu’est invoqué le sentiment de de Mènil et Sheshinsky sur les mérites du système Français, mais parce que toutes les considérations présentées sur le partage du risque entre salariés et retraités semblent très pertinentes. Donc en incompétence partielle, j’approuve vos suggestions sur les bonnes directions d’infléchissement du système, un thème qui pourrait être plus systématiquement mis en exergue, et ce, dés le début du rapport.
60 Cette remarque s’est toujours moins appliquée aux USA qu’ailleurs et était devenue caduque à la grande époque des « subprimes » euphoriques, mais …
61 même si je ne connais pas de modélisation de ce phénomène, mais ceci traduit sans doute une connaissance lacunaire de cette littérature..
Compléments au rapport