S&P composite : P.E.R corrigé du cycle
III. Le portefeuille optimal : ce que les ménages devraient faire
1. Choix de portefeuille des épargnants individuels : excès de rotation et insuffisante diversification
Les travaux académiques sur la finance des ménages en est encore à ses balbutiements, en particulier à cause du manque de données pour réellement tester les théories. Néanmoins, d’un point de vue normatif, elle formule quatre grandes classes de recommandations:
• Il faut diversifier son portefeuille, à la fois au sein d’une classe d’actifs donnée et entre les différentes classes d’actifs.
• Dans le choix des véhicules d’investissement de type OPCVM, le niveau des frais de gestion importe plus que la performance passée. C’est particulièrement le cas pour les épargnants à long terme.
• Pour l’épargnant, l’horizon d’investissement est une variable cruciale : par exemple, une personne qui approche de l’âge de la retraite ne devrait plus détenir trop d’actions, et privilégier alors les obligations du trésor indexées sur l’inflation.
• Les actifs non financiers (immobilier, mais aussi capital humain, ou droits à la retraite par répartition) sont également sources de risques. Ils doivent donc être pris en compte dans les choix d’allocation d’actifs financiers du ménage (par exemple, il n’est en général pas recommandé de détenir un portefeuille d’actions exposées au risque du secteur automobile lorsqu’on travaille dans cette branche).
Ces recommandations reposent sur une abondante littérature que nous allons maintenant passer en revue.
1. Choix de portefeuille des épargnants individuels : excès de rotation et insuffisante diversification.
La recommandation de base de la théorie du portefeuille est la diversification. Afin de minimiser son exposition au risque, un épargnant souhaitant atteindre un niveau de rendement donné doit toujours employer une combinaison de l’actif sans risque avec le portefeuille de marché (c'est‐à‐dire représentatif du marché). Si l’on vise un rendement très élevé, il peut être nécessaire d’utiliser l’effet de levier en s’endettant pour acheter le portefeuille de marché. Si l’on vise au contraire un rendement plus sûr, il faut réduire l’exposition au portefeuille de marché par rapport à l’actif sans risque. Dans aucun de ces cas il ne serait efficace de composer un portefeuille d’actions différent de celui du marché, car on augmenterait alors le risque sans augmenter le rendement d’autant qu’on le pourrait autrement.
Graphique 22 : Rendements obtenus par les ménages américains en fonction du taux de rotation de leur portefeuille (Source : Barber et Odean, 2000)
La théorie standard du portefeuille semble donc bannir le « stock picking » de la part des investisseurs individuels. De manière générale, le bilan du « stock picking » par les investisseurs individuels est très médiocre. Barber et Odean (2000) ont étudié les choix de portefeuille de 66,000 abonnés à un grand courtier américain, entre 1991 et 1996. Pendant cette période, le marché a gagné 17.4% par an. Les investisseurs actifs (« high turnover »), qui recomposent 20% de leur portefeuille tous les mois, ont réalisé exactement le même rendement (18% environ) que ceux qui ont été complètement passifs (graphique 22). Du point de vue des investisseurs individuels, les marchés ont donc été efficients : quelles que soient les actions sélectionnées, le rendement a été le même. Toutefois, les investisseurs les plus actifs ont été perdants via les coûts de transactions : ceux‐
ci ont réduit leur rendement de 18% à 11%.
Dans d’autres études publiées par ces mêmes deux auteurs, il semble même que ce type d’investisseur individuel fasse systématiquement « le mauvais choix » (Barber, Odean, and Zhu, 2008). Les individus achètent les mêmes titres en même temps (par exemple lorsque les médias et/ou les analystes attirent leur attention), créant par là une pression à la hausse qui fait temporairement monter leurs cours. Or, ceux‐ci retournent ensuite lentement vers leur valeur fondamentale : comparée aux actions vendues, les actions achetées massivement par les individus pendant une semaine donnée perdent en moyenne 4,4% pendant l’année qui suit.
Ce type de phénomène se retrouve aussi au niveau agrégé : les flux de placement des ménages vers les actions sont les plus élevés lorsque le marché est au voisinage de son plus haut. Le graphique 23, repris de Pansard (2005), montre à quel point les investissements en actions sont sensibles aux rendements passés : en 2000, alors que les marchés d’actions atteignaient leurs sommets, les ménages français ont investis en actions (directement ou indirectement) 80% de leurs flux de placements financiers, contre, par exemple, 30% seulement en 1998. Les épargnants individuels ont donc un comportement pro‐cyclique : ils achètent haut et revendent bas.
Graphique 23: Part des investissements à fort contenu en actions dans le total des flux de placements financiers des ménages français (Source : Pansard, 2005)
Le second biais de la gestion active individuelle est l’excessive concentration des portefeuilles sur un nombre limité de lignes. Par exemple, dans l’échantillon de Barber et Odean (2000), l’investisseur moyen détient environ 4 actions différentes. Goetzmann et Kumar (2005) montrent en outre qu’il y a une grande inégalité entre investisseurs. Les 10% des investisseurs les moins sophistiqués ont, sur leur portefeuille boursier, un ratio de Sharpe (moyenne sur variance) égal à la moitié de celui des 10% les plus sophistiqués. Dit autrement, les investisseurs les moins sophistiqués pourraient avoir un risque deux fois inférieur pour le même rendement, ou un rendement deux fois supérieur pour le même niveau de risque. Sans surprise, les investisseurs les plus jeunes, les moins éduqués, et les moins riches sont ceux dont le portefeuille est le moins diversifié. D’autres études américaines portent sur les comportements de gestion de l’épargne retraite, en analysant la composition des comptes individualisés à contribution définies dits 401(k)). Les résultats sont alarmants (Benartzi, 2001) : environ le tiers des encours de fonds 401(k) est investi dans l’entreprise pour laquelle les épargnants travaillent. Pour chaque dollar de contribution volontaire (en plus du montant prévu chaque mois), les épargnants investissent en plus 25 cents dans l’entreprise qui les emploie.
Typiquement, ce pourcentage monte à 40% pour les entreprises dont l’action a augmenté au cours des années antérieures, contre seulement 10% pour celles dont le cours de bourse s’est moins bien comporté. Pourtant, une hausse passée ne prédit en rien une hausse future : les actions des entreprises dans lesquelles leurs employés investissent massivement ne surperforment pas par la suite. Dit autrement, les employés extrapolent indûment les performances passées de leur employeur, au détriment de leur diversification.
Pourtant, les bénéfices de la diversification sont importants. Une étude fréquemment citée pour l’illustrer est celle de Statman (1987) : elle montre qu’en passant de 1 action à 20 actions, on peut réduire le risqué de son portefeuille des deux tiers, sans en réduire le rendement moyen. Au cours de la période récente toutefois, les bénéfices de la diversification, bien que toujours importants, sont devenus plus compliqués à obtenir. Les rendements boursiers étant devenus plus volatils au cours des 30 dernières années, la corrélation entre eux a diminué. Rééditant son calcul de 1987, Statman (2004) trouve aujourd’hui qu’il faut près de 300 actions différentes pour bénéficier du plein potentiel de diversification (soit une baisse d’environ 70% du risque). Quoiqu’il en soit, se diversifier soi‐même est compliqué, et la littérature académique recommande donc l’achat de fonds d’épargne collective (de type OPCVM), qui permettent d’accéder à des portefeuilles très diversifiés même dans le cas d’investissements de montants modestes.
La diversification doit également être internationale. Les épargnants souffrent typiquement du
« home bias » : ils détiennent en portefeuille une fraction trop importante de titres de leur propre pays. Les cycles économiques nationaux n’étant pas parfaitement synchronisés, la diversification internationale apporte des gains significatifs. En prenant une corrélation d’environ 0.9 entre les rendements des différents marchés44, Statman et Scheid (2005) trouvent que la diversification internationale permet d’éliminer environ un quart du risque. Les gains sont encore plus importants dans le cas d’économies très spécialisées, comme exemple celles productrices de matières premières.
La diversification internationale est aussi très souhaitable dans le cas de l’épargne‐retraite, puisque cela permet d’être moins dépendant de la démographie nationale en investissant dans des économies à population plus jeune (ce qui est un avantage par rapport à la retraite par répartition, complètement tributaire de la démographie nationale). Une deuxième recommandation pour les épargnants individuels est donc d’investir dans des fonds diversifiés internationalement.