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La bientraitance, pour une grande majorité des professionnels de santé travaillant en psychiatrie, reste un concept complexe aux contours flous. Ce constat peut expliquer, du moins en partie, la difficulté pour une partie des soignants à s’intéresser aux travaux concernant la bientraitance et à s’interroger sur leur pratique de soin avec ce souci de l’éthique.

6.1 Bientraitance et tendance à la normalisation

La codification et la protocolisation des pratiques de soin font suite à une multiplication des publications dans lesquelles les démarches de bonnes pratiques professionnelles sont décrites avec exhaustivité. Ces outils permettant d’encadrer les pratiques et visant à lutter contre les dérives présentent malgré tout le risque de mener à une application des stratégies préconisées par les autorités de tutelle sans que celle-ci soit source d’une démarche sincère vers la bientraitance.

En effet, suivre un protocole établi par une instance extérieure empêche souvent une évaluation des besoins et des stratégies à proposer pour améliorer la bientraitance en tenant compte de toute la complexité d’une structure et des situations cliniques qui y sont rencontrées. Il semble important de rappeler que la bientraitance implique une démarche active de la part de l’ensemble du personnel. La phase de discussion et de réflexion pluridisciplinaire constitue un temps essentiel pour sensibiliser le personnel à la bientraitance. Cette phase est l’occasion de mieux définir des valeurs éthiques communes et de souligner l’histoire de l’établissement. Ses autres intérêts sont de permettre dans un premier temps de repérer les démarches pour la bientraitance déjà en place dans l’établissement ou dans certains services puis dans un deuxième temps, élaborer des propositions d’amélioration des pratiques et permettre l’investissement du plus grand nombre.

                                                                                                           

      

6.2 Interrogations autour de la légitimité des textes en rapport avec la bientraitance

Les différentes recommandations de bonnes pratiques publiées par l’ANESM furent rédigées par des groupes de travail et des groupes de lecture composés de personnes qualifiées, professionnels et représentants des usagers en employant la méthodologie du consensus simple (ANESM, 2008a) .

De plus, les recommandations de bonnes pratiques professionnelles, par leur forme, celui d’un référentiel codifié ne fait pas l’unanimité. Il a pu susciter de fortes réactions chez les professionnels de santé notamment en psychiatrie.

Se pose donc la question de la légitimité de ces textes pour élaborer un texte fédérateur et applicable à des structures médicales et médico-sociales accueillant des personnes vulnérables. Ce point est soulevé dans la revue de la littérature portant sur l’éthique dans les établissements médico et médico-sociaux publiée par l’ANESM en 2010 :

                                                                                                                                                                                                                                      6.3 Risque d’instrumentalisation

La qualité des soins proposés par les structures médicales et médico-sociales est évaluée et fait partie des critères permettant la validation de la procédure de certification de cette structure. Les procédures de certification ont pour visée de contrôler la pratique professionnelle des établissements en veillant au respect des lois en vigueur et des recommandations de bonnes pratiques professionnelles.

La procédure de certification menée par la HAS est un enjeu majeur pour les gestionnaires de ces établissements. En effet, la HAS peut leur délivrer ou non une habilitation à la poursuite des activités de soin, ou au contraire, émettre des réserves et exiger des améliorations dans les conditions d’hébergement, d’accueil, de soin...

Une réforme récente des thématiques abordées et évaluées lors de la certification a inscrit la prévention de la maltraitance et la promotion de la bientraitance dans les critères d’évaluation du respect des droits de patients.

Certains soulignent donc le risque de mettre en œuvre ces démarches de bientraitance uniquement dans le cadre des nouvelles exigences des autorités sanitaires et dans le but de répondre aux critères qualités des processus d’accréditation ou de certification. Ces démarches,

nées d’une réflexion commune pour la généralisation de la bientraitance, pourraient être détournées de leur objectif initial à des fins publicitaires. Autrement dit, cette démarche ne serait qu’une vitrine du soin dispensé, éloignée de la réalité du vécu des usagers et du personnel. Aussi, pour qu’une démarche soit véritablement orientée vers la bientraitance, sa mise en place implique qu’une décision ou mesure n’ait pas été déjà prise par l’administration et que la démarche éthique n’intervienne pas a posteriori, uniquement pour faire accepter plus facilement cette décision et éviter des conflits personnels ou sociaux.

Enfin, cette démarche ne doit pas être utilisée pour cacher d’éventuels dysfonctionnements institutionnels : manque de dynamisme des équipes, moyens insuffisants…

6.4 Confusion possible entre qualité et bientraitance

Le sens de la démarche de promotion de la bientraitance, en étant un thème soulevé par les autorités sanitaires chargées de l’évaluation des établissements et services médicaux et médico- sociaux , risque d’être confondu avec la mission plus globale de ces organismes : l’évaluation et le contrôle de la qualité des soins. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous traiterons de la place accordée à la démarche de promotion de la bientraitance en psychiatrie.

                                                                                                                       

       

6.5 Limites dans la reconnaissance de l’usager en tant que « sujet »

Affirmer la place de sujet des personnes hospitalisées et préconiser l’évolution des pratiques pour mieux respecter leurs droits et améliorer la qualité des soins ne doivent pas faire oublier que sur le terrain, notamment en psychiatrie, des résistances existent. Ces résistances, liées à la place particulière de la psychiatrie dans la société et en médecine, impliquent que les changements des mentalités et des pratiques ne s’opèrent que doucement. L’histoire de la création du secteur psychiatrique, son évolution et son visage actuel sont autant d’éléments pour comprendre ces résistances. Tenir compte de la méfiance et de la crainte des professionnels quant aux évaluations et préconisations extérieures est primordial pour leur proposer des outils et une approche adaptés. Aussi, leur permettre de développer des stratégies pour dépasser leurs

difficultés à percevoir et accepter l’autre dans sa mêmeté et dans sa différence pour « en prendre soin » avec sollicitude est une démarche exigeante.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             

Cette notion de droit des « usagers » est actuellement complétée par celle de la « conception universelle ». Cette conception est définie par l’ONU dans l’article 2 de la convention relative aux droits des personnes handicapées ;

                                                                                                                         

      

Cette démarche vise à répondre aux besoins des personnes handicapées et à promouvoir leur participation entière à la vie de la société en leur garantissant l’accessibilité à tout ce qui la compose : environnement bâti, transport, biens et produits, information, service public, éducation et soins.

Ces conceptions nouvelles autour de l’« usager » nécessitent une phase d’appropriation par les professionnels des champs médicaux et médico-sociaux. L’appropriation et l’assimilation doivent être encouragées par des formations initiales et continues et orientées sur la relation aux personnes nécessitant un accompagnement, l’importance de l’accessibilité aux soins et aux structures de droit commun. Le changement des pratiques en dépend.

Cette évolution des concepts et la redéfinition de la place de la personne malade qui en découle doit être relayée auprès du reste de la population. Sensibiliser le public à ces questionnements est devenu une priorité des organismes pour la santé mentale et l’aide sociale. Ces concepts et les mesures prises pour leur donner un aspect concret mériteraient d’être mieux connus de tous. Pour conclure ce chapitre, cette citation de R.Moulias nous semble avoir toute sa place :

                                                             

Partie 2 : Secteur psychiatrique – de l’asile au secteur

d’aujourd’hui

Penser et parler de la bientraitance dans un service d’hospitalisation temps plein de secteur psychiatrique ne peut se faire sans un éclairage sur l’histoire du secteur et ce qu’il représente ainsi que sur les défis auxquels il doit faire face aujourd’hui.

S’intéresser et connaître l’évolution de l’hospitalisation en psychiatrie aide à comprendre les rôles successifs et parfois empreints d’ambivalence qui lui ont été attribués.

Actuellement, l’hospitalisation en psychiatrie a un double rôle exigé par la société, société aux prises avec des représentations de la folie dont elle a du mal à se détacher. Ainsi, la prise en charge de la maladie psychique doit assurer le maintien de l’ordre en séparant les « fous » du reste de la population mais aussi garantir des soins conformes aux principes de la bientraitance.

Chapitre 1 : L’asile psychiatrique, un lourd passé

Donner quelques notions sur l’histoire de l’asile psychiatrique et les théories médicales ayant conduit à sa création est important pour comprendre les représentations négatives qui persistent chez la population française concernant l’hospitalisation en psychiatrie.

L’asile fut longtemps un lieu de vie, de traitement et d’enfermement des malades mentaux jusqu’à la démarche de désinstitutionalisation qui débuta à la fin de la deuxième guerre mondiale. La création de l’asile permit d’instaurer un enfermement à visée médicale des malades mentaux remplaçant l’enfermement sur décision judiciaire de rigueur au court des siècles précédents. Ces notions nous apportent un éclairage sur les raisons pour lesquelles psychiatrie et enfermement restent souvent associés dans l’imaginaire collectif. Aujourd’hui encore, cette confusion est proche par son ampleur d’un « mythe urbain ». Elle peut ainsi constituer au niveau individuel un obstacle à la prise en charge adéquate d’un patient souffrant de trouble psychique mais aussi, au niveau national, un obstacle à l’élaboration d’une politique de promotion de la bientraitance en psychiatrie.

1.1 Les théories aliénistes

Les théories aliénistes créèrent un nouveau champ de traitement des malades mentaux. L’image de Pinel brisant les chaînes des aliénés de la Pitié Salpêtrière est bien connue. De plus, le « Traité médico-philosophique de l’aliénation mentale ou La manie » écrit par Pinel en 1801 inaugurait de nouveaux concepts autour de la « folie ». Nous ne reviendrons pas sur l’histoire et le contexte de cet avènement de l’aliénisme en France mais il semble important de retenir les points principaux du traité :

                                                                                                                                               

Les aliénistes percevaient l’aliéné comme un malade nécessitant des soins. Il était donc logique de lui proposer des thérapeutiques adaptées. Pinel, Esquirol et leurs disciples œuvrèrent pour cette reconnaissance. De plus, la finesse des observations cliniques et par la suite leur analyse permettant aux médecins de reconnaître les « fonctions » atteintes par la folie en fonction de la symptomatologie du patient constituaient les prémices de la psychiatrie clinique telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il s’agit de l’un des premiers essais de classification nosographique en France.

Les aliénistes parvinrent à la conclusion que la folie n’atteindrait pas toutes les fonctions psychiques d’une personne ; il resterait en chaque malade une part « non folle », fonction psychique saine à laquelle le médecin et le traitement s’adresseraient. Les aliénistes, en la séparant de la psychologie, firent de la psychiatrie une branche de la médecine.

                                                                                                                                                                                                                                        

Esquirol, l’un des pères fondateurs de l’aliénisme, eut un impact important sur l’évolution de la psychiatrie en France. Il a ainsi donné son nom à la loi sur l’hospitalisation en psychiatrie, loi qui fut revue après plus de 150 ans.

                                                                                                                   

1.2 La loi de 1838, loi Esquirol

Depuis le début des années 1800, le contexte post révolutionnaire, où tout devait être possible conduisit à un flou juridique et institutionnel concernant le statut et le place des « fous » dans la société. L’influence des aliénistes, de la notion de « curabilité » de la folie et l’évolution du « fou » vers le statut de malade participèrent à la réflexion politique visant à trouver une solution administrative et législative à cette situation de non droit.

Dans les années 1830, au paradigme de l’interdiction du malade mental, notion juridique, se substitua progressivement celui de l’isolement de celui-ci, notion médicale.

Les débats parlementaires de 1837-1838 conduisirent à une convergence de ce point de vue médical avec les préoccupations des autorités : l’intérêt d’instaurer un traitement de la maladie, d’assurer leur sûreté personnelle et celle d’autrui et de garantir l’ordre public aboutit à la décision d’isoler les aliénés de leurs familles et de leurs relations habituelles et de les soumettre à des précautions particulières de surveillance.

Le contenu de la loi :

• Organisation par départements des soins aux « aliénés ».

• Tous les établissements, qu'ils soient privés ou publics, sont désormais placés sous contrôle de l’autorité publique.

• Création de différentes modalités d’internement : - Placement volontaire

- Placement d’office de deux types : à la demande d’un tiers, demandé par la préfecture

Ces placements nécessitent un avis médical délivré par un médecin, et un avis du préfet. Si le malade doit être gardé en hospitalisation, son dossier doit être réexaminé par le préfet.

• Création d'un statut juridique pour les malades mentaux.

Entre soins et mandat social, cette loi mettait en place l’assistance au malade psychiatrique qui était perçu à la fois comme « un grand enfant » mais aussi comme une personne malade et potentiellement dangereuse dont la société devait être protégée. Tous les textes législatifs touchant à la psychiatrie qui ont suivi cette loi ont seulement modifié certaines clauses de cette dernière. Aujourd’hui encore, notre système de prise en charge psychiatrique est fortement influencé par la loi de 1838. Les soins de psychiatrie organisés en secteurs géographiques ainsi que l’hospitalisation en psychiatrie sous contrainte avec la distinction entre « à la demande d’un tiers » et « sur décision d’un représentant d’un membre de l’état » étaient des mesures déjà en vigueur, mesures qui ont été toutefois remodelées depuis cette loi.

                                                                                                                                              1.3 La réalité asilaire

La vie à l’asile des patients hospitalisés mais aussi des infirmiers qui assuraient les soins s’éloignait souvent des principes théoriques prônés par Pinel et Esquirol.

Nous allons nous intéresser à ces contradictions. 1.3.1 Un lieu de protection de l’ordre public

Ainsi, l’asile psychiatrique était perçu par la société et utilisé par les autorités publiques comme un outil pour le maintien de l’ordre public. L’asile permettait un éloignement et un enfermement de toute personne ayant des troubles psychiques dont la famille ne pouvait ou ne voulait s’occuper et qui pouvait présenter un risque à lui-même ou à la sécurité des autres.

                       

1.3.2 Une toute puissance médicale

La loi de 1838 attribua au médecin les capacités décisionnaires à toutes les étapes de l’hospitalisation du patient de son entrée à sa sortie.

Cette déjudiciarisation s’accompagna d’une médicalisation de l’internement et, par l’obligation de produire des certificats médicaux, la loi introduisit une garantie contre les internements illégitimes et abusifs.

Cependant, de nombreuses critiques se faisaient entendre concernant le risque d’hospitalisation abusive de personnes ne nécessitant pas de soins, notamment avec des certificats médicaux faits à la demande de la famille.

D’autre part, la vision aliéniste de la maladie mentale avait tendance à enlever au malade toute responsabilité ou capacité à consentir, l’hospitalisation en soins libres n’existait pas.

                                                                                                                               

       

1.3.3 Un asile assimilé à une prison douce

Il est important de rappeler qu’un écart et parfois un fossé existaient entre la pensée médicale psychiatrique de l’époque avec ses contradictions et les pratiques tant dans les soins prodigués que dans l’hospitalisation des « insensés » entre le milieu du 18ème et le milieu du 20ème siècle.

En effet, malgré la volonté des aliénistes de faire passer les soins en premier, les logiques politique et sécuritaire étaient prioritaires.

1.3.4 La théorie aliéniste confrontée à la réalité socio-économique

De nombreux écrits mettent en lumière les limites de la théorie aliéniste dans la pratique clinique et hospitalière de l’époque.

En effet, les mesures pour réhabiliter les asiles et prodiguer aux patients des soins avec un personnel formé et en nombre suffisant avaient un coût qui n’avait pas été estimé ni par les autorités ni les aliénistes. Ainsi, les aliénistes dont Esquirol étaient confrontés au manque de financement des mesures de santé qu’ils préconisaient.