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2.1 Prise de conscience de l’horreur de la deuxième guerre mondiale et mouvement de désinstitutionalisation

2.1.1 Prise de conscience des atrocités de la deuxième guerre mondiale et du sort réservé aux malades hospitalisés dans les asiles

Une longue réflexion aboutissant à une refonte de la psychiatrie s’était accélérée à la fin de la deuxième guerre mondiale. En effet, suite à la découverte du traitement réservé aux personnes dans les asiles psychiatriques français et à la dérangeante ressemblance entre asiles et camps de concentration, de nombreux médecins et soignants s’étaient attaqués à une désinstitutionalisation des asiles et à la création de nouveaux lieux de soin pour accueillir les malades mentaux.

                      

      

En effet, durant cette sombre période, la moitié des patients hospitalisés (environ 40 000 personnes) étaient décédés, pour la plupart d’entre eux, de dénutrition. Ce contexte historique,

époque avaient probablement joué le rôle de catalyseur dans cette volonté commune de moderniser l’institution psychiatrique.

                                                                                                                                   moi                                                                                                                                       ça              je                     

Ces nouveaux lieux de soin s’inspiraient de la thérapie institutionnelle dont nous préciserons les principes ci-après.

                                                                                                                                                                                                                                                   

2.1.2 Les principes de la thérapie institutionnelle

La thérapie institutionnelle était au début davantage basée sur des applications concrètes que sur des théories psychanalytiques ou biologiques bien assises. Elle joua un rôle central dans la création du secteur psychiatrique.

La thérapie institutionnelle est un modèle d’élaboration du soin psychiatrique comportant une double dimension : sociologique et psychanalytique.

Dans son article « Fondements éthiques de la psychothérapie institutionnelle » en 2006, Nicole Cano a cité les principes fondamentaux de cette nouvelle approche de la psychiatrie : « recon- naissance de l’effet pathogène de l’asile et de la subjectivité et de la singularité de la souffrance psychique ».

La thérapie institutionnelle a pour objectif de mettre l’individu en tant que personne au centre du soin, la maladie psychique ne devant plus définir le patient. Ainsi, selon Cano, elle « préconise une utilisation de l’institution dans son aspect instituant visant à mettre en place un système de médiations symboliques favorisant une dynamique des échanges » (ibid.).

La thérapie institutionnelle s’appuie sur les concepts psychanalytiques suivants : l’institutionnalisation, le transfert et le contre-transfert institutionnels, la transversalité et l’analyse institutionnelle.

A l’origine, le premier objectif de la thérapie institutionnelle était de traiter la psychose. Le principe thérapeutique principal de la thérapie institutionnelle s’appuie sur la multiplicité des intervenants, la diversité des activités thérapeutiques et des lieux disponibles. Ce morcellement des objets de soins est en miroir du morcellement psychique des patients souffrant de psychose et a pour but de les aider à investir ces objets.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       

La psychothérapie institutionnelle n’a pas comme fin de traiter seulement la psychose, elle a pour but d’aider à traiter d’autres pathologies telles les névroses, les troubles graves de la personnalité ou encore les addictions. Selon Cano, « Elle crée un support symbolique utile au traitement des autres processus psychopathologiques » (Cano, 2006).

La thérapie institutionnelle vise à permettre l’expression d’une créativité au sein du monde hospitalier. Elle a aussi défini les bases de l’ergothérapie :

               

             

       

Cette créativité ne se résume pas aux seules activités artistiques, elle s’exprime aussi à travers la variété et l’originalité des propositions faites aux patients hospitalisés : réunions de pavillon correspondant à nos actuelles réunions soignants-soignés, entretiens informels, travaux d’aide à l’entretien des lieux d’hospitalisation… L’objectif est de proposer une structure ouverte, évolutive et pouvant s’adapter aux besoins de chacun.

                                                                                                                                                                                                                                                                

      

Aussi, le travail en groupe devrait être utilisé comme une aide thérapeutique et éducative. Il pourrait permettre au patient de mieux se connaître et se définir, d’apprendre les codes et usages dans un groupe, de gérer le vivre ensemble.

                                                                                               -         -         -                       -         -        -         -         -                                                                                                                                                                                                                                                           

L'hôpital psychiatrique est souvent décrit comme un microcosme. Il devrait permettre aux personnes hospitalisées d'avoir accès à leurs conflits internes (souvent inconscients) en devenant un lieu de soins constitué d’espaces et d’objets facilitant les processus psychiques d'identification et de transfert. La notion de « constellation » développée par François Tosquelles et expliquée ici par Jean Oury nous éclaire sur le rôle joué par l’hôpital psychiatrique tel qu’il est imaginé dans la thérapie institutionnelle :

                                                                                                                                             

2.1.3 Des psychiatres engagés dans la désinstitutionalisation

Il est difficile d’aborder la thérapie institutionnelle sans évoquer certains des médecins ayant permis sa création puis son essor. En effet, de nombreux psychiatres ont participé au mouvement de désaliénisation de la psychiatrie française. A cette fin nous allons présenter quelques travaux de ces psychiatres : François Tosquelles, Lucien Bonnafé, Paul Sivadon, Jean Oury… Certains comme Oury ou Sivadon ont dirigé des établissements de soins psychiatriques qui ont inspiré les institutions sanitaires actuelles et aidé à organiser les soins psychiatriques en secteur.

Parmi les psychiatres engagés dans la réforme de l’asile, quelques personnalités ont laissé une empreinte forte. Le contexte historique, social et politique ainsi que l’histoire et le vécu individuel de chaque soignant sont des éléments qui ont probablement joué un rôle dans le fort engagement des soignants impliqués dans ce mouvement d’humanisation de la psychiatrie et ont axé celui-ci autour du « souci de l’autre ».

                                                                                                                                                                                                                   

Ainsi, Tosquelles, psychiatre catalan ayant été contraint de fuir l’Espagne suite à la guerre civile, avait une vision humaniste de la psychiatrie. Il a œuvré pour rendre au malade son statut de « sujet ». Il a dirigé l’hôpital psychiatrique de Saint Alban.

                                                                                                       

      

Pour Tosquelles, les soins et les soignants doivent s’adresser à une personne avec une histoire, des valeurs, des capacités et des envies avant de s’adresser à la part malade de celle-ci :

                                                                                                                                                                                                                                                                                                    

François Tosquelles, Paul Bavet, André Chaurand et Lucien Bonnafé ont fondé la « Société du Gévaudan ». Ils ont travaillé ensemble afin de créer, à partir des bases théoriques et des pratiques existant dans le champ psychiatrique une pratique inédite de la psychiatrie, pratique dans laquelle "soins, recherche et formation" seraient intégrés dans une démarche collective. Le terme de « psychothérapie institutionnelle » fut utilisé pour la première fois en 1952 par Georges Daumezon et Philippe Koechlin (Daumezon et al, 1952).

Jean Oury était un psychiatre français, ancien interne de François Tosquelles. Il fut un membre actif du groupe de travail de psychothérapie et de sociothérapie institutionnelles, Ce groupe s’était réuni entre 1960 et 1966 afin de réfléchir à la problématique spécifique de la thérapie institutionnelle. Oury soulignait la nécessité d’élaborer des concepts qui pourraient servir d’assise pour l’organisation des soins et cette nouvelle approche du malade psychique. Il a

fondé la Clinique de la Borde, clinique psychiatrique où il a appliqué les principes de la thérapie institutionnelle et qu’il dirigea jusqu’à sa mort.

2.2 La circulaire du 15 mars 1960, base de l’organisation des soins psychiatriques en secteur

Ce n’est que suite à la circulaire du 15 mars 1960 que la thérapie institutionnelle et les psychiatres défendant une organisation de la psychiatrie en secteur psychiatrique obtinrent une réelle reconnaissance. Cette circulaire posa ainsi les bases sur lesquelles le secteur psychiatrique s’est organisé. Cependant, il a fallu attendre la fin des années 1960 et une forte mobilisation des psychiatres pour que le secteur psychiatrique ait une application concrète.

                                                                                                                                                                                                                                                  

2.3 Les années 1970, années de réformes et de contestation 2.3.1 Le livre blanc de la psychiatrie

Le premier livre blanc de la psychiatre parut en 1967. Il regroupe les réflexions de psychiatres, pour la plupart participant à la revue « L’Evolution psychiatrique », s’étant réunis entre 1965 et 1967 et ayant participé aux journées blanches de la psychiatrie. Selon Pierre Delion (2014), ces réflexions inspirées de la thérapie institutionnelle mettent en avant la nécessité de créer une

prise en charge qui, centrée sur les besoins du patient, s’appuie sur des structures dans la cité. Ces structures doivent faciliter l’accès aux soins et limiter la séparation du malade de son milieu habituel.                                                                                                                                  

Le premier livre blanc créa une ouverture dont s’est saisie une nouvelle génération de médecins et a contribué aux réformes de la psychiatrie mais aussi au mouvement antipsychiatrie.

2.3.2 La loi de 1968 réforme le droit des « incapables majeurs »

La loi de 1968 a permis de mettre en place des mesures de protection des personnes vulnérables en tenant compte de leurs vulnérabilités mais aussi de leurs capacités et de leurs possibilités d’autonomie. Ces mesures de protection ne sont pas définitives, elles doivent être renouvelées par décision judiciaire sur avis d’un expert psychiatre. Elles peuvent ainsi s’adapter à l’évolution des besoins de chaque patient : besoins d’aide et d’accompagnement en lien avec leurs capacités, ces dernières étant corrélées à leur état psychique et physique.

Ainsi, la loi définit 3 régimes : la tutelle, la curatelle et la sauvegarde de justice.

                                                                                                                                                                                                                         

      

2.3.3 La psychiatrie, une spécialité à part entière

L’année 1968 fut aussi marquée par la séparation entre psychiatrie et neurologie, jusque-là regroupées en une seule spécialité médicale. Sous l’impulsion d’un mouvement des psychiatres, rendu possible par le contexte social et politique post mai 68, la psychiatrie est devenue une spécialité autonome par rapport à la neurologie et une science à part entière.

              

                                                                                                                                                                                                                                   

La création d’un certificat indépendant de psychiatrie entraina une refonte de la formation des futurs psychiatres. Le statut des psychiatres travaillant en hôpital psychiatrique fut également modifié pour être similaire à celui des médecins des autres spécialités médicales.

2.3.4 Le mouvement antipsychiatrie

Ce mouvement international critiquant la manière occidentale de concevoir la folie et le rôle des psychiatres a été introduit en France par Maud Mannoni à partir de la fin des années 1960 (Mannoni, 1970). Il était inspiré par des écrits publiés aux Etats-Unis par Bettelheim et au Royaume-Unie par Ronald Laing et David Cooper (Laing et al., 1964 ; Cooper, 1967).

En France, l’antipsychiatrie trouva une relative résonnance auprès de certains psychiatres souhaitant « déconcentrationner» la psychiatrie. Ainsi, Bonnafé ou encore Tosquelles se saisirent de certaines interrogations autour du rôle la psychiatrie dans notre société notamment dans sa pratique de l’enfermement de la folie ou encore de la nécessité de permettre aux personnes souffrant de troubles psychiques d’exprimer leur liberté créatrice. Cependant, son impact sur l’organisation des soins ou sur les théories psychanalytiques sur lesquelles reposent les pratiques psychiatriques a été limité.

Certains excès de ce mouvement, associant la psychiatrie moderne (post-asilaire) à des camps de concentration et de non-droit ou encore faisant de la maladie mentale une invention pour contrôler la société ont fortement marqué l’opinion publique et imprimé des traces difficiles à effacer dans l’imaginaire collectif. Ainsi, les représentations de la maladie mentale dans la population française continue à associer l’hôpital psychiatrique à un lieu d’enfermement et de non-droit.

2.4 Les années 1970 à 1990, mise en place du secteur et changement du regard de la société sur la personne hospitalisée

2.4.1 Essor de la politique de secteur

Il a fallu attendre les lois de juillet 1985 et de décembre 1985 relative à la sectorisation psychiatrique pour donner une assise juridique à l’existence du secteur. Ces lois qui ont repris les principes de la circulaire de 1960 ont ainsi donné les contours du maillage territorial de la psychiatrie et ont défini les missions du secteur : diminuer les états psychopathologiques en assumant la continuité du soin par un travail dans et avec l’environnement social et en développant des politiques de prévention et de traitement.

Le secteur est progressivement devenu une organisation multi-structurelle. Les soins psychiatriques ont commencé à être dispensés en intra et en extra hospitalier. Les structures en ville, dont le CMP devait être le point névralgique et avoir le rôle de coordonner les différents acteurs, se développèrent. La majorité des prises en charge psychiatriques notamment de patients sous contrainte de soins quittèrent l’hôpital psychiatrique pour avoir lieu dans la cité. Cependant, la réalité du secteur n’était pas la même partout sur le territoire et il existait des grandes disparités dans la création de structures d’accueil et d’hospitalisation psychiatriques. Ainsi l’organisation hospitalo-centrée persistait dans de nombreuses zones géographiques. Cette période a été marquée par la richesse des théories développées en psychiatrie avec le développement de concepts inédits apportant de nouvelles propositions et méthodes de soin des troubles psychiques. Ces méthodes basées sur les recherches en neurosciences ou en psychiatrie comportementale et cognitive ont été progressivement intégrées dans les pratiques des services hospitaliers psychiatriques universitaires.

2.4.2 Loi Evin de 1990, refonte de la loi de 1838

La loi de 1990, relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux établit la première modification importante de la loi de 1838. Le texte de 1990, sous la houlette de Claude Évin, alors ministre de la Santé, revint sur l’appellation « placement » ayant une forte connotation avec « enfermement » de la personne et redonna aux soins une place centrale à travers l’emploi du terme « hospitalisation ».

Ainsi, l’hospitalisation libre, à la demande du patient, devint le troisième mode d’hospitalisation en reconnaissant au patient les capacités à demander des soins psychiques.

                                                                                                              -                                                                                                                  -                -        -                                                                                                                                                                                                    

De plus, cette loi renforça la lutte contre les internements abusifs en multipliant et différenciant les avis médicaux fondant et validant l'hospitalisation. Force est de noter qu’en rupture avec la législation de l’époque louis-philipparde, la personne soignée pour troubles mentaux peut désormais choisir un avocat. Ce droit vise à renforcer l’inscription de la personne hospitalisée dans sa place de citoyen.