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Risque individuel et national des portefeuilles de prêts

4. Cadre théorique et hypothèses de recherche

4.1. Risque individuel et national des portefeuilles de prêts

La littérature sur la diversification et la spécialisation des portefeuilles de prêts120 d'une banque individuelle a clairement démontré que le choix de l'une ou l'autre des stratégies dépend du niveau de risque d'une banque121, de son groupe bancaire122, de sa sous- catégorie bancaire123 ou de son statut de propriété124, de son expertise et de sa taille. Tel que discuté à la section 3.2, plusieurs auteurs ont montré que la diversification des prêts est un bienfait pour les banques qui ont un risque qualifié de moyen et qu'il existe une relation en forme de U qui unit la stratégie de spécialisation et sa rentabilité, relation qui est fonction du risque des banques (Winton, 1999; Acharya, Hasan et Saunders, 2006;

119 Le portefeuille de prêts national canadien (ou agrégé) est le portefeuille regroupant l'ensemble des prêts

syndiqués et non syndiqués des banques et autres institutions financières au Canada.

120 Les études faites à partir de bases de données de prêts syndiqués sont peu nombreuses. Nous notons que

la plupart des publications ont étudié des portefeuilles de prêts, ce qui est légèrement différents des prêts syndiqués (en raison de leurs caractéristiques propres), mais c'est la meilleure comparaison que nous avons.

121 Identifié par le levier, par le ratio des pertes inattendues sur le montant total d'exposition et par le ratio

des prêts non performants sur les prêts totaux par différents auteurs (Winton, 1999; Hayden, Porath et Westernhagen, 2007; Tabak, Fazio et Cajueiro, 2011).

122 Pour les groupes bancaires, nous parlons des banques commerciales, des banques en vertu des lois

publiques et des coopératives (Pfingsten et Rudolph, 2002).

123 Pour les sous-catégories bancaires, nous parlons de sous-catégories principales à l'intérieur des groupes

bancaires, soit les banques commerciales, les caisses d'épargnes et les coopératives de crédit (Kamp, Pfingsten et Porath, 2004).

©Line Drapeau, 2015

Hayden, Porath et Westernhagen, 2007). Toutefois, Tabak, Fazio et Cajueiro (2011) n'ont pas observé cette relation pour les banques qui ont un grand risque qui peuvent voir leur rendement diminuer en se spécialisant. Dans un même ordre d'idées, Kamp, Pfingsten, Behr et Memmel (2007) ont montré que les banques qui utilisent une stratégie de spécialisation ont des mesures de risque plus basses tandis que la dispersion du risque est plus petite pour les portefeuilles de prêts utilisant la stratégie de diversification, dispersion qui représente les éléments inattendus, source véritable de risque. Aussi, Hayden, Porath et Westernhagen (2007) ont observé que ce sont les bienfaits de la diversification qui ressortent lorsque le niveau de risque d'une banque augmente. Ainsi, la relation en forme de U est observée pour les banques qui ont un petit et un moyen risque. Ensuite, la catégorisation bancaire a été étudiée par quelques auteurs. Pfingsten et Rudolph (2002) et Kamp, Pfingsten et Porath (2004) ont observé que les banques allemandes ont tendance à se diversifier à travers le temps.125 De leur côté, Tabūk, Fazio et Cajueiro (2011) ont noté que les banques brésiliennes privées, gouvernementales et étrangères obtiennent des avantages reliés à la stratégie de spécialisation, soit par une augmentation du rendement ou par une diminution du risque de défaut. Dans cette optique, les conclusions à tirer sur ces deux résultats sont restreintes et limitées.

Aussi, l’expertise bancaire est un élément clé dans la diversification ou la spécialisation du portefeuille de prêts d’une banque. En ce sens, Böve, Düllmann et Pfingsten (2010) ont observé que les banques qui se spécialisent ont en moyenne une meilleure qualité de surveillance bancaire que les banques qui se diversifient. Également, Kamp, Pfingsten et Memmel (2006) ont creusé empiriquement le phénomène de la malédiction du vainqueur pour en reconnaître l'existence statistiquement significative à quelques endroits dans leurs résultats. Aussi, Hayden, Porath et Westernhagen (2007) ont montré que la rentabilité reliée à la stratégie de spécialisation est plus grande en moyenne que celle tirée de la stratégie de diversification, même lorsque le niveau de risque des banques est considéré. Dans cette perspective, les banques qui se spécialisent dans des industries dans lesquelles elles ont une bonne expertise semblent montrer une performance supérieure.

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Enfin, Cole, Goldberg et White (2004) ont noté une dichotomie dans le choix d’une stratégie de diversification de petits ou de grands emprunteurs selon la taille de la banque. En effet, les petites banques prêtent davantage à de petits emprunteurs et les grandes banques prêtent davantage à de grands emprunteurs. La décision de prêter repose plus pour les grandes banques sur des variables financières tandis qu’elle repose principalement pour les petites banques sur les relations préexistantes avec l’emprunteur et le caractère de ce dernier. Le contexte est aussi favorable à ce résultat. En effet, l’emprunteur effectue une demande de prêts à la banque qu’il croit favorable à ses caractéristiques. Également, Strahan et Weston (1998) ont observé que l’augmentation de la taille d’une banque favorise la diversification par l’augmentation de prêts faits à des petits et des grands emprunteurs. Par contre, lorsque la banque a atteint un certain seuil par rapport à sa taille d’actifs, elle prête plus à de grands emprunteurs qu’auparavant. À la lumière des résultats provenant de données sur des portefeuilles de prêts, les auteurs ont montré que le niveau de risque d'une banque, son groupe bancaire, sa sous-catégorie bancaire ou son statut de propriété, son expertise et sa taille ont des impacts positifs et négatifs sur différents échantillons de données et ce, pour différentes périodes de temps. Ces résultats ont mené à diverses conclusions, mais ils ont démontré que les portefeuilles de prêts ont bel et bien un impact sur la diversification individuelle des banques.

De leur côté, les prêts syndiqués se distinguent principalement des prêts bilatéraux conventionnels par leur structure de syndicat de prêt (Sufi, 2007), par son fonctionnement interne (Armstrong, 2003) et par l'expertise agrégée d'un syndicat de prêts (Cai, Saunders et Steffen, 2014). Dans l'optique qu'une banque canadienne soit capable d'obtenir le prêt avec un emprunteur spécifique (i.e. le prêteur canadien peut financer en entier le prêt syndiqué et donc, ce prêt devient un prêt bilatéral conventionnel), les prêts syndiqués ne contribuent pas nécessairement à la diversification individuelle des banques. Mais, puisque les prêts syndiqués permettent différentes expositions au risque géographiquement (Dennis et Mullineaux, 2000) et qu'ils permettent aux plus petites banques d'avoir accès aux grands emprunteurs, cela nous pousse à croire que les prêts syndiqués ont un impact sur la diversification individuelle des banques.

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Suite à cette discussion, la première hypothèse de recherche est formulée comme suit:

Hypothèse 1: Les prêts syndiqués ont un impact sur la diversification individuelle des portefeuilles de prêts des banques.

4.1.2. Risque national

La revue de littérature de la section 3 a montré que l'homogénéisation des portefeuilles de prêts individuels et la concentration d'un portefeuille de prêts national peuvent être reliées à la structure des syndicat de prêt (incluant l'expertise recherchée chez les participants), à la réglementation et à la taille des portefeuilles des banques.

Tout d'abord, la structure d'un syndicat de prêt est elle-même propice à l'homogénéisation nationale du portefeuille de prêts de par le partage du prêt syndiqué entre plusieurs banques. Cette observation est appuyée par Armstrong (2003) qui soutient qu'un même chef de file tend à s'allier avec les mêmes participants pour un prêt fait au même emprunteur, ce qui signifie qu'il peut y avoir beaucoup de similarités entre les banques dans les expositions à des emprunteurs spécifiques. D'autant plus que les participants qui ont la même expertise tendent à s'associer ensemble dans des syndicats de prêt (Cai, Saunders et Steffen, 2014). En fait, le chef de file s'associe à des banques encore plus connectées à des portefeuilles de prêts similaires que lui-même l'est. En lien avec la théorie de la relation bancaire (relationship banking), Bharath, Dahiya, Saunders et Srinivasan (2011) ont découvert qu'un prêteur qui a déjà une relation établie avec l'emprunteur dans l'immédiat ou dans le passé a une probabilité de 42% en moyenne d'octroyer un nouveau prêt à cet emprunteur dans le futur tandis que, lorsqu'il n'y a pas de relation établie, le prêteur a seulement une probabilité de 3% en moyenne d'octroyer un prêt futur à l'emprunteur. Dans cette optique, les prêts conventionnels sont une source d'homogénéisation beaucoup moins grande que les prêts syndiqués puisque le côté relationnel est plus important et que l'emprunteur spécifique qui a déjà une relation établie avec un prêteur a beaucoup de chances de refaire un prêt avec ce prêteur (i.e. une seule institution financière a cet emprunteur dans son portefeuille de prêts et non, plusieurs institutions financières), ce qui porte à croire que les prêts syndiqués ont véritablement un impact sur la concentration du portefeuille national.

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Également, la réglementation limite le pourcentage qu’un prêt peut occuper dans les actifs d’une banque pour des raisons de liquidité. Ce plafond réglementaire représente une contrainte qui oblige les banques à se diversifier davantage et nous pensons, à opter pour une participation dans un syndicat de prêt plutôt que pour un prêt bilatéral conventionnel pour les prêts de gros calibre. En ce sens, Acharya (2009) soutient que la réglementation actuelle mise largement sur des contraintes de diversification individuelle. Wagner (2010) va en ce sens en abordant l’idée que la réglementation limite l'exposition des banques aux entreprises et aux industries et qu'elle accentue le risque systémique de par la diversification individuelle des banques et de par la diminution du risque idiosyncratique relié aux entreprises qui conduit les banques à être plus sensibles aux chocs systématiques. La réglementation, qui accentue le risque systémique en finalité, provoque en premier lieu une homogénéisation des portefeuilles de prêts des banques. Ensuite, Heitfield, Burton et Chomsisengphet (2006) ont découvert que la taille des portefeuilles de prêts syndiqués influence grandement l'exposition des banques aux risques systématique et idiosyncratique. L'étude montre que les banques deviennent plus sensibles aux mêmes chocs systématiques lorsque la taille du portefeuille augmente, ce qui peut être expliqué par leurs portefeuilles de prêts qui se ressemblent. En effet, Tarashev, Borio et Tsatsaronis (2009) expliquent que l'exposition des institutions financières aux chocs systématiques est reliée à leur similitude, soit via des prêts aux mêmes emprunteurs, industries ou régions ou via leurs interconnections.

Plusieurs éléments ont été amenés dans les paragraphes précédents: i) la structure d'un syndicat de prêt promouvoit le partage d'un prêt entre plusieurs prêteurs, ii) les prêts bilatéraux conventionnels favorisent davantage la fidélité de l'emprunteur en raison du volet relationnel plus présent et iii) la réglementation apporte des contraintes en termes de pourcentage d'actifs qu'un prêteur peut détenir dans son portefeuille de prêts, ce qui favorise la formation d'un prêt syndiqué plutôt que d'un immense prêt bilatéral conventionnel. Ces éléments mettent en évidence les différences entre les prêts syndiqués et les prêts bilatéraux conventionnels et mènent à croire que l'impact des prêts syndiqués sur l'homogénéisation et la concentration est positif. De plus, Champagne (2014) affirme

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que les banques126 sur le marché international des prêts syndiqués ont tendance à s’allier aux mêmes membres dans un syndicat de prêt, soit comme chef de file ou participant, ce qui tend à favoriser la concentration et l’homogénéisation des portefeuilles de prêts. D’un autre côté, nous ne savons pas si les prêteurs canadiens s'associent davantage ensemble dans les syndicats de prêts (i.e. grande homogénéisation et concentration) ou s'impliquent beaucoup dans des syndicats de prêts internationaux (i.e. moins grande homogénéisation et concentration). Par conséquent, nous pouvons nous attendre à ce que les prêts syndiqués aient un impact sur l'homogénéisation et la concentration du portefeuille de prêts mais le sens de la relation demeure une question empirique. La deuxième hypothèse est donc formulée comme suit:

Hypothèse 2: Les prêts syndiqués ont un impact sur le niveau d'homogénéité des portefeuilles de prêts et sur la concentration du portefeuille de prêts national.

4.1.3. Procyclicalité

La procyclicalité affecte les charges de capital et les ratios réglementaires avant d'en arriver à la procyclicalité des prêts mêmes. Pour commencer, Allen et Saunders (2004) expliquent que le phénomène de procyclicalité des charges de capital est relié aux modèles de risque de crédit, de risque opérationnel et de risque de marché utilisés par les banques. Cette procyclicalité accentue l’importance des cycles économiques puisqu’elle diminue l’offre de fonds des banques pour prêter lors d’une récession et qu’elle accentue cette offre lors d'une période d’expansion. Aussi, Turner (2000) explique que la principale cause de la procyclicalité des ratios de capital réglementaire est la procyclicalité même des marchés reliée aux mesures de resserrement du crédit, à la réglementation en vigueur, à des ratios réglementaires minimaux et à la confiance des banques face aux cotes de crédit des agences de cotation. Ensuite, Ivashina et Scharfstein (2010) ont observé la présence d'une relation positive entre le resserrement du marché des prêts et la part d'un prêt conservé par le chef de file. En temps de récession, il semble que le potentiel de syndication d'un prêt est plus petit qu'en temps d'expansion et que le chef de file doit conserver une plus grande part du prêt syndiqué dans son portefeuille.

126 «Les banques» représentent réellement des institutions financières bancaires dans ce passage (et non,

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Pour terminer, Acharya et Yorulmazer (2005) notent également que la faillite d’une banque affecte davantage les banques domestiques l’entourant que les banques étrangères, ce qui incite les banques domestiques à adopter des comportements moutonniers entre elles. Acharya et Yorulmazer (2008) ont également observé que le comportement moutonnier des banques est procyclique. En effet, ils ont noté que les banques suivent le principe de maximisation du profit et que le coût d'emprunt dépend du choix d'investissement des banques (i.e. investir dans des industries similaires ou différentes) et du cycle économique. Ainsi, puisque le comportement moutonnier des banques est procyclique, la diversification individuelle des portefeuilles de prêts, l'homogénéité et la concentration du portefeuille de prêts national sont également procycliques, ce qui constitue la troisième hypothèse de recherche:

Hypothèse 3: La diversification individuelle des portefeuilles de prêts, l'homogénéité et la concentration du portefeuille de prêts national sont procycliques.

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