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Comportements moutonniers et procyclicalité

3. Revue de littérature

3.6. Comportements moutonniers et procyclicalité

Les comportements moutonniers bancaires et l'existence d'une procyclicalité en découlant influencent-ils la diversification nationale et individuelle des banques et la menace du risque systémique sur l'économie? Acharya et Yorulmazer (2008) apportent des résultats dans cette perspective. Dans cette sous-section, Acharya et Yorulmazer (2005, 2007, 2008) élaborent sur la contagion bancaire, sur la procyclicalité des comportements moutonniers des banques de prêter ou non à certaines industries et sur les politiques des banques centrales qui poussent les banques à adopter des comportements moutonniers. Également, Berger et Udell (2004) suggèrent une explication soutenable aux comportements cycliques des banques dans l'octroi de prêts tandis que Ivashina et Scharfstein (2010) amènent des résultats empiriques sur la procyclicalité du pourcentage du prêt retenu par le chef de file d'un syndicat de prêt.

Tout d'abord, Acharya et Yorulmazer (2005) se sont penchés sur la contagion bancaire informationnelle qui crée un risque systémique et qui peut survenir via les actifs et les passifs. En effet, la contagion par les passifs survient lorsqu’une banque fait faillite et que sa faillite affecte substantiellement les autres banques par le comportement des dépositaires qui retirent massivement leur avoir des autres banques. Aussi, la contagion par les actifs se produit lorsque plusieurs banques prêtent aux mêmes entreprises ou industries. L’interaction de la contagion des deux côtés du bilan est un aspect intéressant de cette publication.

Acharya et Yorulmazer (2005) établissent un modèle selon lequel les banques sont confrontées à des choix d’investissement ex-ante qui ont un impact sur le coût des dépôts

ex-post. Lorsqu’une banque fait faillite, elle ne paie pas d’intérêt sur les dépôts. La

situation est interprétée comme quoi l’économie ne se porte pas bien. Ainsi, les dépositaires exigent un rendement plus élevé sur les dépôts aux banques survivantes. Dans la situation contraire, aucune banque ne fait faillite et les dépositaires interprètent que l’économie se porte bien. Les banques peuvent ainsi offrir un rendement plus faible sur les dépôts. Ce modèle montre bien ce qu’est le concept de la contagion informationnelle.

©Line Drapeau, 2015

Dans ce contexte, les banques choisissent de prêter à des industries similaires afin d’augmenter la corrélation entre les rendements des prêts. Acharya et Yorulmazer (2005) notent que la faillite d’une banque affecte davantage les banques domestiques l’entourant que les banques étrangères. Ainsi, les banques locales prêtent davantage aux mêmes industries ex-ante afin d'atténuer les conséquences d’augmentation de coûts des dépôts

ex-post, soit afin de survivre collectivement. Aussi, Acharya et Yorulmazer (2008)

abordent le phénomène de herding. Afin de minimiser l’impact d’une mauvaise nouvelle d’une banque chez la banque voisine, cette dernière doit adopter un comportement moutonnier qui est le comportement souhaitable à adopter afin de maximiser le profit. Chacune des banques est affectée par un facteur commun et par un facteur idiosyncratique. Plus les banques prêtent aux mêmes industries, plus ce facteur commun a un impact important sur la rentabilité bancaire globale lorsqu’il survient une bonne/mauvaise nouvelle chez l’une des banques. La dynamique du rendement exigé sur les dépôts liée à l’évaluation de l’état de l’économie faite par les dépositaires est identique à celle de Acharya et Yorulmazer (2005).

Une des propositions importantes de l’article est la suivante :

HH HH HL LH LL LL

d s d d s d

r

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où riHH, riHL et riLL sont dans l'ordre les coûts d’emprunt lorsque les deux banques performent bien, lorsqu’une banque performe bien (et lorsque l'autre banque ne performe pas bien) et lorsque les deux banques ne performent pas bien. i appartient à l'ensemble {s, d} où s signifie que les deux banques prêtent aux mêmes industries et d signifie que les banques ne prêtent pas aux mêmes industries.

Cette proposition montre que, lorsque les deux banques performent bien, le coût d’emprunt est moins élevé dans la situation d'investir dans des industries différentes que dans la situation d’investir dans les mêmes industries tandis que, lorsque les deux banques ne performent pas bien, la situation est inverse.

©Line Drapeau, 2015

Également, Acharya et Yorulmazer (2007) présentent dans un même ordre d'idées une analyse des politiques des banques centrales. Leur rôle consiste à adopter des normes de réglementation prudentes et à prévenir les crises. Lorsque beaucoup de banques sont en détresse, la banque centrale vient à leur rescousse et propose un plan financier afin de les sortir du pétrin tandis que, lorsque peu de banques sont en difficulté, les banques en difficulté sont généralement acquises par d'autres banques qui ne le sont pas puisque ces dernières peuvent utiliser les actifs des banques en difficulté de façon efficiente. Cette situation pousse donc les banques à adopter des comportements moutonniers puisqu'elles augmentent leur chance d'obtenir l'aide d'un plan financier collectif en situation de crise en raison du grand risque systémique engendré. C'est le phénomène du too-many-to-fail abordé plus tôt. Le comportement des banques centrales présente un problème d'incohérence temporelle, c'est-à-dire que le comportement optimal à adopter ex-post (i.e. proposer un plan financier) n'en est pas un dans une perspective ex-ante.

Un résultat important de Acharya et Yorulmazer (2007) découle du modèle à deux périodes qui inclut deux banques de taille différente, un organisme de réglementation et des investisseurs externes. Les auteurs observent que les petites banques sont plus avantagées que les grosses à adopter des comportements moutonniers puisqu'elles ne peuvent généralement pas acheter les banques qui deviennent en difficulté et que le plan financier est plus étendu lorsque les grosses banques deviennent en difficulté.

Ensuite, Berger et Udell (2004) notent deux faits reconnus empiriquement et théoriquement. Le premier fait est que le nombre de prêts augmente en période d'expansion et diminue en période de récession. Toutefois, le changement dans le nombre de prêts est amplifié vs. ce à quoi nous nous s'attendons en proportion du changement de l'activité économique. Le deuxième fait est que la performance des prêts observée durant une récession est significativement influencée par le plus grand risque pris en octroyant des prêts durant la période d'expansion qui précède, ce qui se reflète dans les provisions pour mauvaises créances, dans les créances délinquantes et dans les pertes durant la récession. Bref, des prêts de plus mauvaise qualité sont octroyés durant l'expansion, ce qui se reflète dans la performance des prêts durant la récession qui suit.

©Line Drapeau, 2015

Berger et Udell (2004) ont proposé l'hypothèse de la mémoire institutionnelle afin d'apporter une explication soutenable aux comportements cycliques dans les prêts octroyés par les banques. Cette hypothèse explique la fluctuation cyclique des standards de crédit des banques et l'altération des aptitudes de la reconnaissance d'un mauvais prêt en période d'expansion par la difficulté de l'équipe de direction de faire appliquer à son personnel les directives nécessaires dans l'octroi d'un prêt et par la difficulté des parties prenantes de discipliner à leur tour l'équipe de direction afin qu'elle sévisse pour maintenir des standards de crédit conformes aux directives établies. Au fur et à mesure que nous nous s'éloignons de la dernière situation de crise de mauvais prêts, de nouveaux employés sont engagés et n'ont aucune connaissance relativement à la gestion d'une crise de prêts, le personnel en place oublie ses connaissances116 de terrain en de telles situations, le système d'évaluation à l'interne et l'équipe de direction deviennent moins vigilants puisque nous observons une solide performance des prêts et les parties prenantes deviennent également moins vigilantes puisque les prêts à problème deviennent moins nombreux. Lorsque les employés rencontrent un effondrement du crédit, cette «mémoire oubliée» est restaurée, ce qui renforce l'apprentissage de différencier la qualité des prêts. Cette hypothèse aide à expliquer le comportement moutonnier adopté par les banques puisque ces dernières vivent les situations critiques à peu près dans les mêmes moments. Enfin, Ivashina et Scharfstein (2010) ont abordé la cyclicalité du marché des prêts dans la perspective des prêts syndiqués précisément en se penchant sur le changement dans le pourcentage d'un prêt conservé par le chef de file. D'un côté, la syndication d'un prêt augmente l'intensité de la cyclicalité du marché des prêts si les chefs de file doivent posséder de plus grandes parts des prêts dans une période de récession. D'un autre côté, si le pourcentage du prêt conservé par le chef de file diminue, la cyclicalité du marché des prêts s'estompe puisque le risque est davantage partagé entre les participants. La cyclicalité du marché des prêts est expliquée par deux causes spécifiques, soit les chocs qui surviennent dans le capital des banques (Allen et Saunders, 2004) et ceux qui surviennent dans le collatéral des emprunteurs.

116 Caractéristiques des entreprises et risque associé, méthodes de surveillance opportunes, structures

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Deux principaux résultats empiriques sont observés dans l'article, soit la présence d'une relation fortement négative entre la part d'un prêt conservé par le chef du file et le volume de prêts et la présence d'une relation positive entre le resserrement du marché des prêts et la part d'un prêt conservé par le chef du file, cette dernière étant contrôlée pour l'influence de l'entreprise qui emprunte et pour les caractéristiques117 du prêt.

Ivashina et Scharfstein (2010) observent que la part d'un prêt conservé par le chef de file augmente en période de récession, ce qui est contre-cyclique. Une explication possible provient du fait que la demande pour les prêts diminue dans cette période du cycle économique, ce qui laisse davantage de capital aux banques (i.e. les chefs de file) pour investir dans leur part de prêt syndiqué. Pour expliquer que les participants du syndicat investissent moins dans le prêt syndiqué, les auteurs suggèrent que les participants exigent un plus grand rendement sur leur investissement, ce qui conduit le chef de file à conserver une plus grande part du prêt syndiqué plutôt que de rémunérer davantage les participants (i.e. en diminuant son profit même).

Les données utilisées permettent d'observer trois récessions dont deux d'entre elles sont associées à des chocs dans le capital des banques. Séparant les observations distinctes des trois récessions, les auteurs ont noté que ce sont les chocs dans le capital bancaire qui engendrent la relation entre le resserrement du marché des prêts et la part d'un prêt conservé par le chef de file.118

En résumé, plusieurs résultats ressortent de cette section. Acharya et Yorulmazer (2005) ont observé que la faillite d’une banque affecte davantage les banques domestiques, ce qui pousse ces banques locales à prêter davantage aux mêmes industries ex-ante. Dans cette perspective, Acharya et Yorulmazer (2008) mettent en évidence le comportement moutonnier de prêter à des industries similaires ou différentes selon le cycle économique. De cette façon, la procyclicalité est présente également dans la diversification individuelle des banques et dans leur diversification nationale agrégée. Aussi, Acharya et

117 Taille de l'entreprise, cote de crédit, montant du prêt et échéance du prêt. 118 Les chocs dans le collatéral des emprunteurs sont moins importants.

©Line Drapeau, 2015

Yorulmazer (2007) ont noté que les petites banques ont davantage d'incitatifs à adopter des comportements moutonniers. Afin d'expliquer le comportement moutonnier des banques dans l'octroi de leurs prêts, Berger et Udell (2004) ont développé l'hypothèse de la mémoire institutionnelle, hypothèse selon laquelle plus le temps avance depuis la dernière crise de prêts, plus les employés s'assouplissent dans l'application des normes bancaires et oublient les bons comportements à adopter afin d'éviter une crise de prêts éventuelle. De plus, Ivashina et Scharfstein (2010) observent que la part d'un prêt conservé par le chef de file augmente en période de récession, ce qui est contre-cyclique et ce qui augmente l'intensité de la cyclicalité du marché des prêts.

©Line Drapeau, 2015

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