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3. Les pensées répétitives négatives et la consommation d’alcool

3.1. Une revue de la littérature

Le chapitre 2 de ce manuscrit présente une recension systématique de la littérature sur le lien entre les PRN et la consommation d’alcool (Devynck, Rousseau et Romo, 2017). Si les conclusions de cet article divergent en fonction du type de population considérée – population clinique de patients souffrant d’un trouble de l’usage de l’alcool (TUA) versus population générale d’adolescents et d’étudiants – nous ne résumerons ici que les éléments propres à la population clinique de patients avec une TUA. En effet, les résultats concernant la population générale d’étudiants ont donné lieu à un autre axe de recherche qui ne sera pas développé dans le cadre de ce manuscrit.

Parmi les vingt-quatre études recensées sur la relation entre les PRN et la consommation d’alcool, sept ont été menées dans une population clinique de patients souffrant d’un TUA. Parmi, ces sept études, trois se sont spécifiquement intéressées à la rumination dépressive. En 2008, Caselli, Bortolai, Leoni, Rovetto, et Spada ont utilisé trois questionnaires auto-rapportés pour évaluer les symptômes dépressifs, la tendance habituelle à utiliser la rumination dépressive (rumination–trait) et la consommation habituelle d’alcool chez 36 patients souffrant d’un problème de consommation, en comparaison à 37 individus sains issus de la population générale. Des comparaisons de moyennes ont révélé que les patients rapportaient plus de symptômes dépressifs, de rumination et un niveau plus élevé de consommation d’alcool que les individus de la population générale. De plus, les analyses de régression ont démontré que la rumination prédisait l’appartenance au groupe clinique, indépendamment du niveau de dépression et que la rumination était un prédicteur indépendant de la consommation d’alcool. Plus tard, Caselli et al. (2010) ont utilisé les mêmes échelles auto-rapportées dans une étude longitudinale comprenant un échantillon de 80 patients souffrant d’un TUA et suivi en ambulatoire. Les analyses de régression ont démontré que la rumination prédisait le statut de consommateur à 3 mois, 6 mois et 12 mois après la première séance de prise en charge. La rumination prédisait à nouveau la consommation d’alcool indépendamment des symptômes dépressifs et du niveau de base de consommation d’alcool. Enfin, Caselli et al. (2013) ont développé un design expérimental afin d’évaluer le rôle causal de la rumination sur le craving, c’est à dire sur l’envie intense de consommer de l’alcool. 26 patients souffrant d’un TUA, 26 patients présentant une consommation problématique d’alcool et 29 personnes saines issues de la population générale ont rempli plusieurs échelles auto-rapportées évaluant la rumination–trait, les symptômes dépressifs et le craving actuel via

une échelle visuelle analogique, avant d’être aléatoirement allouée à l’une des deux conditions suivantes. Dans la condition expérimentale « induction de rumination », les participants étaient invités à se focaliser sur soi, sur leurs symptômes et sur leurs émotions pendant 8 minutes en réfléchissant à 45 items formulés pour les entraîner à ruminer (par exemple, « Réfléchissez à ce que vos sensations signifient pour vous », « Pensez à quel point vous vous sentez triste ou joyeux », « pensez aux éventuelles conséquences de ce que vous ressentez »). Dans la condition contrôle « induction de distraction », les participants étaient invités à réfléchir pendant 8 minutes à 45 items qui n’étaient pas reliés à soi (par exemple, « Pensez à la forme d’un grand parapluie noir », « Pensez à un bateau traversant l’océan », « Pensez au portrait de Mona Lisa »). Après les 8 minutes d’induction, le craving était à nouveau évalué. Puis les participants des deux conditions, étaient tous invités à vider leur esprit en réalisant une simple tâche de connexion de points pendant 3 minutes. Enfin, le craving était évalué une dernière fois. Les résultats ont démontré que les patients avec un TUA, entraînés à ruminer, rapportaient un niveau supérieur de craving que ceux invités à se distraire. Ce résultat était indépendant des niveaux de base de consommation d’alcool et de rumination–trait. Ces résultats n’ont pas été retrouvés dans le groupe de participants présentant une consommation problématique d’alcool, ni dans le groupe issu de la population générale.

La revue systématique de la littérature a recensé une étude s’intéressant spécifiquement aux inquiétudes chez les patients avec un TUA. Dans une étude s’intéressant aux liens entre le TAG et les TUA comorbides, Smith et Book (2010) ont utilisé des questionnaires auto-rapportés évaluant notamment les inquiétudes, les croyances en lien avec la consommation d’alcool, et les symptômes anxieux et dépressifs, dans un groupe de 39 patients souffrant d’un TUA et dont la moitié souffrait d’un TAG comorbide. Les résultats ont révélé que les patients souffrant d’un TUA avec un TAG comorbide rapportaient plus d’inquiétudes et de croyances concernant l’utilisation de l’alcool pour réduire les inquiétudes que les patients présentant uniquement un TUA, sans comorbidité anxieuse.

Dans une recherche visant l’étude des traits de personnalité commun aux troubles anxieux et dépressifs et permettant d’expliquer les TUA comorbides, Boschloo et al. (2013) ont fait passer différents questionnaires auto-rapportés évaluant notamment la rumination et les inquiétudes chez des patients souffrant d’un trouble anxieux ou dépressif d’une part, chez des patients souffrant d’un TUA d’autre part, et dans un troisième groupe de patients

souffrant d’un trouble anxieux ou dépressif et d’un TUA comorbide. Les résultats ont démontré que la rumination et les inquiétudes étaient associées aux troubles anxieux et dépressifs comme aux troubles anxieux et dépressifs avec un TUA comorbide. Les conclusions des auteurs concernant la possibilité de processus communs aux troubles anxieux, dépressifs et aux TUA vont dans le sens de l’approche transdiagnostique.

Une étude s’est intéressée aux deux modes de focalisation sur soi, développés dans la Théorie du mode de traitement de Watkins (2004, 2008) chez des patients souffrant d’un TUA. Grynberg et al. (2016) ont fait passer différents questionnaires auto-rapportés mesurant les symptômes anxio-dépressifs, la consommation d’alcool et la focalisation sur abstraite– analytique versus concrète–expérientielle à 100 patients souffrant d’un TUA et à 100 personnes saines issues de la population générale. Si les résultats n’ont pas montré de différence significative concernant l’utilisation du mode concret–expérientiel entre les patients souffrant TUA et les individus sains, le niveau d’utilisation du mode abstrait– analytique était quant à lui supérieur chez les patients TUA par rapport aux patients contrôles. De plus, cet effet était indépendant de la symptomatologie anxio-dépressive.

Enfin, une étude a examiné l’ensemble des sous-types de PRN jusqu’alors étudiés (c’est à dire la rumination et les inquiétudes), ainsi que le mode de focalisation sur soi, à l’aide de questionnaires auto-rapportés dans un échantillon de 84 patients suivis en ambulatoire et de 68 individus sains issus de la population générale (Devynck et al., 2016). Les comparaisons de moyennes ont démontré que les patients souffrant d’un TUA rapportaient plus de rumination, d’inquiétudes, de pensées sur un mode abstrait–analytique et de symptômes anxio-dépressifs que les individus sains qui, quant à eux, rapportaient plus de pensées sur un mode concret–expérientiel. De plus, des analyses de régression ont démontré que le mode abstrait–analytique des PRN prédisait significativement l’appartenance au groupe de patients TUA versus au groupe d’individus sains. Enfin, un modèle de médiation multiple a révélé que le lien entre le mode abstrait–analytique des PRN et la consommation d’alcool était médiatisé par les symptômes anxieux et dépressifs.

Les résultats de ces sept études sont unanimes concernant l’existence d’un lien significatif entre la rumination, les inquiétudes et le mode abstrait–analytique des PRN et le craving, comme la consommation d’alcool chez les patients souffrant d’un TUA. Ces

observations ont amené Spada et al. (2013) à développer une formulation métacognitive triphasique des problèmes d’alcool.