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Pourquoi consommer de l’alcool en dépit des conséquences négatives ? Le rôle des

1. Les troubles de l’usage de l’alcool

1.3. Pourquoi consommer de l’alcool en dépit des conséquences négatives ? Le rôle des

Une littérature importante sur les causes de développement des troubles liés à la consommation d’alcool a révélé un grand nombre de facteurs de risques, tels que : l’histoire de vie – comme la disposition génétique ou la présence de troubles de la consommation chez des membres de la famille (Bohman, 1978 ; Slutske et al., 1998), les caractéristiques personnelles – comme une faible estime de soi ou la recherche de sensations (Kazemi, Flowers, Shou, Levine, et Van Horn, 2014 ; Scheier, Botvin, Griffin, et Diaz, 2000 ; Workman et Beer, 1989), les facteurs socio-culturels – par exemple, les habitudes de consommation de la famille ou des pairs (Curran, Stice, et Chassin, 1997 ; Newcomb et Bentler, 1988 ; Oetting et Beauvais, 1987), les facteurs environnementaux – par exemple, l’accessibilité de l’alcool (Shih et al., 2015 ; Thern et al., 2017), des facteurs actuels et situationnels – soient des renforcements liés aux consommations passées (Khoddam et Leventhal, 2016), et enfin, les attentes liées à la consommation (Brown, Goldman, Inn et Anderson, 1980) et les raisons qui poussent un individu à boire de l’alcool (Cox et Klinger, 1988, 1990).

Selon Cox et Klinger (1988), bien que le développement des troubles de l’usage de l’alcool soit multifactoriel, la voie commune serait motivationnelle et donc liée à ces deux derniers facteurs. D’une part, les attentes font référence aux croyances que les individus développent au sujet de ce qui devrait arriver s’ils consommaient de l’alcool, c’est à dire les conséquences attendues de la consommation (Cooper, Frone, Russell et Mudar, 1995). D’autre part, les raisons de boire sont définies comme étant la valeur associée à un effet particulier que les individus cherchent à obtenir par la consommation d’alcool, c’est à dire ce qui les pousse à boire (Cox et Klinger, 2004 ; Kuntsche, Wiers, Janssen et Gmel, 2010). Ainsi, la motivation à boire médiatise le lien entre les attentes et les conséquences de la consommation d’alcool (Kuntsche et al., 2010). En d’autres termes, les croyances influencent la consommation en suscitant des raisons de boire, donc en augmentant la motivation, qui est l’ultime étape vers l’usage de l’alcool. Ces deux éléments jouent donc un rôle central dans le développement des troubles liés à l’usage de l’alcool (Jones, Corbin et Fromme, 2001 ; Piasecki et al., 2014), d’autant plus que les études ont montré que les différentes raisons qui poussaient un individu à consommer étaient liées à différentes manières de consommer et à différentes conséquences, et notamment à différents problèmes liés à la consommation

d’alcool (Cooper et al., 1995 ; Merrill et Read, 2010). Par exemple, les individus qui consomment pour réguler leurs émotions négatives rapportent plus de problèmes consécutifs à leur consommation d’alcool que les personnes qui boivent pour être acceptées socialement (Cooper, Frone, Russell et Mudar, 1995b ; Cooper, Russell, Skinner et Windle, 1992 ; Cutter et O’Farrell, 1984 ; Snow et Wells-Parker, 1986). Ainsi, améliorer la compréhension des motivations et des attentes qui sous-tendent la consommation d’alcool permet de connaître les circonstances dans lesquelles les individus sont susceptibles de boire, dans quelle mesure ils sont susceptibles de boire, quelles seraient les probables conséquences de la consommation et donc comment intervenir le plus efficacement possible dans le cadre d’une intervention thérapeutique (Cooper, 1994).

Les premiers modèles, visant à expliquer les raisons pour lesquelles les individus consommaient de l’alcool, étaient bi-dimensionnels. Il était alors considéré que les individus consommaient dans des contextes sociaux, pour se conformer et répondre aux attentes du groupe (renforcement positif) ou utilisaient l’alcool pour réguler leurs émotions négatives et faire face aux situations stressantes (renforcement négatif) (Farber, Khavari et Douglass, 1980). Pour d’autres, l’utilisation de l’alcool visait principalement à diminuer ses émotions négatives (renforcement négatif) ou à augmenter ses émotions positives (renforcement positif) (Wills et Shiffman, 1985). Par la suite, un modèle tri-dimensionnel a combiné ces deux points de vue en proposant que la consommation d’alcool pouvait servir à être accepté socialement (renforcement positif externe), augmenter les émotions positives (renforcement positif interne) ou faire face aux émotions négatives ( renforcement négatif interne ; Cooper et al., 1992). Plus tard, en lien avec le modèle développé par Cox et Klinger (1988, 1990), Cooper (1994) propose un modèle à quatre dimensions. Les motivations à boire sont alors caractérisées selon deux dimensions présentant chacune deux pôles, à savoir la valence (positive vs. négative) et la source (interne vs. externe) des conséquences attendues de la consommation. Ainsi, les individus seraient motivés à boire dans le but d’obtenir des conséquences positives (renforcement positive) ou d’éviter des conséquences négatives (renforcement négatif). De plus, ils pourraient consommer pour obtenir une récompense interne, telle que l’amélioration d’un état émotionnel, ou une récompense externe, comme l’approbation sociale. Ce cadre conceptuel a conduit à la construction d’un modèle présentant quatre types de motivations à boire de l’alcool : (1) la motivation à boire pour éviter le rejet social (renforcement négatif externe), (2) pour obtenir l’approbation sociale (renforcement positif externe), (3) pour diminuer et réguler les émotions négatives (renforcement négatif

interne) et (4) pour augmenter ses émotions positives et son bien-être (renforcement positif interne). Ce modèle motivationnel postule donc que les individus se basent sur leurs attentes pour décider, de manière plus ou moins consciente, s’ils utiliseront l’alcool dans une situation donnée, c’est à dire s’ils seront motivés à consommer (Kuntsche et al., 2010). Finalement, un récent modèle suggère de séparer la dimension concernant la diminution des affects négatifs en deux dimensions distinctes : la première concerne la diminution de l’anxiété alors que la seconde concerne la diminution des symptômes dépressifs (Grant, Stewart, O’Connor, Blackwell et Conrod, 2007). En effet, des études ont révélé que les symptômes anxieux et dépressifs étaient associés à des habitudes différentes de consommation d’alcool. Par exemple, alors que certains travaux menés en population clinique de patients souffrant d’un trouble de l’usage de l’alcool ont démontré que les individus avaient plutôt tendance à boire pour faire face à leur anxiété plutôt que parce qu’ils étaient déprimés (Swendsen et al., 2000), d’autres études ont démontré que la dépression était largement associée à la consommation d’alcool (pour une revue, voir Graham, Massak, Demers et Rehm, 2007). De même que certaines études affirment que la consommation d’alcool et l’anxiété, notamment l’anxiété sociale, sont étroitement liées, alors que d’autres travaux démontrent l’inverse (pour une revue, voir Morris, Stewart et Ham, 2005). C’est donc pour tenir compte de ces liens différents entre la consommation d’alcool et les symptômes anxieux et dépressives, que Grant

et al. (2007) ont développé le modèle motivationnel de la consommation d’alcool à cinq

facteurs.

En lien avec les modèles motivationnels de la consommation d’alcool, les chercheurs se sont également intéressés aux attentes qui motivaient les individus à boire. De nombreuses études ont démontré que les personnes développaient des croyances robustes au sujet des effets comportementaux, cognitifs et émotionnels de la consommation (Quigley et Marlatt, 1996). Ces attentes se construisent en lien avec les conséquences expérimentées par les individus lors d’épisodes d’alcoolisation et influencées par les habitudes de consommation de l’entourage (Goldman, Brown et Christiansen, 1987 ; Isaacs, 1977 ; Wiers, Hartgers, van den Brink, Gunning et Sergeant, 2000). Les études ont révélé que la répétition d’associations entre l’alcoolisation et ses conséquences augmentait l’accessibilité des croyances liées à l’usage de l’alcool (Stacy, Leigh et Weingardt, 1994). Ainsi, tout comme les modèles motivationnels de la consommation, la théorie des attentes de résultats de la consommation d’alcool – alcohol

outcome expectancy – prend racine dans une perspective d’apprentissage opérant et

largement démontré que les attentes étaient associées aux motivations à boire, notamment que les motifs de consommation médiatisaient le lien entre les croyances et la consommation effective (Cooper et al., 1995a ; Cronin, 1997 ; Kuntsche, Knibbe, Engels et Gmel, 2007 ; Kuntsche, Knibbe, Gmel et Engels, 2005). Ainsi, les attentes vis à vis des conséquences de la consommation concernent les mêmes domaines définis par les modèles motivationnels, à savoir : boire pour éviter le rejet social ou se conformer, et boire pour augmenter des émotions positives ou diminuer des affects négatifs (Cooper et al., 1995a ; Jones et al., 2001 ; Kuntsche et al., 2010 ; Leigh, 1990 ; Weiner, 1989).

1.4. Quelle puissante fonction guide l’utilisation de l’alcool ? La consommation