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4. Les outils de mesure des PRN

4.2. Les mesures transdiagnostiques des PRN–traits

Avec l’accumulation des résultats démontrant l’impact des PRN à travers différents troubles psychologiques, l’approche processuelle transdiagnostique a pris de plus en plus d’ampleur. Ainsi, pour permettre aux chercheurs de continuer à explorer cette approche et aux cliniciens d’adapter leur prise en charge aux nouveautés de la littérature, il a été nécessaire de développer des échelles de PRN permettant d’évaluer le processus, mais indépendantes du contenu ou du trouble considéré.

L’une des premières échelles développées pour évaluer les PRN, indépendamment d’un trouble, est l’Inventaire de Rumination – Scott–MacIntosh Rumination Inventory – de Scott et McIntosh (1999). Ce questionnaire auto-rapporté de 9 items a été développé en accord avec la théorie de Martin et Tesser (1996) et vise l’évaluation de la rumination en réponse à la non atteinte d’un but. Il permet d’examiner trois facettes des PRN : (1) l’émotionalité, c’est à dire dans quelle mesure les individus expérimentent-ils les émotions associées à leur rumination face à l’échec d’un but non atteint (par exemple, « Quand je pense à un objectif important que je n’ai pas encore atteint, cela me rend triste »), (2) la distraction, soit dans quelle mesure les individus sont-ils distraits par leur rumination en lien avec leur but (par exemple, « je suis souvent distrait de ce que je suis en train de faire par mes pensées au sujet d’autres choses »), (3) la motivation ou la mesure dans laquelle les individus sont motivés à faire quelque chose afin de réduire leur rumination en lien avec leur but non atteint (par exemple, « Quand je pense à un but que je n’ai pas réussi à atteindre par le passé, ça me donne envie d’agir pour réussir à l’atteindre »). Bien que cette première échelle transdiagnostique présente l’avantage de mesurer les PRN en réponse à un but non atteint, elle ne permet pas de considérer tous les aspects des PRN et en passant à côté de certaines caractéristiques clés, elle prend le risque de mesurer un construit différent des PRN, telles que l’approche processuelle les définit.

Plus tard, l’Index des Pensées Répétitives Habituelles – Habit Index of Negative

pensées négatives, basé sur la définition d’une habitude : (1) le caractère automatique des PRN, (2) le caractère inconscient des PRN et (3) la nécessité de faire un effort pour arrêter ses PRN. Toutefois, cette échelle n’a pas été développée sur la base d’une définition de travail des PRN, mais plutôt en accord avec les pensées automatiques décrites par (Beck, 1967). Cette échelle a donc plutôt tendance à évaluer le caractère automatique des intrusions négatives, plutôt que le processus des PRN.

En 2007, Barnard, Watkins, MacKinstosh, et Nimmo-Smith présentent, à l’occasion de la conférence annuelle de l’Association Britannique de Psychothérapies Cognitives et Comportementales, une échelle permettant d’évaluer les deux modes de pensées en accord avec la théorie du traitement de l’information de Watkins (2004 ; 2008). Ce questionnaire auto-rapporté permet donc d’examiner d’une part le mode abstrait–analytique et d’autre part, le mode concret–expérientiel. Bien que non publiée, cette échelle a été traduite et validée en version francophone (Douilliez et al., 2014). Même si cette échelle ne permet pas d’évaluer le processus de PRN en accord avec la définition transdiagnostique de Ehring et Watkins (2008), elle présente néanmoins l’avantage d’évaluer la focalisation sur soi selon un mode adapté versus inadapté.

Par la suite, McEvoy, Mahoney et Moulds (2010) ont développé le Questionnaire des Pensées Répétitives – Repetitive Thinking Questionnaire – en modifiant et en combinant des items issus de l’Échelle de Réponse Ruminative-Révisée (RRS-R ; Treynor et al., 2003), du Questionnaire des Inquiétudes de l’état de Penn (PSWQ ; Meyer et al., 1990) et du Questionnaire des Processus Post-Événement (PEP-Q ; McEvoy et Kingsep, 2006). Ce questionnaire auto-rapporté de 31 items vise l’évaluation transdiagnostique des PRN. L’avantage de ce questionnaire réside dans sa capacité à évaluer le recours aux PRN versus la non utilisation des PRN. Toutefois, en combinant des items issus d’échelles de PRN spécifiques à un trouble, les auteurs ont pris le risque de concevoir un questionnaire évaluant la rumination, les inquiétudes et les pensées post-événements via un même questionnaire, mais comme des processus distincts, plutôt que les PRN dans une perspective processuelle.

Finalement, (Ehring et al., 2011) ont créé le Questionnaire des Pensées Persévératives – Perseverative Thinking Questionnaire (PTQ) – en développant 15 nouveaux items basés sur la définition suivante des PRN : « les PRN relevant de problèmes émotionnels sont un style de pensée au sujet de ses problèmes (actuels, passés, ou anticipés) qui présentent trois

caractéristiques centrales : (1a) les pensées sont répétitives, (1b) elles sont, au moins en partie, intrusives, (1c) il est difficile de s’en désengager. Deux caractéristiques additionnelles des PRN sont : (2) les individus les perçoivent comme non productives et (3) elles consomment les ressources cognitives. » (Ehring et al., 2011, p. 226). Parce qu’il se base sur une définition complète des PRN selon l’approche transdiagnostique, et développe de nouveaux items évaluant le processus des PRN indépendamment de leur contenu, le PTQ nous semble aujourd’hui le questionnaire auto-rapporté le plus adapté pour évaluer les PRN selon l’approche processuelle transdiagnostique. Il peut être utile aux chercheurs, tout comme aux cliniciens. La version originale en langue allemande a d’ailleurs été traduite et validée en Anglais (Ehring et al., 2011), en Néerlandais (Ehring, Raes, Weidacker et Emmelkamp, 2012), en Portugais (Chaves et al., 2013) et en Polonais (Kornacka, Buczny et Layton, 2016). L’utilisation de cette échelle à l’internationale présente l’avantage de pouvoir comparer les études entre elles. Ainsi, dans le but de fournir un outil valide permettant d’évaluer les PRN dans la population générale comme dans la population clinique, utile aux chercheurs comme aux cliniciens francophones, nous avons traduit et validé le PTQ en langue française. Cette étude de validation fait l’objet du deuxième chapitre de ce manuscrit. L’inconvénient de ce questionnaire réside dans l’une des caractéristiques, considérée comme centrale dans les PRN par les auteurs et pourtant encore largement discutée dans la littérature. Il s’agit de la perception du caractère inadapté des PRN par les individus qui les utilisent. En effet, comme cela a été largement développé plus tôt dans ce manuscrit, les PRN sont notamment maintenues par des croyances métacognitives concernant leur utilité. Dès lors que cette question n’a pas été arrêtée, il semble prématuré de considérer comme caractéristique essentielle des PRN que les individus les considèrent comme inadaptées. D’ailleurs, les études de validation de la version française, dans la population générale comme dans la population clinique, indiquent qu’il serait nécessaire de supprimer les items correspondant à cette caractéristique, au moins dans la version francophone. Ces éléments seront discutés et étayés dans le troisième chapitre de ce manuscrit.