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2. Les pensées répétitives négatives

2.5. Pourquoi les PRN deviennent-elles une habitude ?

Le premier postulat concernant le maintien des PRN comme stratégie de coping concerne leur utilisation comme un évitement expérientiel et comportemental. En effet, bien que les épisodes de PRN soient vécus comme aversifs par les individus, il semblerait qu’ils permettent pourtant de réduire les affects négatifs à court terme. Pendant que les individus vivent un épisode de PRN, ils ne peuvent pas se mettre en action pour tenter de résoudre leurs problèmes et d’avancer vers leurs buts, ce qui les préserve d’un éventuel échec et des

émotions négatives qui l’accompagnent. Le caractère passif des PRN permet aux individus d’échapper à des situations plus aversives et de se dédouaner de la responsabilité des conséquences négatives de leurs actions (Nolen-Hoeksema et al., 2008). De plus, le fait d’être auto-critique et constamment focalisé sur ses erreurs, donne aux individus l’impression qu’ils ne sont pas égoïstes mais cherchent au contraire à s’améliorer (Martell, Addis et Jacobson, 2001). Enfin, l’utilisation abstraite et verbale des PRN permettrait aux individus de se détacher des images concrètes et vivides de la situation stressante et donc de diminuer les affects négatifs qui y sont associés (Watkins et Teasdale, 2004). Si ce postulat manque de preuves empiriques, Giorgio et al. (2010) ont néanmoins démontré que les PRN étaient associées à une mesure d’évitement expérientiel.

La deuxième piste de réflexion au sujet du maintien des PRN concerne les croyances qui y sont associées (Papageorgiou et Wells, 2001). En effet, certains individus pensent qu’en ayant recours aux PRN, ils vont ainsi améliorer leur compréhension des événements, de leur histoire, de leur fonctionnement, de leur sensation et apporter du sens à ce qu’ils vivent. Ils vont également tirer les leçons de leurs erreurs passées et se préparer aux potentiels événements négatifs à venir (Lyubomirsky et Nolen-Hoeksema, 1993 ; Watkins et Baracaia, 2001). Les études ont ainsi démontré que les croyances positives associées aux PRN prédisaient le maintien des PRN à long terme (Kingston, Watkins et O’Mahen, 2013) et que la manipulation expérimentale de ces croyances causaient le recours aux PRN suite à un échec (Kingston, Watkins et Nolen-Hoeksema, 2014). Notons que si les PRN peuvent être maintenues par des croyances positives, elles peuvent aussi être accompagnée de croyances négatives concernant la difficulté à les contrôler (Papageorgiou et Wells, 2003). Ces croyances négatives peuvent conduire les individus à prendre conscience que leurs PRN sont non constructives et que leur incapacité à les contrôler les empêche de mettre en place des stratégies adaptées. Ces éléments seront approfondis plus loin à l’occasion de la présentation du modèle métacognitif triphasique des problèmes d’alcool de Spada, Caselli et Wells (2013).

Enfin, la troisième hypothèse suggère que les individus présentant un déficit du contrôle attentionnel seraient plus à risque de développer les PRN comme une réponse habituelle aux événements de vie stressant (Hirsch et Mathews, 2012 ; Koster, De Lissnyder, Derakshan et De Raedt, 2011 ; Watkins, 2011). Après avoir utilisé les PRN en réponse à un écart entre le « soi perçu » et le « soi idéal », l’utilisation des PRN est généralisée à tous les éléments du contexte (par exemple, les affects négatifs mais aussi, le moment de la journée, le

lieu, les personnes présentes ou au contraire le fait d’être seul, etc) qui deviennent eux-mêmes des stimuli ayant la propriété d’activer les PRN. Or, certains individus présenteraient un biais attentionnel en faveur des indices associés aux informations négatives référents à soi (Donaldson, Lam et Mathews, 2007 ; Joormann, Dkane et Gotlib, 2006 ; Koster, De Lissnyder et De Raedt, 2013). Par ailleurs, un contrôle attentionnel perturbé peut également engendrer un déficit de désengagement attentionnel. Ainsi, une fois que ces individus ont perçu les indices déclenchant automatiquement les PRN, leur incapacité à se désengager de ces pensées pour allouer leur attention à d’autres stratégies de résolution de problèmes plus efficace pourrait contribuer au maintien des PRN et leur acquisition comme stratégie de coping habituelle (Koster et al., 2011).

Ces trois postulats nécessitent l’obtention de davantage de preuves empiriques et la résolution de différentes inconsistances présentes dans la littérature. Toutefois, la fonction d’évitement des PRN, les croyances qui y sont associées et l’éventualité d’un déficit du contrôle attentionnel chez les individus qui y ont recours semblent trois éléments intéressant à explorer pour améliorer notre compréhension de l’utilisation des PRN, en dépit de leurs conséquences négatives. Considérer les PRN comme une habitude apprise, issue de conditionnements répondants et opérants, influencée par de nombreux facteurs développementaux, des croyances et un déficit de contrôle attentionnel, donne déjà une vision assez précise du développement des PRN (voir la figure 2 présentant un modèle récapitulatif de ces éléments). Ces éléments permettront de continuer à perfectionner la prise en charge des PRN et à ’améliorer plus généralement la santé mentale des patients qui les utilisent comme stratégie de coping habituelle.

Perception d’un écart entre « soi perçu » et « soi idéal » Indices associés au contexte� Émotions négatives Focalisation sur soi sur un mode

concret– expérientiel

Focalisation sur soi sur un mode abstrait– analytique Diminution des émotions négatives à COURT TERME Facteurs de risque dévelop- pementaux Croyances

positives contrôle cognitif Déficit du LONG TERME

Diminution de l’écart entre « soi

perçu » et « soi idéal » Diminution des émotions négatives à LONG TERME Développement des PRN comme une habitude

Figure 2. Schéma de synthèse du développement des PRN comme une habitude (d’après Watkins et Nolen-Hoeksema, 2014)