• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Incitants financiers du dirigeant et politique d’investissement

2- Revue de littérature

Hall et Liebman (1998) et Jensen et Murphy (1990) ont montré que l’attribution de stock- options et d’actions au dirigeant conduit à une augmentation substantielle de la sensibilité de l’utilité du dirigeant à la valeur de marché de l’entreprise. L’usage des stock-options dans sa rémunération permet de compenser son aversion au risque. Smith et Stulz (1985), Guay (1999), Defusco et al. (1990), Ross (2004) et d’autres, mettent en avant que le rendement convexe des stock-options s’oppose à la concavité de la courbe d’utilité du dirigeant. Pour Guay plus particulièrement, cette convexité des rendements est à l’origine de la sensibilité au risque de l’entreprise qu’apportent les stock-options aux dirigeants qui en reçoivent. La convexité des rendements le conduit à rechercher une performance plus importante en augmentant le niveau de risque de l’entreprise comme le soulignaient déjà Jensen et Meckling (1976), Myers (1977) ou Smith et Watts (1992).

Coles et al (2006) évoquent un argument du même ordre. Selon eux, les dirigeants sont naturellement sous diversifiés par rapport aux actionnaires. Ne pas les sensibiliser au niveau de risque de l’entreprise via des stock-options les conduit à s’éloigner des projets à VAN positive mais risqués, nécessaires à la croissance de l’entreprise. DeFusco et al. (1990) montrent, quant à eux, que l’utilité des actionnaires augmente lorsque la variance des résultats comptables et des rendements boursiers augmente suite à l’augmentation du véga de la rémunération du dirigeant. De manière générale, il est admis dans la littérature qu’aligner les intérêts du dirigeant avec ceux des actionnaires et inciter le dirigeant à prendre des risques en lui attribuant des actions et des stock-options sont des instruments contractuels que les actionnaires peuvent utiliser afin d’orienter le dirigeant vers une politique d’investissement servant leurs intérêts. L’importance d’un instrument relativement à l’autre dans le contrat liant le dirigeant à son entreprise apparait comme essentielle et pourtant la littérature n’explore que partiellement leur corrélation, leur influence réciproque sur le comportement du dirigeant et leur pouvoir incitatif en fonction de la construction globale du portefeuille de rémunération du dirigeant.

78

Suite à ces travaux empiriques et théoriques sur le rôle incitatif de la rémunération sous forme de titres, un courant de la littérature s’est développé sur l’articulation entre les deux incitants principaux contenus dans cette rémunération en particulier des stock-options. Le delta et le véga sont dérivés de la formule de valorisation des options de Black et Scholes et sont de fait intrinsèquement liés. Une variation du prix de marché ou du niveau de volatilité du titre augmente le delta des options attribuées tout en diminuant le véga de ces mêmes options.

Lambert et al. (1991), Carpenter (2000) et Ross (2004) expliquent que lorsque le dirigeant entreprend des projets risqués créateurs de valeur, le cours de l’action augmente et les options deviennent davantage « dans la monnaie ». Les options fortement dans la monnaie présentent des caractéristiques incitatives se rapprochant de celles des actions et de fait, leur sensibilité au niveau de risque de l’entreprise diminue.

Dans le même temps, la concrétisation de ce type d’investissement conduit à une augmentation du niveau de risque de l’entreprise. Gormley et al. (2013) identifient un niveau de risque optimal pour un dirigeant détenant un portefeuille d’options. Au-delà de ce niveau, le dirigeant n’est plus suffisamment sensibilisé au niveau de risque de l’entreprise comparativement à une augmentation du cours boursier de l’entreprise. Pour Carpenter (2000), le dirigeant cherchera même à réduire le niveau de risque de l’entreprise s’il s’avère supérieur à ce risque optimal. La sensibilité de la rémunération au niveau de risque ou véga peut donc conduire à une réduction du niveau de risque de l’entreprise si le niveau de risque actuel de l’entreprise est trop élevé ou si les options sont fortement dans la monnaie.

Ces conditions sont traduites par le rapport entre le véga et le delta du dirigeant que nous analyserons plus en détail dans le présent travail. Rogers (2002) utilise le ratio véga/delta qu’il considère comme le rapport des sensibilités de la rémunération du dirigeant au risque de l’entreprise et à la valeur boursière créée. Ce pan de la littérature constitue la pierre angulaire de notre travail. Les instruments contractuels delta et véga sont incorporés dans la rémunération du dirigeant afin de le conduire dans une direction spécifique mais au fur et à mesure que le dirigeant prend des décisions, leurs caractéristiques incitatives vont évoluer.

79

Les stock-options et les actions ne sont pas les seuls constituants de la rémunération du dirigeant. Le jeu incitatif mis en place par l’entreprise doit considérer également l’importance de ces éléments de rémunération liés à la valeur de marché de l’entreprise par rapport à la partie « sans risque de marché » du portefeuille de rémunération du dirigeant. Lambert et al. (1991) évoquent un risque de sous-diversification du portefeuille de rémunération du dirigeant si les actions et options occupent une place trop importante. Ils montrent que l’utilité du dirigeant dépendante de la valeur des stock-options perçues diminue si sa rémunération est trop exposée au risque de marché de l’entreprise. Dittmann et Maug (2007) montrent que les actions incitent le dirigeant à prendre du risque même si elles ne le sensibilisent pas directement au niveau de risque de l’entreprise mais seulement si cela s’accompagne d’une diminution du salaire fixe.

Ce dernier résultat parait surprenant dès lors que les actions sont conventionnellement considérées comme ayant un véga nul, mais exposer davantage le dirigeant au risque de marché de l’entreprise, c’est l’inciter à prendre le risque nécessaire à une valorisation optimale des actions détenues. Gormley et al. (2013) identifient un risque optimal perçu par les dirigeants détenant un portefeuille d’actions. Dans le contexte fixé par Dittmann et Maug, un dirigeant n’étant pas directement sensible au niveau de risque de l’entreprise car ne détenant aucune option, cherchera d’autant plus à augmenter le niveau de volatilité du titre afin de valoriser au mieux les actions perçues si la part sans risque de marché de sa rémunération est faible. Ainsi l’exposition du dirigeant au risque de marché mesurée par la part qu’occupent les stock-options et les actions dans la rémunération totale influence nécessairement la traduction du delta et du véga du dirigeant en comportement d’investissement.

Nous cherchons dans ce travail à mesurer l’influence de la relation contractuelle liant l’entreprise et son dirigeant sur la politique d’investissement qu’il entreprend. Dès lors que ce contrat peut conduire ou non le dirigeant à augmenter le niveau de risque de l’entreprise afin de répondre aux attentes des actionnaires, nous considérerons un investissement risqué et un autre moins risqué. La littérature considère habituellement les dépenses en R&D comme un investissement davantage risqué que les dépenses en capital (CAPEX) comme le soulignent

80

Kothari et al. (2001) et Bhagat et Welch (1995) bien que les travaux plus récents de Eberkart et al. (2007) tempèrent ce postulat.

La relation entre les instruments contractuels véga et delta et le comportement d’investissement prenant la forme de R&D ou de CAPEX est bien établie dans la littérature. Les dépenses R&D sont un investissement risqué ainsi de nombreux auteurs ont remarqué un lien positif entre le véga et les dépenses en R&D (Gaver et Gaver (1995), Coles et al. (2006), Nam et al. (2003), Guay (1999) et d’autres) alors que la sensibilité de la rémunération à la performance boursière diminue habituellement ce type de dépense (Coles et al. (2006), Aggarwal et Samwick (1999), Garen (1994), Bizjak et al (1993)).

Certains, comme Coles et al. (2006), font l’hypothèse que les dépenses en R&D et en CAPEX sont substituables et qu’ainsi, la relation liant les sensibilités de la rémunération aux dépenses en CAPEX est opposée à celle liant les sensibilités de la rémunération aux dépenses en R&D. Aggarwal et Samwich (2002) et Coles et al. (2006) établissent une relation positive entre le delta et le niveau de CAPEX, pour Coles, une relation négative entre le véga et le niveau CAPEX existe également. La littérature a ainsi régulièrement exploré la relation entre une sensibilité particulière de la rémunération et une politique d’investissement donnée mais la deuxième sensibilité est la plupart du temps considéré individuellement ou en variable de contrôle.

Notre apport consiste donc à étudier l’effet conjoint et combiné du delta et du véga sur les niveaux respectifs de dépenses en R&D et de CAPEX en addition de leurs effets individuels déjà formalisés dans la littérature. Analyser les effets de ces sensibilités en fonction de la construction globale du portefeuille constitue un deuxième axe de travail.

81

Documents relatifs