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D’abord, l’albédo est un mot d’étymologie latine, qui signifie blancheur. L’albédo d’une surface est une caractéristique des matériaux permettant de quantifier la partie de la radiation solaire incidente que cette surface réfléchit (Coakley, 2003). Cette caractéristique gouverne l’accumulation de chaleur par

est présenté en décimale et varie de 0, pour un corps noir parfait qui absorbe toutes les longueurs d’onde, à 1, pour une surface apte à réfléchir entièrement la radiation solaire. Ainsi, un revêtement à albédo élevé permet de réfléchir une plus grande partie de l’énergie provenant de la radiation solaire qu’un revêtement bitumineux classique. La mention « cool pavement » est accordée dans le cas où l’albédo de la surface revêtue est d’un minimum de 0,30 (Muench et al., 2011).

1.6.1 Études nordiques portant sur les revêtements à albédo élevé

Dans les années 70, le critère de dimensionnement des structures de chaussée construites dans les zones de pergélisol discontinu consistait généralement à fournir une résistance aux charges induites par les véhicules lors de la période de dégel. Après cette période, la pratique habituelle était de niveler ou de paver les surfaces problématiques ayant subi des tassements différentiels dus au dégel du sol sous-jacent riche en glace. Le coût associé à l’ajout de matériau de remblai était important et conduit à l’étude de nouvelles techniques de construction. Trois méthodes passives étaient connues pour diminuer la profondeur de dégel, soit l’intégration d’une couche isolante au dimensionnement d’un remblai (Esch, 1973), l’ajout ou la préservation de la couche de tourbe (Esch et Livingston, 1978) et l’utilisation de matériau permettant de réduire la température de surface de la chaussée (Fulwider et Aitken, 1962).

Quelques projets de recherche ont été réalisés en milieu nordique, soit au Groenland, en Alaska et au Canada et ils ont permis d’évaluer les effets de l’albédo du revêtement sur la pénétration maximale de dégel sous le remblai routier. Les diverses utilisations recensées sont regroupées chronologiquement à la figure 1.13, selon la date de parution de l’article scientifique respectif, et elles sont présentées par situation géographique dans cette section.

1.6.1.1 Groenland

D’abord, la première utilisation recensée de peinture blanche utilisée dans le but d’augmenter l’albédo de la surface date de 1962. Cette étude avait pour but de déterminer la réduction de la profondeur de dégel sous la chaussée par l’application de peinture blanche sur les pistes de l’aéroport de Thulé, au Groenland (Fulwider et Aitken, 1962). D’abord, une section d’essai comprenant une surface blanche et une surface témoin ayant comme dimensions 38,1 m de longueur sur 22,9 m de largeur ont été installées en 1953 sur une voie de circulation de l’aéroport. Les résultats de cette étude démontrent que la profondeur de dégel sous la surface à albédo élevé a diminué de 27 % à l’été 1954, comparativement à la section témoin. La figure 1.14 présente la profondeur de dégel pour cette période, elle est de 1,6 m sous la section peinte et de 2,2 m sous la section témoin.

Figure 1.14 : Profondeur de dégel sous la voie de circulation de l’aéroport de Thulé (Fulwider et Aitken, 1962).

Suite aux résultats obtenus, l’installation de peinture blanche à plus grande échelle a été autorisée. À l’été 1959, la piste d’atterrissage principale a été peinte en blanc sur approximativement 400 m, et un programme d’extension a permis d’appliquer la peinture blanche sur 1400 m de plus à l’été suivant. L’albédo de la surface était d’environ 0,58 la première année, et de 0,43 la deuxième année. En 1959, la profondeur de dégel sous la surface à albédo élevé était de 1,5 m alors qu’elle était de 2,1 m sous le revêtement noir, une réduction de 29 %, comme présentée à la figure 1.15. En 1960, une réduction de 35 % de la profondeur de dégel a été observée. La profondeur de dégel atteinte sous la surface blanche était de 1,3 m, et de 2,0 m sous le revêtement non protégé. Cette étude a démontré l’efficacité

à l’utilisation de peinture ont été constatés, tels que la diminution de la micro texture du revêtement, les coûts élevés d’entretien et les problèmes d’éblouissement des pistes d’atterrissage.

Figure 1.15 : Profondeur de dégel sous la piste de l’aéroport de Thulé (Fulwider et Aitken, 1962).

À l’automne 2000, de la peinture blanche a été appliquée sur une partie de l’aire de stationnement de l’aéroport de Kangerlussuaq, au Groenland, après qu’une dégradation importante de la chaussée par plusieurs dépressions de la surface ait été remarquée (Jorgensen et Andreasen, 2007). Quelques années plus tard, des relevés au géoradar ont permis de comparer la profondeur de dégel sous les sections d’essai à celle du revêtement noir. La figure 1.16 présente les résultats d’un relevé au géoradar montrant que le niveau du pergélisol sous la surface peinte en blanc est approximativement 0,75 m plus élevé que celui du reste du profil. Les relevés au géoradar marquent un lien évident entre la profondeur du pergélisol et l’albédo de la surface.

1.6.1.2 Alaska

La découverte de larges gisements de pétrole et de gaz naturel dans l’Arctique nord-américain a provoqué un mouvement en faveur du développement du réseau routier de ces régions. Conséquemment, un programme de recherche mis en place par le Cold Regions Research and

Engineering Laboratory (CRREL) a été développé dans le but d’améliorer les techniques de conception

et de diminuer les coûts de construction des infrastructures routières construites sur pergélisol. En 1964, un site d’étude sur les revêtements à albédo élevé intégré au programme a été installé sur la route Farmers Loop à Fairbanks, en Alaska (Berg et Aitken, 1973). La portion de la chaussée expérimentale n’était pas soumise au trafic et comprenait cinq différentes surfaces, soit une surface en gravier, une surface en gravier peinte en noir, une section intégrant une couche de tourbe compressée, une section témoin et une surface utilisant de la peinture blanche, totalisant une longueur de 100 m. L’albédo de la surface blanche était de 0,66 et celui de la section témoin de 0,16. Les résultats démontrent que la technique la plus efficace pour diminuer la dégradation du pergélisol est celle utilisant un revêtement à albédo élevé, où une diminution de 30 % de la profondeur de dégel est observée. La figure 1.17 présente les profondeurs de dégel sous chacune des surfaces étudiées pour les cinq années de suivi. En 1971, la profondeur de dégel sous la section témoin est approximativement de 3,4 m, et de 2,4 m sous la surface blanche.

Ensuite, un deuxième projet a été mis en place en 1981 à Fairbanks, plus spécifiquement à Peger

Road (Berg, 1985). La localisation du site permettait aux sections d’être soumises à un trafic important.

Cette étude a permis d’évaluer l’effet de la couleur et de la texture du revêtement sur les températures en surface en période estivale. Un total de sept différentes sections ayant des dimensions respectives de 15 par 5 m étaient installées, dont deux utilisant de la peinture de marquage de couleur blanche et de couleur jaune. L’albédo de la section témoin était de 0,13 et celle de la surface blanche de 0,38. Les facteurs-n ont été calculés pour une partie de la saison de dégel et sont présentés à la figure 1.18. Une relation linéaire est développée entre l’albédo de la surface et le facteur-n, qui varie entre 1,53 pour la section non traitée à 1,22 pour la section de couleur blanche. L’efficacité des surfaces à albédo élevé à diminuer la température de surface a été prouvée. Par contre, les surfaces ont dû être repeintes au début de l’été 1982 puisque l’abrasion provenant des pneus à clou a dégradé les surfaces.

Figure 1.18 : Influence de l’albédo sur le facteur-n des chaussées à Peger Road et Highway Test Section (Berg, 1985).

Finalement, un projet ayant pour but de comparer le tassement obtenu sous les sections de route peintes en blanc à celle des sections non traitées a été mis en place en Alaska en 1982. Le projet comprenait quatre sections d’essais sur les routes intérieures de l’Alaska, deux localisées à Johnson

Road, et deux à Richardson Highway (Reckard, 1985). Les sites mis en place à Richardson Highway

sont nommés Shaw Creek et Canyon Creek. Les résultats de Canyon Creek sont présentés à la figure 1.19 et démontre que la surface peinte en blanc permet de diminuer efficacement le flux de chaleur transmis au sol sous-jacent.

Figure 1.19 : Flux de chaleur cumulatif sous les sections témoins et sous la surface blanche (Reckard, 1985).

Les conclusions de cette étude démontrent que les surfaces à albédo élevé peuvent diminuer significativement les tassements au dégel, mais que les coûts associés sont parfois plus élevés que ceux liés à la maintenance. Il est recommandé d’utiliser les surfaces peintes à des endroits localisés où les problèmes de tassement au dégel sont extrêmes.

1.6.1.3 Canada

Plusieurs projets de recherche menés à l’Université Laval ont permis d’évaluer l’efficacité des revêtements à albédo élevé appliqué en régions nordiques. En 2006, une section d’essais, installée à Salluit (Doré et Voyer, 2010) a permis l’application d’un coulis à base de ciment sur le revêtement bitumineux afin d’augmenter l’albédo de la surface. Malheureusement, des problèmes techniques n’ont pas permis l’analyse des données thermiques.

Figure 1.20 : Application du coulis sur la chaussée à Salluit (Voyer, 2009).

Également, un site d’essais, situé à 5 km au sud-est de la communauté de Beaver Creek au Yukon a été installé en 2008 avec la collaboration de l’Université Laval. Ce site a été conçu pour analyser la performance de plusieurs méthodes de mitigation, dont une section utilisant des granulats clairs et est instrumenté jusqu’à des profondeurs allant de 15 à 16 mètres. Plus de détails concernant les sections témoin et L-BST sont présentés à la section 5.1.

Un deuxième site expérimental, installé à Beaver Creek par Dumais (2014), a permis de documenter l’efficacité des revêtements à albédo élevé et l’évolution de l’albédo.

Finalement, pour une première fois en Amérique du Nord, un liant synthétique de couleur miel nommé Bituclair a été appliqué sous la forme d’enrobé bitumineux sur la rue principale, à Dawson au Yukon. Le centre-ville de Dawson City appartient au lieu historique national du Complexe-Historique-de- Dawson, commémoré en vertu du rôle primordial qu’il a incarné dans la ruée vers l’or du Klondike en 1896. La rue principale est la seule rue pavée du village et revêt un traitement de surface depuis 1980. La performance de la chaussée ne répondait plus aux exigences du trafic induit par les autocars de tourisme et les véhicules récréatifs (Walsh et al., 2009). Une solution, permettant de garder l’image du patrimoine et ne causant pas de dégradation du pergélisol riche en glace situé sous la chaussée, devait être trouvée. En 2008, le Gouvernement du Yukon a choisi de paver le Front Street de couleur claire avec un enrobé à base de liant Bituclair, limitant ainsi l’absorption de chaleur par le rayonnement solaire et permettant également de supporter la circulation des véhicules lourds, tout en contribuant à préserver le patrimoine. Une photo présentant le pavage terminé est montrée à la figure 1.21. Des

capteurs de température situés sous la chaussée permettront d’évaluer la performance thermique du revêtement.

Figure 1.21 : Pavage terminé de la rue principale, Dawson, Yukon (Walsh et al., 2009).