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Retrancher sa volonté propre

P REMIÈRE PARTIE

4 Retrancher sa volonté propre

« Rien n’est aussi profitable à l’homme que de retrancher sa volonté propre. En vérité, par ce moyen, on progresse pour ainsi dire au-delà de toute vertu409F409F

4. » Ces paroles

de Dorothée nous incitent à une vigilance redoublée pour aborder ce thème qui est un aspect fondamental de l’humilité dans sa doctrine, écho des Pères dont il se réclame410F410F

5.

1 Ce n’est là qu’une conséquence du principe général selon lequel l’humilité attire la miséricorde énoncé en Did. II, 29- 9-10.

2 Cf. Did. VII, 88 et 2 Sam 16, 1-12. 3 Did. VII, 88, 9-12 (traduction retouchée).

4 Did. I, 20, 4-7. Un autre exemple montre la place considérable qu’il reconnaît au retranchement de la volonté propre. En effet, Dorothée enseigne qu’il faut privilégier cet exercice dans les relations avec les autres au point de laisser de côté une affaire même importante (cf. Did. IV, 58, 1-14).

5 Pour ISAÏE, Logos 22, 9, retrancher sa volonté propre, c’est l’humilité et c’est l’une des principales volontés de Dieu exprimées dans l’Écriture. Il considère qu’une des raisons de la venue du Christ est le retranchement des volontés propres (cf. ISAÏE, Logos 8, 60).

Quoique les deux notions ne se recouvrent pas exactement, le thème des logismoi rejoint celui de la volonté propre, car ceux-ci vont inspirer à l’homme des choix qui ne seront pas conformes à la volonté divine. Pour Dorothée, l’équivalence logismoi/volontés propres est très nettement affirmée en Did. I, 20, 14-23 (voir les remarques : REGNAULT, Œuvres p. 50-51). L’enseignement de BARSANUPHE/JEAN

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Dans la première Didascalie, la haine de la volonté propre est le troisième rejeton de l’humilité411F411F

1. Le second, la défiance de son jugement, peut lui être directement

assimilé. Quant au premier, le blâme de soi, il en dérive, car la justification de soi qu’il combat est une prétention de la volonté opposée à celle du Juge divin412F412F

2. Le thème de la

volonté propre est omniprésent dans l’ensemble des Didascalies, cependant, son importance apparaît principalement dans la première conférence qui traite du renoncement monastique. Ce détachement des relations familiales et des biens est signe du retranchement de la volonté propre413F413F

3. La valeur et l’authenticité de ce

renoncement sont conférées et vérifiées par la qualité de ce retranchement.

Nous allons tout d’abord exposer succinctement la conception que les Pères de Dorothée ont de l’implication de la volonté dans la vie spirituelle. Si ces moines ne sont pas d’abord des théologiens414F414F

4, leur visée pratique les a conduits à réfléchir aux

rapports de la liberté avec la grâce415F415F

5. Nous poursuivrons en définissant ce qu’est la

volonté propre. Enfin, nous verrons que le retranchement de la volonté propre constitue une charnière entre l’humilité et l’obéissance au point que certains Pères l’ont considéré comme participant à la vertu d’obéissance.

La volonté de l’homme et le secours de Dieu collaborent pour réaliser le bien

Dorothée partage avec ses maîtres une anthropologie qui définit le libre arbitre comme une des composantes de l’homme créé à l’image de Dieu416F416 F

6. L’homme n’est pas

contraint par Dieu à accomplir le bien, ni par le démon pour le mal, en raison de son libre arbitre417F417F

7. S’il expérimente une contrainte tyrannique qui l’entraîne au péché, c’est

parce qu’il s’est rendu volontairement esclave de ce pouvoir par ses mauvais choix418F418F

8 et

l’amertume de sa volonté419F419F

9. Dorothée cite Poemen qui rappelle que « la volonté de

l’homme est un rempart d’airain entre lui et Dieu420F420F

10 ». Il précise que celui qui la suit ne

peut voir la voie de Dieu421F421F

11. La volonté tient le rôle principal dans la réalisation du bien

ou du mal422F422F

12. « Dieu regarde à la volonté et c’est en tenant compte d’elle qu’il octroie

173 ; 191 ; 356 qui présente les différentes volontés serait à comparer à ÉVAGRE Pensées 31 qui définit les trois sortes de logismoi.

1 Cf. Did. I, 10, 6-7. 2 Cf. Did. I, 10, 3-6.

3 Basile le soulignait déjà : cf. BASILE, GR 6, 62 ; 41, 129. 4 Mis à part Basile qui a une réflexion théologique poussée.

5 Les moines ont surtout bénéficié des réflexions théologiques de leur époque sur cette question anthropologique.

6 Cf. Did. XII, 134, 7-8.

7 Cf. BARSANUPHE/JEAN 482, 8-9 et pour l’action du démon voir la lettre 683. 8 Cf. Did. I, 4, 20-24 ; XIII, 141,19-21.

9 Cf. Did. I, 8, 8-9.

10 Apophtegmes Alph. Poemen 54 en Did. V, 63, 1-2. 11 Cf. Did. V, 63, 1-10.

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ses dons423F423F

1 », enseigne Zosime. En revanche, si l’homme donne aux démons ce qui lui

appartient, c’est-à-dire ses volontés, il est mis à terre, affirme un Apophtegme424F424F

2.

Jean de Gaza résume la doctrine des Pères : « Dieu a fait l’homme libre (αὐτεξούσιον), en ce sens qu’il peut se pencher vers le bien, mais tout en se pliant par son libre choix (προαιρέσει), il est incapable de l’accomplir sans le secours de Dieu425F425F

3 ».

Il est certain qu’en conséquence du péché, l’homme éprouve plus de difficultés pour obéir aux commandements426F426F

4. Toutefois, le principe énoncé par Jean n’est pas tributaire

de cet état. Il dévoile le processus habituel qui préside à tout acte bon. Le bien est le résultat de la collaboration entre l’homme et Dieu, chacun agissant selon ce qu’il est427F427F

5.

« Tu dois donc toi-même apporter en contribution ta force et ton zèle, et c’est de Dieu que viennent la miséricorde, la protection et l’entretien de la force428F428F

6 », écrit Jean à

Dorothée. La doctrine des Pères est fondée sur la certitude que le secours de Dieu ne sera pas refusé à l’homme qui incline son cœur vers le bien et appelle Dieu à l’aide429F429F

7.

Pour signifier que Dieu s’engage indéfectiblement pour l’homme, Barsanuphe aura une formule surprenante : Dieu « veut, chaque fois que, toi, tu veux430F430F

8 ».

Dorothée et son ami Zosime sont les dignes témoins de la doctrine de leurs prédécesseurs. Zosime écrit que la vertu nécessite du travail, du temps, de la volonté et, avant tout, la collaboration de Dieu qui est attirée par la supplication de l’homme431F431F

9.

Les déclarations de Dorothée s’inscrivent dans la continuité des propos de son ami : « Il faut absolument et notre effort et la collaboration de Dieu432F432F

10. L’homme a donc

toujours besoin de prier pour demander à Dieu de l’aider et de coopérer avec lui en tout ce qu’il fait433F433F

11 ». C’est bien l’homme qui accomplit le bien, mais il ne le peut sans

la grâce de Dieu. Si le salut est indépendant des mérites de l’homme et si Dieu lui fournit les moyens de vivre conformément à ce don, néanmoins, observer les

1 ZOSIME 10 a. Il écrit aussi : « Une volonté fervente est capable de conduire à Dieu en une heure » (ZOSIME 2 a). La leçon du chapitre 16 est identique.

2 Cf. Apophtegmes Syst. X, 131.

3 BARSANUPHE/JEAN 763, 7-9. Myrrha Lot-Borodine, dans les pages qu’elle réserve au synergisme des Pères, mentionne les lettres de Barsanuphe et Jean parmi les traités de la littérature monastique antique les plus représentatifs, cf. LOT-BORODINE Myrrha, La déification de l’homme selon la doctrine des

Pères grecs, Le Cerf, Paris, 1970, p. 86-99 et la note 21 p. 87. Sur la collaboration homme/Dieu chez

les deux reclus, cf. BARSANUPHE 120 ; 198 ; 598.

4 Barsanuphe parle de « la faiblesse de la volonté » qui a besoin des remèdes dispensés par le Christ médecin, cf. BARSANUPHE 61, 80-83. Lire aussi la lettre suivante.

5 Zosime résume : « On apporte sa volonté et on reçoit les fruits de la grâce » (ZOSIME 9 c). La fonction indispensable de la volonté revient très souvent chez lui, cf. ZOSIME 1 a, 2 a, 9, 10 a, 14 d…