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Le monachisme de Gaza héritier des anachorètes du désert égyptien

Avec les controverses théologiques du VI° siècle, nous avons envisagé un aspect du contexte intellectuel dans lequel a vécu Dorothée. Explorer l’histoire du monachisme de Gaza va dévoiler en partie l’ambiance spirituelle dans laquelle il a été immergé. Dans les années 440-450, l’historien Sozomène, lui-même palestinien, affirmait, après avoir présenté quelques figures monastiques d’Égypte, que la Palestine

1 Cf. par exemple : Did. I, 11, 8-12. 2 Cf. par exemple : Did. I, 15-19.

3 Cf. ÉVAGRE, Pr. prologue 2 et Did. I, 18. Dorothée dans son descriptif suit l’ordre de la vêture : de la tunique à la cuculle. Évagre commence par la cuculle car elle symbolise la grâce de Dieu qui protège la partie directrice de l’âme à la dignité éminente. Chez lui, la conscience de la grâce de Dieu engendre l’humilité. Pour Dorothée, l’humilité fait vivre comme un enfant quant à la malice. La grâce de Dieu vient protéger et entretenir l’humilité de l’enfance. Les deux symbolismes ne s’opposent pas. Cependant, les perspectives sont différentes.

4 Cf. HEVELONE-HARPER Jennifer, Disciples of the Desert. Monks, laity and spiritual authority in sixth-

century Gaza, The Johns Hopkins University Press, Baltimore/London, 2005, p. 28.

5 GRILLMEIER Alois, HAINTHALER Theresia, Christ in Christian tradition. Volume 2, part 3, The Churches of Jerusalem and Antioch from 450 to 600, Oxford university Press, Oxford, 2013, p. 111- 112.

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« a commencé de mener la même vie d’ascèse pour l’avoir apprise des égyptiens186F186F

1 ».

Ce qui est vrai pour la totalité de la Palestine, l’est encore plus pour Gaza187F187F

2. Ces moines

égyptiens sont essentiellement ceux qui peuplaient les fameux centres anachorétiques du nord de l’Égypte et particulièrement Scété, le plus illustre188F188F

3.

De Scété à Gaza : les migrations d’anachorètes

Deux grandes figures sont considérées comme les pères du monachisme palestinien : Chariton189F189F

4 pour le désert de Juda et Hilarion (291-371) pour la région de

Gaza190F190F

5. La renommée du monachisme égyptien a attiré Hilarion. Alors qu’il étudiait à

Alexandrie, il aurait passé deux mois auprès d’Antoine puis serait rentré à Gaza pour y mener la vie monastique191F191F

6.

Avec la fin des persécutions et surtout à partir de 324 où Constantin devint empereur d’Occident et d’Orient, avec la construction des basiliques sur les lieux de la vie du Christ, la Palestine acquiert le statut de Terre Sainte pour les chrétiens et voit de plus en plus de pèlerins converger vers elle192 F192F

7. La région de Gaza ne présente pas un

attrait biblique particulier, mais elle a bénéficié de sa situation géographique qui la place sur la route qui va de l’Égypte à Jérusalem. Certains pèlerins débarquaient à Alexandrie pour aller visiter les anachorètes du désert puis remontaient vers Jérusalem, d’autres accomplissaient le chemin inverse. Ces mouvements ont facilité la circulation des idées. Les controverses doctrinales, les dévastations des centres anachorétiques

1 SOZOMÈNE, Histoire ecclésiastique, Livres III-IV, (SC 418), texte grec de l’édition Bidez, introduction et annotation par Guy Sabbah, traduction par André-Jean Festugière et revue par Bernard Grillet, Le Cerf, Paris, 1996, Livre III, 14, 21.

2 Pour l’histoire du monachisme en Palestine voir, plus récent que Derwas Chitty, quoique le monachisme gazaoui soit peu évoqué, cf. BINNS John, Ascetics and ambassadors of Christ. The

monasteries of Palestine, 314-631, Clarendon Press, Oxford, 1994.

3 Trois centres principaux ont vu le jour dans la première moitié du IV° siècle : Scété fondé vers 330 par Macaire l’Égyptien, dit aussi le Grand, Nitrie avec Amoun vers 325 et, en 338, les Kellia (c’est-à-dire les Cellules). Dans les textes, Nitrie et les Kellia sont parfois intégrés à Scété. C’est ainsi qu’Évagre qui fut aux Kellia écrit qu’il demeure à Scété (cf. ÉVAGRE Pr. prologue 1). Sans être exclusifs, les Apophtegmes rapportent essentiellement des paroles de moines de Scété. Dans la collection systématique des Apophtegmes, Jean-Claude Guy relève 84 mentions de Scété, 17 des Cellules et 4 de Nitrie, cf. Les apophtegmes des Pères, Collection systématique, Chapitres I-IX, (SC 387), t. 1, introduction, p. 35. Pour l’histoire de ses trois fondations : cf. DESPREZ Vincent, Le monachisme

primitif, Des origines jusqu’au Concile d’Éphèse, (SO 72), Bellefontaine, Bégrolles, 1998, p. 277-286.

Pour les Kellia : cf. GUILLAUMONT Antoine, Aux origines du monachisme chrétien (SO 30), Bellefontaine, Bégrolles, 1979, p. 151-167.

4 Il se serait établi dans le désert de Judée en 275.

5 La vie d’Hilarion a été écrite par saint Jérôme, cf. JÉRÔME, Trois vies de moines (Paul, Malchus,

Hilarion), (SC 508), introduction, texte critique, traduction par Pierre Leclerc, Edgardo Martin Moralès,

Adalbert de Vogüé, Le Cerf, Paris, 2007. Lorenzo Perrone signale qu’elle reste assez controversée, cf. PERRONE Lorenzo, La vie quotidienne des moines en Palestine (IV°-X° siècle). L’état des sources

littéraires, texte présenté en 2009, conférence à Athènes, p. 13.

6 JÉRÔME, Vie d’Hilarion 2, 4-5.

7 Cf. MARAVAL Pierre, Lieux saints et pèlerinages d'Orient. Histoire et géographie des origines à la

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lors des razzias193F193F

1, la fuite loin de la notoriété, la spiritualité de la xénitéia

194F194F

2 ont aussi

provoqué l’immigration d’anachorètes de Scété vers la Palestine comme Porphyre en 377, futur évêque de Gaza195F195F

3. Certains se sont installés dans la région de Gaza

196F196 F

4.

La répression de la première crise origéniste, en 400, menée par Théophile d’Alexandrie, aurait ainsi jeté sur les routes près de 300 moines des grands centres anachorétiques du nord de l’Égypte. Parmi ceux-ci se trouvaient peut-être Silvain197F197F

5,

« palestinien de naissance198F198F

6 » et ses douze disciples, à moins qu’ils ne soient partis

vingt ans plus tôt199F199F

7. Après un séjour au Sinaï, Silvain et ses frères terminèrent leur

errance dans la région de Gaza. Zénon appartenait à ce groupe. Homme de grande valeur spirituelle, il eut comme disciple Pierre l’Ibère le futur évêque monophysite de Maïouma que nous avons déjà rencontré. Zénon passa la dernière année de sa vie en reclus et mourut en 451.

Un autre Père, Isaïe, eut une profonde influence sur le monachisme de Gaza et notamment sur Dorothée. L’identité controversée d’Isaïe est révélatrice des liens étroits entre Scété et Gaza. Le mystère qui l’entoure se résume à sa localisation : Isaïe de Scété ou de Gaza ? Ce moine de Scété se serait fixé à Gaza dans les années 430 pour fuir sa renommée. C’est ce même moine du parti monophysite qui fut ami de Pierre l’Ibère et qui mourut en 488 ou 491. La question a été débattue et il semble à présent qu’un consensus se soit opéré autour du scénario que nous venons d’exposer200F200F

8.

1 Scété fut dévasté en 407, puis en 437 et à nouveau en 444.

2 Ou alors, c’est l’émigration obligée qui a développé cette notion en entraînant une relecture spirituelle en écho avec Abraham quittant son pays (cf. Gn 12, 1). Sur ce thème : cf. ÉVAGRE, Euloge 2. Isaïe revient plusieurs fois sur ce thème : Isaïe, Logos 4, 21.23 ; 17, 1 ; 25, 20 ; 26, 17. Voir aussi à propos de Pierre l’Ibère disciple d’Isaïe, cf. PERRONE Lorenzo, « Pierre l’Ibère où l’exil comme pèlerinage et combat pour la foi », Man near a roman arch. Studies presented to Prof. Yoram Tsafir, The Israël Exploration Society, Jerusalem, 2009, p. 190-204. Pour une présentation détaillée de ce thème : cf. GUILLAUMONT Antoine, « Le dépaysement comme forme d’ascèse, dans le monachisme ancien », Aux

origines du monachisme chrétien (SO 30), Bellefontaine, Bégrolles, 1979, p. 89-116.

3 Cf. CHITTY, Et le désert, p. 149.

4 Cf. NEYT, Correspondance, SC 426, p. 17-19.

5 Cf. VAN PARYS Michel, « Abba Silvain et ses disciples. Une famille monastique entre Scété et la Palestine à la fin du IV° et durant la première moitié du V° siècle », Irénikon 61 (1981), p. 315-331 et p. 451-480.

6 CHITTY, Et le désert, p. 151.

7 Cf. VAN PARYS Michel, op. cit., p. 317.

8 Pour une exposition des diverses thèses voir : VAILHÉ Siméon, « Un mystique monophysite, le moine Isaïe », Échos d’Orient 9 (1906), p. 81-91 ; REGNAULT Lucien, « Isaïe de Scété ou de Gaza ? Notes critiques en marge d’une introduction au problème isaïen », RAM 1970 (46), p. 33-44 ; CHITTY Derwas, « Abba Isaiah », Journal of Theological Studies, Vol. XXII, april 1971, p. 47-72 ; Abba Isaiah of Scetis.

Ascetic discourses, translated, with an introduction and notes by John Chryssavgis and Pachomios

Penkett, Cistercian Studies Series 150, Cistercian Publications, Kalamazoo, 2002, p. 13-20 ; HARMLESS

William, Desert Christians. An introduction to the litterature of early monasticism, Oxford university press, New York, 2004, p. 265 ; HORN Cornelia, Asceticism and christological controversy in fifth-

centhury Palestine. The career of Peter the Iberian, Oxford University Press, New-York, 2006. La

présentation non seulement la plus récente, mais surtout la plus claire de ce dossier complexe est celle de PARRINELLO Rosa Maria, Communità monastiche a Gaza. Da Isaia a Doroteo (Secoli IV-VI), Temi et Testi 73, Edizioni di storia e letteratura, Roma, 2010, p. 73-85.

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Avec Barsanuphe et Jean, les maîtres immédiats de Dorothée, ce lien physique avec le monachisme égyptien semble se rompre et, d’une certaine manière, s’inverser. Barsanuphe ne serait-il pas un signe du déplacement du centre de gravité du monachisme d’Égypte vers la Palestine à la fin du V° siècle ? En effet, le Grand Vieillard était égyptien, mais il ne fait jamais mention d’une expérience monastique dans le désert d’Égypte. Avec son disciple Jean, il semble avoir mené sa vie monastique en Palestine avant d’être accueilli dans le monastère de Séridos afin d’y vivre une réclusion totale. Dorothée n’est jamais allé en Égypte. Le lien avec la richesse spirituelle des moines de ce pays s’est opéré pour lui par la médiation de Barsanuphe et Jean ainsi que par les Pères du monastère de Séridos, chaînons de cette tradition vivante.

Ce n’est pas uniquement par ces moines que Dorothée fut en contact étroit avec la sagesse spirituelle des Pères du désert égyptien, mais grâce aux collections d’Apophtegmes.

De Scété à Gaza : la constitution des collections d’Apophtegmes

Les Apophtegmes rapportent les dits et faits des anachorètes d’Égypte par lesquelles ils enseignaient leurs disciples. Le premier Apophtegme d’Antoine, « prémices des anachorètes201F201F

1 », résume à lui seul la pédagogie du désert. En proie à

l’ennui et aux assauts des pensées, il eut la vision d’un moine qui était assis et travaillait, puis se levait et priait pour s’assoir à nouveau et tresser la corde, puis se relevant encore pour la prière. « Fais ainsi et tu es sauvé202F202F

2 », entendit-il dire. La réponse

d’un autre Père, Sisoès, est dans la même ligne. Il répond : « Fais donc ce que tu vois » à un moine qui lui demandait une parole203 F203F

3. La formation du moine est basée sur

l’exemple des Anciens, c’est-à-dire ceux qui sont plus expérimentés dans ce genre de vie et dont la vertu éprouvée est devenue une référence. Ils sont reconnus comme des

Abbas, des Pères qui transmettent les principes de cette vie anachorétique et la guident

vers son plein épanouissement204F204F

4. À la base des Apophtegmes se trouve la question :

« Père, dis-moi une parole, que dois-je faire pour être sauvé205 F205F

5 ? », c’est-à-dire : « Que

dois-je faire pour progresser dans la vie à la suite du Christ dans l’état monastique ? » Le processus qui aboutit aux collections d’Apophtegmes est aujourd’hui mieux circonscrit, même s’il reste, et restera, des zones d’ombres. Les dits et faits des Pères du désert se sont d’abord transmis oralement. Le passage à l’écrit a été motivé par la disparition des premières générations auxquelles était attachée une grâce de fondation. Une baisse de la ferveur dans les colonies d’anachorètes a pu pousser quelques-uns à

1 ÉVAGRE, Pensées 35.

2 Apophtegmes Alph. Antoine 1.

3 Id., Sisoès 45, voir aussi une réponse identique : Or 7 et Poemen 65.

4 Cf. BUNGE Gabriel, Paternité spirituelle, la gnose chrétienne chez Evagre le Pontique, (SO 61), Bellefontaine, Bégrolles, 1994, p. 39-40 ; REGNAULT, Les Pères, p. 28-34.

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prendre conscience qu’un trésor risquait d’être perdu s’il n’était pas transcrit. Les mouvements migratoires qui ont eu lieu à partir du V° siècle, entre autres vers la Palestine, ont certainement accéléré le phénomène206 F206F

1.

Évagre qui meurt en 399, donc avant les premières grandes dispersions, recueille déjà dans ses traités des florilèges d’Apophtegmes207 F207F

2. Il en donne la raison :

« Il faut aussi interroger les voies des moines qui nous ont précédés dans le bien et nous régler sur elles. Car on peut trouver beaucoup de belles choses dites ou faites par eux208F208F

3 ».

Le recueil ascétique d’Isaïe de Gaza comporte, lui aussi, des Apophtegmes209F209F

4.

Isaïe assure qu’il est un témoin authentique de cette tradition : « Ce que j’ai vu et entendu chez les Vieillards, je vous le rapporte sans rien en retrancher ni y ajouter210F210F

5 ».

Dans les différentes collections, les quelques 250 Apophtegmes attribués à Poemen sont de loin les plus nombreux211F211F

6. Ils sont peut-être le signe que c’est dans

l’entourage de cet abbé, qui a fui Scété en 407 en raison des razzias des tribus maziques212F212F

7, que la transcription des Apophtegmes a pris de l’ampleur. Il semblerait que

le monachisme de Gaza eut un lien particulier avec cette fraternité autour de Poemen. Étonnamment, les spécialistes n’ont pas donné tout son poids à une remarque faite par Barsanuphe dans une des ses lettres où il aborde le zèle de « nos Pères, ceux qui étaient avec l’abbé Poemen et ceux qui sont venus ensuite213F213F

8 ». Nous avons peut-être dans cette

phrase la trace d’un des chaînons qui relie Gaza non seulement aux Pères d’Égypte, mais surtout à un milieu anachorétique soucieux de rassembler les Apophtegmes des Anciens.

Ces multiples canaux par lesquels les Apophtegmes ont été recueillis semblent s’être concentrés en Palestine et notamment à Gaza. Ce serait là que, entre la fin du v° siècle et le tout début du VI° siècle, les grandes collections d’Apophtegmes auraient été constituées à partir d’embryons de recueils d’origines diverses et des témoignages de certains transfuges214F214 F

9. Une recension alphabétique aurait d’abord été effectuée et, très

1 Cf. REGNAULT, Les Pères, p. 69-70 ; BURTON-CHRISTIE Douglas, The word in the desert, Oxford University Press, New-York, 1993, p. 87-88.

2 Cf. ÉVAGRE, Pr. 92-99 ; Prière 106-112. 3 Id., Pr. 91.

4 Cf. ISAÏE, Logos 8, 64b ; 26, 42 ; 30 ainsi que l’appendice « Section isaïenne d’Apophtegmes du Karakallou 251 » p. 295-299 de la traduction française qui contient à la fois des Apophtegmes des Pères et d’Isaïe lui-même.

5 ISAÏE, Logos 30, 1.

6 Cf. Les Apophtegmes des Pères. Collection systématique, chapitres I-IX, (SC 387), introduction, texte critique, traduction et notes par Jean-Claude Guy, Le Cerf, Paris, 1993, p. 77.

7 Cf. ISAÏE, Logos 30, 2 = Apophtegmes Alph. Anoub 1. 8 BARSANUPHE 604, 71-74.

9 Lucien Regnault dans un article de 1981 a été le premier à émettre l’idée d’une origine gazaouie des deux grandes collections d’Apophtegmes. Il est repris dans : REGNAULT, Les Pères, p. 73-83. Cette thèse semble emporter une adhésion unanime aujourd’hui, cf. GOULD Graham, The desert Fathers on

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vite, si ce n’est en même temps, les Apophtegmes auraient été distribués selon vingt- et-un chapitres qui forment la collection systématique215F215F

1.

Le milieu monastique de Dorothée dans la tradition des Apophtegmes

Dorothée a donc vécu dans l’aura de ce trésor spirituel si cher au monachisme de Gaza. La formation qu’il a reçue et ses écrits témoignent du rôle des Apophtegmes. Au sujet de la correspondance entre les deux Vieillards du monastère de Séridos et Dorothée, François Neyt décèle « une influence prépondérante de la littérature apophtegmatique216F216F

2 ». Les références innombrables aux Apophtegmes, à la

fois explicites et implicites, qui se rencontrent dans l’ensemble de la correspondance de ces deux reclus illustrent combien ils se sont imprégnés de cette sagesse du désert transmise par ces collections217F217F

3. Lorsque Dorothée servait Jean, c’est invariablement

avec une de ses quatre sentences favorites, dont trois proviennent des Apophtegmes, qu’il le congédiait218F218F

4.

À côté de Barsanuphe et de Jean, maîtres immédiats de Dorothée, se tient son ami Zosime219F219F

5. Leur proximité est telle que plusieurs manuscrits attribuent à Dorothée

la rédaction des Alloquia de Zosime220F220F

6. Quoiqu’il en soit, cet abbé est un témoin

exceptionnel de l’influence opérée par les Apophtegmes sur les Pères de Gaza, même s’il n’appartient pas à strictement parler à ce groupe puisqu’il fut responsable d’une communauté située dans le voisinage de Césarée maritime221F221F

7. Les Alloquia révèlent que

Zosime s’est abreuvé à une riche littérature spirituelle222F222F

8, cependant c’est surtout les

1 Qui de l’alphabético-anonyme ou de la systématique est la collection originelle ? Les chercheurs discutent encore avec de bons arguments en faveur de l’une ou de l’autre. Un résumé des thèses en présence dans : GOULD Graham, op. cit., p. 5-10. Lire aussi : RUBENSON Samuel, The letters of St.

Antony. Origenist theology, monastic tradition and the making of a Saint, Bibliotheca historico-

ecclesiastica Lundensis 24, Lund University Press, Lund, 1990, p. 145-151. Dès le début du VI° siècle, une recension systématique a été traduite en latin par Pélage et Jean, cf. Les Sentences des Pères du

désert. Recension de Pélage et Jean, introduction Lucien Regnault, Solesmes, 1966.

2 Cf. NEYT François, Les lettres à Dorothée dans la correspondance de Barsanuphe et de Jean de Gaza, 2 tomes, Université catholique de Louvain, 1969, p. 395.

3 Cf. NEYT, Correspondance, SC 450, p. 68-105.

4 Cf. Did. IV, 56. Les citations proviennent de textes d’Isaïe, d’Apophtegmes de Jean l’Eunuque, d’Antoine, Macaire et Arsène et la quatrième sentence correspond à Gal 6, 2.

5 Comme le montre l’histoire que Dorothée relate dans les Didascalies où il intervient dans une causerie spirituelle de Zosime pour résoudre la question qui lui était posée sur l’humilité et à laquelle il ne savait répondre. Cette simplicité avec laquelle Dorothée s’immisce dans la conversation indique la proximité des deux abbés, cf. Did. II, 36.

6 REGNAULT Lucien, « Zosime. Entretiens ou chapitres très utiles », Enseignements des Pères du désert.

Hyperéchios, Etienne de Thèbes, Zosime, Préface de Michel Van Parys, introductions, traductions et

notes de Paul Tirot, Michel Van Parys et Lucien Regnault, (SO 51), Bellefontaine, Bégrolles, 1991, p. 98. Sans être le rédacteur du texte, Dorothée pourrait en avoir été le compilateur.

7 Il semble avoir circulé en Palestine à la rencontre de ses amis ou pour des raisons que nous ignorons. Il parle d’un séjour à la laure de Gérasime (cf. ZOSIME 14 b ; 15 b et c), d’un passage à Jérusalem (cf. 8 b), à Pédias (cf. 15 b), d’un trajet sur la route de Naplouse (cf. 8 a).

8 Il cite la Vie d’Antoine (cf. ZOSIME 7 d), Évagre (cf. 4 a et b), Basile (cf. 8 b), la vie de Pachôme (cf. 2 b), connaît les Logoi d’Isaïe (cf. 13 c) qu’il ne nomme pas comme le fait aussi Dorothée.

Prolégomènes 37

Apophtegmes qu’il commente223F223F

1. Ils étaient en quelque sorte sa respiration

224F224F

2. Zosime est

le plus ancien auteur connu qui témoigne de l’existence des collections d’Apophtegmes et de la pratique de la lecture assidue des « Apophtegmes des saints Vieillards225F225F

3 ». Les Apophtegmes qu’il rapporte appartiennent aux recensions écrites

226F226F

4.

Cependant, un fait étonnant s’opère et il se retrouve chez Dorothée227F227 F

5. Certaines

histoires que Zosime raconte rejoignent la forme et l’esprit des Apophtegmes des moines égyptiens du IV° siècle. Elles ne dépareraient pas parmi les recueils existants, mais ces petites histoires ne relatent pas des faits ou dits de ces anachorètes. En effet, elles rapportent des actes de moines contemporains ou des événements de la vie de Zosime228F228F

6. Ces histoires édifiantes n’apportent rien de nouveau à l’enseignement des

Apophtegmes, elles en sont des actualisations. C’est ainsi qu’un moine qui avait lu un Apophtegme se retrouve quelques temps après dans une situation identique à celle qui était décrite et suit la réaction admirable de l’anachorète de cet Apophtegme229F229F

7. L’esprit

qui était à l’origine des Apophtegmes perdure dans ces abbés. Les moines de Gaza ont non seulement collectionné les dits et faits des Pères du désert d’Égypte, mais ils se sont mis à leur école pour en vivre et les actualiser230F230F

8. Dorothée à l’écoute des Apophtegmes

Dorothée n’a pas seulement été en contact avec les Apophtegmes par ses maîtres, il les a lus, médités, commentés et a pratiqué leurs enseignements.

Il est révélateur que les Apophtegmes de Poemen, évoqué précédemment comme étant un abbé qui semble avoir grandement contribué à la mise par écrit des Apophtegmes, aient fortement influencé Dorothée comme le révèlent les recherches de François Neyt231F231F

9. Si l’on en juge par l’appréciation de Lucien Regnault, excellent

1 Cf. ZOSIME 1 d.