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Le retour à la vie « d’avant »

Dans le document Erasmus France/Italie : une forme d'exil ? (Page 47-50)

Nous l’avons vu, les séjours à l’étranger sont souvent vécus comme une parenthèse, un moment hors du temps, hors du commun. Pour ce qui est du retour, les choses sont moins idylliques. Lorsque j’ai entrepris d’aborder la question du départ de la terre d’accueil pour un retour au pays d’origine, une certaine émotion – voire un certain malaise – s’est installé dans les entretiens. L’atterrissage ne se fait jamais vraiment en douceur, le sentiment d’apesanteur restant omniprésent. Certains, comme Octavian (catégorie 4, n°5), se disent « nostalgique[s] », avec la sensation de reprendre une routine mise entre parenthèses le temps du séjour, comme s’il devait « replanifier sa [vie] ». Il est intéressant de noter que l’on retrouve l’idée du départ de zéro évoquée par certains lors de leur arrivée, comme un effet de répétition.

Face au chamboulement du retour, qui dépasse la simple nostalgie d’un retour de voyage, les anciens étudiants Erasmus n’hésitent pas à parler de « déracinement » (Benoît, catégorie 3, n°1), ou d’un « énorme manque ». Ils utilisent aussi l’expression « mal du pays ». Pour Stéphane (catégorie 3, n°9), c’est « l’impression de ne plus être chez [lui] » qui a marqué son retour en France, avec comme la sensation de ne pas reconnaître sa vie, ses amis, sa famille et sa ville laissés quelques mois plus tôt. Pour lui, rentrer dans son pays d'origine, c’est un deuxième exil. Mais comment peut-il donc se sentir exilé, déraciné dans son propre pays ? Cet exil que l’on pourrait imaginer différent de celui ressenti en terre inconnue, comme c’est le cas au début d’Erasmus, n'est en réalité pas si différent. Stéphane a la sensation de ne pas retrouver son pays. Beaucoup d’étudiants partagent cette idée de ne plus se sentir à leur

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place au moment du retour. Le séjour Erasmus est constitué de différentes étapes, nous l’avons vu (euphorie, découverte, acceptation). Le retour également, comme l’indique Marta :

« Per me il rientro è stato traumatico sì, senza dubbio, ma non l’ho accusato tanto appena sono rientrata in Italia, perché mi mancava il mio ragazzo, il mio mare, e mi faceva piacere passare l’estate a casa mia. Tuttavia alcuni mesi dopo (tipo 3/4 mesi) ho avvertito una fortissima nostalgia di Parigi, e tutt’ora dopo quasi un anno mi manca tutto, qualsiasi cosa !!! Tornerei subito a Parigi! » (Marta, catégorie 4, n°4)

En général, la première période du retour enchante celui qui revient : il retrouve sa famille, l’être aimé, ses amis, son pays. Puis, l’étudiant découvre que le plaisir procuré par le retour ne dure que quelques mois, avant qu’il ne soit confronté à sa routine délaissée, à des contraintes. Pour certains, cela les conduit à envisager un retour possible dans le pays qui les avait accueillis.

Le retour peut aussi s’avérer difficile pour les étudiants qui ont vécu leur véritable première expérience d’indépendance résidentielle. Alors que durant ces quelques mois à l’étranger ils ont tenté d’acquérir de l’autonomie et de la liberté, lorsqu’ils rentrent il s’agit souvent pour eux d’une forme de régression, d’un pas en arrière. L’étudiant qui rentre chez lui est profondément différent de celui qui était parti. Pour la famille, percevoir ou plutôt comprendre ces changements, qu’elle n’a pas vu s’opérer, peut s’avérer difficile.

« Per quanto riguarda la convivenza con la mia famiglia devo ammettere che è stata dura tornare a vivere con loro dopo 6 mesi da sola, in cui ho avuto le mie abitudini, i miei orari, tutto era deciso da me e soltanto da me insomma. Ancora adesso spesso mi sento a disagio e vorrei andare a vivere da sola, anche se amo la mia famiglia. L’Erasmus ti cambia tantissimo, e secondo me ti fa solo migliorare È un grande passo avanti nella vita adulta! » (Marta, catégorie 4, n°4)

On observe que les mobilités étudiantes peuvent être ponctuelles (et ne durer que la durée prévue du séjour) ou définitives. Charles Baudelaire évoquait en son temps un sentiment « d’horreur du domicile », 51 dans le cas de mobilités sans retour, alors que le pays d’accueil se trouve idéalisé. Sophie (catégorie 3 n°8) en pleine « dépression post-Erasmus »52

semble partager cette idée. Une idée selon laquelle il lui faut à tout prix quitter la France pour retourner le plus vite possible en Italie… définitivement ! Sa nostalgie peut toutefois être vue

51 CICCHELLI Vincenzo , L'esprit cosmopolite. Voyages de formation des jeunes en Europe, cit., p. 51.

52 GRAVELEAU Séverin, « Erasmus : le blues du retour ». Le Monde [en ligne]. 24/10/16. Disponible sur :

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comme quelque chose de bénéfique, d’utile : elle lui permet en effet en effet à présent de se forger un nouvel être.

Le cas de Sophie fait dans l’ensemble exception. Dans les témoignages que j’ai pu recueillir ressort au contraire un fort attachement au pays d’origine, avec une lucidité étonnante concernant les atouts et les handicaps de leur pays. Cet attachement n’est pas exprimé de la même manière par les Français et par les Italiens.

Les étudiants français expriment une certaine fierté nationale tandis que les Italiens après quelques mois à l’étranger expriment plus un manque affectif, voire matériel (la famille, la nourriture italienne sont au cœur de leurs expériences…).

« Apprezzo l’Italia in un modo sconfinato dal punto di vista culturale e culinario ma abbiamo tante pecche, tanti problemi, e anche il nostro stile di vita spesso si traduce in un flop generazionale. » (Serena, catégorie 4, n°7)

Clara (catégorie 1, n°3) se dit « extrêmement fière d'être française et parisienne ». Pour Helena (catégorie 3, n°3), c’est une chance d’être française, ce qui lui a donné encore plus envie de découvrir son propre pays. Elle dit avoir eu « vraiment honte parce qu’[elle s’est] rendu compte que [elle] ne connaissait vraiment pas assez [son] propre pays : au niveau de son histoire, de sa richesse ». Erasmus est donc, en ce sens, un voyage sur le plan géographique – évidemment – mais aussi métaphoriquement un voyage intérieur, telle une introspection. Le témoignage d’Helena met en lumière la capacité à poser un regard neuf sur le pays d’origine, pour en distinguer les aspects typiques et tenter d’en faire de même avec le pays d’accueil afin d’en faire émerger les qualités.

Les jeunes en pleine construction de leur vie, de leur identité se posent inévitablement des questions : « qui suis-je », « où veux-je aller » tant au niveau géographique qu’identitaire. Qu’est-ce qui fait la France ou l’Italie, que signifie être citoyen de l’un de ces deux pays, peut-on ressentir une appartenance à la fois à la terre d’origine et au pays d’accueil ?

Les liens au pays d’origine n’empêchent pas de développer conjointement un fort attachement pour la terre d’accueil. Cette dernière est perçue tant du côté français qu’italien comme une « seconde maison ». Au bout d’un moment – plus ou moins long suivant chacun – les étudiants s’approprient cet espace d’abord inconnu qui devient familier. La question « où suis-je » qui se pose – presque inévitablement – lors de l’arrivée, n’a plus lieu d’être une fois l’espace apprivoisé. L’étudiant a dès lors trouvé sa place d’un point de vue identitaire.

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Dans le document Erasmus France/Italie : une forme d'exil ? (Page 47-50)