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Le goût du voyage et de l’aventure

Dans le document Erasmus France/Italie : une forme d'exil ? (Page 44-47)

La création du programme Erasmus en 1987 a changé la manière de voyager des jeunes. Un des objectifs du programme Erasmus, et des mobilités étudiantes d’une manière générale, est d’éveiller les jeunes au goût du voyage. Les étudiants concernés par les mobilités estudiantines sont principalement issus de milieux sociaux favorisés, nous l’avons vu. Au-delà du fort lien qui unit les étudiants Erasmus à leur famille (lien qui ressort notamment à travers le soutien moral et financier des parents), qu’est-ce qui les caractérise ? Probablement un goût prononcé pour les voyages.

C’est bien avant la création du programme Erasmus (1987) que les classes les plus aisées ont pu bénéficier de voyages de formation. Le premier grand voyage de formation européen est sans aucun doute « le Grand Tour »47.

Tandis qu’il s’agissait alors pour les jeunes de leur premier séjour hors de leur pays d’origine, aujourd’hui les choses ont changé. On constate en effet que, les étudiants en mobilité ne sont pas des voyageurs novices. Seuls 21% des étudiants français48 n’ont jamais voyagé à l’étranger.

Les vols low cost, les séjours linguistiques permettent aux jeunes des deux pays étudiés, d’avoir un passé migratoire riche alors qu’ils n’ont en moyenne qu’une vingtaine d’années. Leur jeune âge explique que ce soit pour beaucoup leur première expérience seuls, loin de leur famille. Ainsi, pour Marine (catégorie 1, n°4) « pour une première expérience, c’était important pour [elle] que ce soit l’Europe. C’est peut-être un mauvais réflexe – reconnait-elle –, mais [elle avait] besoin de [se] sentir proche de « chez [elle].» Cette idée de ne pas partir trop loin du pays d’origine a un caractère rassurant : Federica (catégorie 2, n°4) a estimé cette décision plus « sage » pour un premier départ.

47 Voyage effectué par les jeunes de la noblesse européenne (XVIème – XVIIIème siècle) (principalement des

anglo-saxons) pour parfaire leur éducation. Ce séjour encadré par des guides permettait aux jeunes de visiter la France, la Suisse et enfin l’Italie. L’accomplissement de ce long séjour à l’étranger était alors considéré comme nécessaire.

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« Where we love is home - home that our feet may leave, but not our hearts. »49 (Oliver Wendell

Holmes)

On constate en effet que les étudiants Erasmus des milieux favorisés ont été amenés, avec leurs familles (ou seuls), à fréquemment voyager et/ou à déménager à diverses échelles géographiques. C’est ce qui a expliqué pour Pierre (catégorie 3, n°7) son envie de mobilité. La « compétence migratoire » de ce jeune homme est intéressante. Elle se caractérise à la fois sur l’échelle temporelle et l’échelle spatiale. Il est passé de déplacements locaux, nationaux avec sa famille à une mobilité d’ordre international, seul.

« Je ne suis pas issu de l’immigration mais j’ai toujours bougé avec mes parents (on a déménagé six fois) et je voulais aller à Paris. J’ai passé mon baccalauréat en Franche-Comté donc je ne voulais pas rester dans cette région (avec l’application Admission Post-Bac, tu vas prioritairement dans l’université de secteur surtout en droit). » (Pierre, catégorie 3, n°7)

Pour d’autres, l’échange Erasmus leur permet de découvrir ou de confirmer un goût pour les voyages. Serena, (catégorie 4, n°7) alors qu’elle n’était pas une novice en matière de voyage, après être venue à Bordeaux pour ses études de chimie en a fait l’expérience. Elle était déjà venue en vacances en France, en famille.

« Ora, per me la Francia è una seconda casa. Io mi sento a casa in ogni città o paesino in cui vado, così come in Italia. […] Ho vissuto anche in Irlanda e attualmente vivo in Australia. E grazie a questi giri posso dire che la Francia per me è una seconda casa. È quella più simile all’Italia ». (Serena, catégorie 4, n°7)

Les choix de la France et de l’Italie ne sont pas dus au hasard.

Le désir d’un séjour en Italie est fortement motivé par une envie d’italianité, la plupart du temps liée aux études italiennes. Une grande majorité des étudiants interrogés, bien que satisfaits de leur destination d’accueil, expriment le sentiment ne pas avoir vraiment eu de choix à faire, comme si ce dernier s’était imposé à eux au vu de leur domaine d’études. Pour Sophie (catégorie 3, n°8), étudiante en LEA anglais/italien, l’essentiel était de parler italien.

Les étudiants italiens, à l’inverse, semblent s’être orientés vers la France par amour de la langue française et une envie d’approcher d’un peu plus près ce pays si apprécié mondialement. Pour Alessia (catégorie 4, n°1), il s’agissait d’un choix du cœur :

49 « Notre amour, c'est notre maison, nos pieds peuvent la quitter, mais nos cœurs, jamais. » (notre trad. de

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«Il mio cuore mi ha detto “Parigi” e io ho annuito. Ho sempre sognato di visitare la Francia, e Parigi in modo particolare. Tutto in terra francofona mi affascinava: i paesaggi, la natura, i musei, gli edifici, il cibo, la lingua. La lingua, soprattutto. Quei suoni così dolci e musicali, una melodiosa chanson d'amour che permea ogni sillaba e pare avvolgere anche il discorso più cacofonico in un'aria maestosa. »

Les travaux d’Elisabeth Murphy-Lejeune nous éclairent sur ce point. Elle introduit le concept de « capital mobilité »50. Les expériences antérieures conjuguées à l’histoire familiale et au goût personnel du voyage constituent ce capital. Aujourd’hui, ce capital peut être un atout à bien des égards, nous le verrons (recherche d’un emploi, capacité d’adaptation, ouverture d’esprit). Le « capital mobilité » est, en d’autres termes, la capacité (intellectuelle et matérielle) de ces jeunes à effectuer des mobilités. Même si, dans le cadre de notre étude, nous ne traitons que les mobilités Erasmus en tant que mobilité d’étude, notons toutefois que l’on en observe de différentes sortes. Elles peuvent être d’ordre touristique, professionnel ou de stage, avoir des visées formatrices ou être une expatriation ou un exil.

Une mobilité étudiante est souvent conseillée par les proches, nous l’avons vu. Cependant, dans une même famille, avec le même vécu familial, les répercutions ne sont pas forcément les mêmes. La personnalité est un signe de démarcation familiale, sociale. En ce sens, au-delà du fait que c’est une expérience personnelle, Erasmus est aussi un pari personnel. Marine (catégorie 1, n°4) évoque sa mobilité comme « un petit défi personnel ». Un défi qui s’inscrit dans l’histoire de la vie de l’étudiant puisque ce séjour est empreint des expériences (ou au contraire du manque des expériences) passées et influera à son tour sur les voyages futurs, comme si Erasmus était un tatouage que l’étudiant garderait à vie. Cette dualité entre passé et futur est le propre de l’exil. Emilie (catégorie 3 n°2) a Lecce « dans la peau : les personnes qui n’ont pas fait Erasmus ne peuvent pas comprendre ». Emile exprime, de façon quelque peu détournée, la sensation d’avoir eu deux vies. L’une avant et l’autre après Erasmus.

Stefania a – pour sa part – réalisé lors de son séjour à quel point les voyages ouvraient l’esprit et cultivaient le cosmopolitisme.

« L’Erasmus mi ha dato la possibilità di conoscere tantissime persone, e di visitare posti magari poco conosciuti ai più. Mi ha resa più indipendente e più sicura dei miei mezzi e delle mie capacità, più sicura negli spostamenti e nel viaggiare. » (Stefania, catégorie 4, n°8)

50 MURPHY-LEJEUNE Elizabeth, Mobilité internationale et adaptation interculturelle : les étudiants

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Cela lui a aussi – vraisemblablement – donné plus d’aisance. Elle a ainsi découvert que – selon elle – les jeunes italiens sont moins indépendants, avant Erasmus, que leurs homologues d’Europe de l’Est. Bien qu’elle ait toujours eu la chance de voyager, elle justifie ce manque de déplacement d’une part par un manque de moyens financiers, mais aussi par une crainte de la part des parents de laisser leurs enfants partir seuls à la découverte du monde.

Ce besoin d’être constamment en voyage une fois leur mobilité terminée – pour Serena (catégorie 4, n°7) et d’autres – ne serait-il pas lié à un besoin de fuir une éventuelle tristesse lors du retour sur la terre d’origine ? Comment certains parviennent-ils à lutter contre ce phénomène ?

Dans le document Erasmus France/Italie : une forme d'exil ? (Page 44-47)