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L’impact d’Erasmus sur le marché du travail et la « fuite des cerveaux »

Dans le document Erasmus France/Italie : une forme d'exil ? (Page 50-54)

La lettre "Figlio mio, lascia questo Paese" 53 écrite par Pier Luigi Celli à son fils, alors qu’il était directeur général de l’Université LUISS54 de Rome, a suscité des débats assez

virulents lors de sa parution en 2009. Cette lettre devient le premier indicateur d’un phénomène qui était alors en train de se répandre en Italie. Les jeunes italiens diplômés commencent dès lors à être encouragés, par leur propre environnement ou par une exigence intime à partir. On les pousse à émigrer puisqu’il s’agirait pour eux de quitter l’Italie. Bien que souvent issus de régions productives, les jeunes se doivent de les quitter le plus souvent pour une métropole. Les étudiants Erasmus sont en quelque sorte des nomades cosmopolites face au phénomène dit de « la fuite des cerveaux ». Ils sont à la fois des ambassadeurs de leur(s) culture(s) d’origine, mais ils pourront aussi – en cas de départ prolongé de leur pays d’origine – devenir ambassadeurs de la nouvelle culture qu’ils ont découvert lors de leur mobilité. Se pose en effet à eux un dilemme d’ordre moral : fuir leur terre de naissance ou rester et résister ?

Bien que cette réalité soit plus prégnante en Italie, elle l’est de plus en plus en France aussi. Les deux visions s’opposent principalement en France tandis qu’en Italie les avis semblent plus tranchés.

Notre société, à l’échelle mondiale et européenne, est de plus en plus vieillissante. Cela pourrait être un élément positif. Or, force est de constater que l’on passe de moins en moins le relais : les retraités ne sont pas remplacés. En mars 201855, le taux de chômage chez les jeunes de moins de 25 ans était de 15,6 % dans l’Union Européenne (contre 17,3% un an auparavant) :

− 21,5 % des jeunes sont au chômage en France (elle atteint la sixième position des pays les plus touchés)

− contre un taux de 31,7 % en Italie, qui arrive en troisième position juste après la Grèce et l’Espagne.

Les mobilités Erasmus peuvent être un bon moyen de lutter contre le chômage. On constate en effet un taux de chômage inférieur chez les jeunes ayant effectué une mobilité

53 CELLI Pier Luigi, «Figlio mio, lascia questo Paese», la repubblica [en ligne]. [30/11/09] [consulté le

17/03/18] Disponible sur : http://www.repubblica.it/2009/11/sezioni/scuola_e_universita/servizi/celli- lettera/celli-lettera/celli-lettera.html?refresh_ce

54 Acronyme de Libera Università Internazionale degli Studi Sociali.

55 EUROSTAT – Communiqué de presse. Le taux de chômage à 8,5% dans la zone euro À 7,1% dans l'UE28. [en

ligne]. [02/05/18] [Consulté le 04/05/18] Disponible sur : http://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/8853193/3- 02052018-AP-FR.pdf/5223c083-3558-4637-8696-ddec87b1b65d

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étudiante comparé aux étudiants sédentaires. Le graphique présenté en annexe 256 illustre sans équivoque les retombées positive d’un séjour à l’étranger, pour les étudiants français du moins, sur la possibilité d’obtention d’un emploi.

Au niveau européen, leur taux de chômage est inférieur de 23% cinq ans après l'obtention de leur diplôme. Une mobilité étudiante est valorisante pour les jeunes. En parvenant à trouver un emploi plus rapidement que les étudiants sédentaires, ils constatent un retour sur investissement concret. C’est en connaissance de cause que certains parents sont prêts à effectuer – pour la plupart d’entre eux – un effort financier conséquent. Il en va de l’avenir de leur enfant.

Sara (catégorie 4, n°6), après avoir participé au programme européen durant l’année universitaire 2012-2013, est rentrée en Italie pour finalement décider de revenir dans l’Hexagone afin de terminer ses études. Aujourd’hui doctorante, elle a obtenu un poste pour enseigner les sciences du langage. Elle ne semble (pour l’instant) pas décidée à retourner en Italie, et admet qu’Erasmus a « déterminé [sa] vie » puisqu’il l’a conduite à s’expatrier.

L’expérience Erasmus peut être une première porte de sortie vers un avenir meilleur. Il serait inutile d’insister à nouveau sur les bienfaits d’une mobilité étudiante (entre progrès en langues et ouverture d’esprit, notamment), mais arrêtons-nous un instant pour voir dans quelle mesure il peut s’agir d’une grande plus-value lors d’une recherche d’emploi.

Les universités tentent de soigner l’accueil des étudiants qu’elles reçoivent. Un étudiant bien reçu durant sa mobilité pourrait être un futur résident (donc un futur travailleur) de ce pays d’accueil. Les universités qui attirent le plus d’étudiants sont en très grande majorité situées dans les capitales57. Les universités apparaissent comme un facteur essentiel de la structuration du territoire. L’enseignement supérieur et la recherche jouent un rôle important dans le développement économique régional comme dans la politique d’aménagement du territoire, notamment dans les villes universitaires.

Bien que les situations socio-économiques de la France et de l’Italie ne soient pas complétement comparables, les jeunes sont conscients des futures retombées positives d’un séjour de formation à l’étranger. Nous l’avons vu, pour beaucoup ce dernier est motivé par une envie d’entrer en contact avec une autre culture et de progresser tant sur le plan personnel qu’universitaire. Pour d’autres, c’est dans une optique un peu plus lointaine qu’ils l’abordent

56 Annexe 2 : évolution du taux de chômage durant les trois premières années de vie active d’un ex-étudiant

Erasmus français.

57 Voir en annexe 3 le document interne de l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 sur l’évolution du nombre

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puisque 85%58 d’entre eux (à l’échelle européenne) sont partis dans l’optique d’améliorer leur employabilité à l’étranger. C’est-à-dire ? Que recherche un employeur en embauchant un ex étudiants Erasmus plutôt qu’un jeune sédentaire ?

Une étude menée en 201359 a montré que 48% des jeunes Italiens diplômés admettaient alors vouloir entreprendre un parcours professionnel à l’étranger et, parmi ces jeunes, la grande majorité (74%) avait eu l’occasion de participer à un programme européen, Erasmus en tête. Les jeunes de la « classe moyenne » utilisent cette mobilité géographique à des fins de mobilité sociale. Une mobilité étudiante à l’étranger est valorisante pour eux. Elle permet d’acquérir : une meilleure pratique des langues étrangères, de la flexibilité, de l’ouverture d’esprit, des capacités d’adaptation aux différences culturelles.

La majorité du public italien que j’ai interrogé exprime ses craintes quant à la possibilité de trouver un emploi en Italie, au vu de la conjoncture du marché du travail depuis la crise économique. Le taux de chômage en Italie est toujours très supérieur à la moyenne européenne. Si l’on s’intéresse par exemple aux chiffres du chômage chez les jeunes (âgés de

58 COMMISSION EUROPEENNE. Communiqué de Presse. [en ligne]. 22/09/14. [consulté le 24/03/18].

Disponible sur : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-1025_fr.htm

59 DAINA Chiara, « Erasmus, si parte per studiare. E si finisce cercando lavoro all’estero». Il fatto quotidiano

[en ligne]. 15/11/14. [consulté le 30/04/18]. Disponible sur: https://www.ilfattoquotidiano.it/2014/11/15/erasmus-si-parte-per-studiare-alluniversita-si-finisce-per-cercare- allestero/1209718/

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15 à 24 ans) du mois de janvier 2018 on observe un tôt de 31,5%60 tandis que pour la même tranche d’âge la moyenne pour la zone euro était 17,7%.

Ainsi, les jeunes que j’ai interviewés peu de temps après la publication de ces données pensent majoritairement s’orienter vers la France pour une recherche d’emploi (bien que l’on constate une amélioration grâce aux contrats à durée déterminée).

« Amo l'Italia ma purtroppo in Italia non c'è lavoro quindi [penso di lavorare] probabilmente anche all'estero e soprattutto a Parigi. » (Alessia, catégorie 4, n°1).

Pour les Italiens, une mobilité Erasmus peut être – voire devrait être – une échappatoire face à un avenir social-économique « peu stable ». Nous pouvons toutefois émettre l’hypothèse selon laquelle le développement du numérique pourrait créer des emplois aussi bien en France qu’en Italie. D’ici quelques années, l’Union Européenne pourra – on l’imagine – valoriser le grand potentiel de compétences dont elle dispose dans ce domaine. Mais ce sujet n’est encore qu’à l’état de prémisse.

Nous avons évoqué précédemment l’idée selon laquelle deux choix se présentaient aux jeunes français : partir ou rester en France. Quels éléments font pencher la balance ? Comment effectuer ce choix, parfois difficile ?

Comme pour les jeunes Italiens, quitter l’Hexagone peut aussi être un atout pour les jeunes : pour aller voir plus loin. Partir leur permet d’élargir leurs horizons en quittant la France pendant une période donnée, avant de la retrouver. Elargir ses horizons ne signifie pas nécessairement partir loin.

« Jeunes de France, barrez-vous, sinon pour vous du moins pour vos enfants. Votre salut est, littéralement, ailleurs. Non pas dans la fuite, en quittant un pays dont les perspectives économiques sont moroses, mais en vue de vous désaltérer et de vous réinventer pour revenir riches d’expériences nouvelles, imprégnés de la créativité et de l’enthousiasme qui fleurissent aujourd’hui aux quatre coins du monde, ayant fait les rencontres qui vous changeront avant que vous n’en fassiez profiter la France. »61

60 Redazione Economia. La disoccupazione risale all’11,1%, ma diminuisce quella giovanile (grazie ai contratti

a tempo determinato).Il corriere. [en ligne][1/03/18] [consulté le 29/04/18]. Disponible sur:

http://www.corriere.it/economia/18_marzo_01/disoccupazione-risale-all-111percento-ma-diminuisce-quella- giovanile-grazie-contratti-tempo-determinato-64647f58-1d30-11e8-816c-92c77108475f.shtml

61 MARQUARDT Félix ; MOKLESS ; MOULOUD Achour, « Jeunes de France, votre salut

est ailleurs : barrez-vous ! ». Libération [en ligne]. 03/ 09/12. [consulté le 03/01/18]. Disponible sur : http://www.liberation.fr/societe/2012/09/03/jeunes-de-france-votre-salut-est-ailleurs-barrez-vous_843642

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A l’inverse, des voix s’élèvent également pour inciter les jeunes à rester dans le pays. En effet, alors que certains seraient tentés de se demander si pour réussir il faut quitter la France, la réalité semble toute autre, si ce n’est dans l’immédiat dans les années à venir. La fierté nationale que nous avons évoquée peut aussi s’appliquer au marché du travail, de plus en plus mondialisé.

« La France n'est pas morte. Le rayonnement français à l'international représente un potentiel de croissance incroyable. La francophonie, c'est près de 250 millions d'individus, partout dans le monde, qui partagent notre culture ou notre langue, et plus de 700 millions en 2050. Ce sont là des marchés à conquérir. »62

Les jeunes italiens mesurent bien – eux aussi – le fait que la francophonie est un avantage, comparé à l’anglais, plus commun. Ambra (catégorie 4, n°2), qui souhaite travailler auprès d’une Ambassade, ou dans une organisation internationale, justifie son choix d’une mobilité en France :

« Ciò che ha fatto pendere la bilancia a favore di Strasburgo è stato il requisito linguistico: in Francia, si richiede una conoscenza della lingua a livello B2 certificato, mentre all’Università di Bruxelles le lezioni sono in inglese. Pensando di avere maggiori chances di partire (tutti conoscono l’inglese, ma in pochi hanno un B2 di francese), ho optato per Strasburgo.»

Peut-on dire qu’en faisant ce choix cette jeune fille a voulu donner une dimension plus européenne à son séjour ? Qu’est-ce qu’être européen ? Nait-on européen ou devient-on citoyen européen au contact des autres ? Nous le verrons dans le dernier volet de ce travail.

Dans le document Erasmus France/Italie : une forme d'exil ? (Page 50-54)