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Chapitre 10- Discussion et perspectives

10.2. Retour sur le dispositif de recherche

Le dispositif mis en œuvre repose sur trois principes sur lesquels nous allons revenir

successivement. Nous verrons d’abord la spécificité des CUMA tant vis à vis des différentes

formes de délégation de travail que du travail individuel. Nous reviendrons ensuite sur les

hypothèses qui sous tendent les choix d’échantillonnage pour poursuivre en évaluant le

caractère local de nos résultats. Nous terminerons cette partie en examinant l’intérêt du

chantier agricole comme objet de recherche.

10.2.1. Les trois principes du dispositif de recherche

Le dispositif de recherche que nous avons mis en œuvre s’est appuyé sur trois principes :

- les situations d’enquêtes sont uniquement centrées sur des CUMA et leurs

exploitations adhérentes,

- les enquêtes sont réalisées dans un échantillon construit dans un souci de

diversité,

- le travail repose sur l’étude des chantiers de récolte parce qu’ils représentent les

situations offrant les conditions les plus favorables à l’existence de coordination

entre agriculteurs.

10.2.2. La CUMA comme unique situation d’étude

Le dispositif que nous avons créé est spécifiquement centré sur les CUMA. Volontairement,

nous avons voulu confronter nos résultats d’enquêtes à des modèles conceptuels plutôt que de

mener une comparaison entre exploitations ayant choisies des formes de délégation du travail

différentes. Trois raisons ont conditionné ce choix.

- Les modèles conceptuels que nous avons développés s’appuient sur une bonne

représentativité de situations de polyculture élevage dans l’Est de la France. Ils

ont été proposés à partir de travaux menés depuis plusieurs années spécifiquement

sur ces questions. Ils sont issus de l’itération et de la comparaison de nombreuses

études de cas réalisées dans différents secteurs régionaux.

- Le choix d’une forme de travail relève de déterminants propres à chacune. Les

déterminants qui entrent en jeu bien souvent ne sont pas que techniques et

économiques et font appel à des conceptions différentes du métier d’agriculteur et

des façons de l’exercer. Les modèles auxquels se référent les agriculteurs ne sont

pas identiques et rendent la comparaison délicate et discutable. Les questions

soulevées sont du même ordre que lors d’une comparaison entre agriculture

conventionnelle et agriculture biologique. Les attentes et les objectifs sont trop

dissemblables pour qu’une comparaison des modes de fonctionnement puisse être

soutenue. Par exemple, une des CUMA est constituée d’exploitations qui

représentent l’archétype des exploitations individuelles entrepreneuriales. De

forme sociétaire, elles ont des tailles et des conditions technico-économiques

suffisantes pour pouvoir envisager réaliser les chantiers de récolte en individuel.

Or ces exploitations ont fait, de longue date, le choix de la CUMA. Ce n’est donc

pas sur des critères uniquement économiques que repose leur choix d’être en

CUMA mais bien en référence à un modèle collectif. Avec quelles exploitations

ayant choisi le travail individuel ou le recours à l’entreprise aurions nous pu les

comparer ?

- D’autre part, la CUMA présente le double avantage d’être un collectif de travail et

d’avoir une forme définie. Le collectif est formalisé. Les membres en sont connus

sans avoir à mener un travail d’identification des réseaux sociaux. C’est pour la

recherche, une différence majeure avec les formes d’entraide de structure

beaucoup plus informelle.

La CUMA comme situation d’agriculture de groupe comparée à l’Entreprise de Travaux

Agricoles ou aux formes individuelles de travail génère plus de souplesse dans la conduite des

activités. Elle offre une plus grande maîtrise des dates de récolte et surtout favorise un

étalement du chantier. Ce que ne permet pas le recours à l’ETA (Hauprich, 2004).

De ce fait, les exploitants sont mobilisés sur du travail en retour sur une période plus longue

mais bénéficient à l’intérieur du chantier de plages de temps libre pouvant être consacrées aux

activités concurrentes. Les activités peuvent être menées en parallèle et de ce fait réalisées

plus facilement en conditions optimales. En situation individuelle les périodes de chantier sont

plus courtes mais consacrées exclusivement au chantier. Les activités sont menées

successivement. La probabilité de débuter ou terminer une activité en conditions non

optimales est donc plus forte.

Notre travail nous a permis de repérer des choix faits par les agriculteurs, que nous avons relié

à l’appartenance à une CUMA. La diversification de l’assolement et la conduite de cultures

marginales en est un exemple. Une question dont nous n’avons pas la réponse est le poids de

la CUMA comme déterminant du choix. Comment s’inscrivent ces choix dans les stratégies

des agriculteurs ? La mise en place de cultures marginales découle de l’appartenance à la

CUMA et des marges de manœuvre qu’elle apporte ou l’adhésion à la CUMA résulte d’une

envie de l’agriculteur de diversifier à terme son assolement et, pour ce faire, d’un besoin de

plus de souplesse dans le fonctionnement de son exploitation ? Loin de pouvoir répondre à

cette question nous ne pouvons que conclure que la CUMA offre des conditions favorables à

l’expression du projet de l’agriculteur.

10.2.3. Un échantillon divers et local

Notre échantillon de six CUMA est construit sur trois critères (l’ancienneté de la CUMA,

l’existence de plusieurs chantiers de récolte, la présence de plusieurs agriculteurs dans la

même commune). Mais ils laissent la possibilité de sélectionner une diversité de situations.

Pour ce faire nous avons émis des hypothèses liées au poids des caractéristiques du territoire

ou du collectif. Ainsi peut être regardé si l’absence de remembrement apporte un

fonctionnement particulier à la CUMA. De la même façon, la présence d’un salarié

créée-t’elle des modifications importantes dans la manière dont le groupe fonctionne ? Une autre

particularité de notre travail est son caractère local (département des Vosges uniquement).

Le caractère non remembré des territoires d’action des CUMA se traduit par une

augmentation des déplacements entre parcelles (quantités, kilomètres parcourus, temps passé)

et une multitude de parcelles de petites tailles. La question de l’accessibilité des parcelles

n’est pas posée dans la mesure où la CUMA n’a pas d’exigence sur la qualité des accès24. Les

contraintes afférentes à l’absence de remembrement sont mutualisées par le collectif. Elles ne

pèsent pas outre mesure sur le fonctionnement de la CUMA. Les CUMA concernées ne

présentent donc pas de spécificités propres associables à l’absence de remembrement.

24 Sur les CUMA suivies en situations non remembrées, toutes les parcelles sont accessibles. Seules deux n’étaient pas atteignables par la

CUMA et par l’ETA mobilisée sur un chantier de moisson. C’est un voisin qui est intervenu.

La présence d’un salarié qu’il soit permanent ou temporaire n’entraîne pas, non plus, de

spécificité au fonctionnement des CUMA. Il apporte une plus value en matière de

compétences territoriales du groupe. Le grand nombre de tâches confiées au salarié lui permet

de développer une connaissance fine des territoires d’action.

Conduit dans le territoire des Vosges uniquement, notre travail a de fait un caractère local. La

spécificité du mouvement CUMA vosgien est liée aux caractéristiques générales de

l’agriculture du département. L’agriculture vosgienne reste centrée sur la production de

matières premières. L’entretien des structures et des aménagements connexes, la

considération de l’agriculteur comme acteur environnemental, l’implication dans le

développement rural, la valorisation de circuits courts, l’ouverture des exploitations et le

partage d’expériences restent des thématiques faiblement prises en charge par la profession25.

Le mouvement CUMA est à l’image du mouvement professionnel départemental et n’est pas

moteur de l’évolution de l’agriculture vosgienne. Le mouvement CUMA ne constitue pas à

l’échelle départementale, un réseau d’essais et d’innovations tel que cela peut l’être dans

d’autres départements. Il en découle un mouvement CUMA :

- focalisé sur la réalisation des fonctions techniques de production,

- avec un rapport compétences réservées, compétences partagées peu favorable aux

CUMA.

On ne trouve pas dans le département de dynamique liée à la transformation des produits, au

partage de l’emploi, à la prise en charge de préoccupations environnementales (au-delà de ce

qui relèvera à court terme de la réglementation), caractéristiques importantes du mouvement

CUMA en France26.

Il est difficile d’imaginer le développement de CUMA intégrales, le recours aux achats de

fournitures en commun ou la co-construction d’assolement dans ces conditions (Delacour,

2003). L’absence de cultures à haute valeur ajoutée conditionnées par des contrats industriels

n’aide pas à l’émergence d’une réflexion commune sur les usages des territoires des

exploitations (Aubry, 2000 ; Poinsot et Faure, 2001 ; Le Bail, 2005).

25 La Chambre d’Agriculture des Vosges vient d’embaucher son premier chef de service à compétences en développement rural avec pour

mission de diriger les services à compétences agricoles. Tournant de la politique agricole départementale ou choix stratégique pour assurer la

pérennité financière de la structure ?

10.2.4. Le chantier agricole, arène de la décision collective

Nous avons fait le pari de centrer notre dispositif de recherche sur l’étude des chantiers de

récolte. Parce qu’ils représentent la situation dans laquelle l’engagement collectif revête sa

forme concrète, parce qu’ils sont les lieux et les occasions, les arènes dans lesquelles la

coordination s’envisage (Fixmer et Brassac, 2004), parce qu’ils ont une cohérence technique,

parce qu’ils ont un caractère forain et une unicité (Foulon et al., 1999), parce qu’ils

constituent une illustration concrète de gestion du temps dans des espaces, nous avons fait du

chantier agricole notre objet de recherche (partie 2.2).

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale à aujourd’hui le travail n’a jamais été absent de la

recherche en agriculture (Piel-Desruisseau, 1948 ; Attonaty et al., 1987 ; Francart et

Marechal, 1996 ; Dedieu et al., 1999). Il fait ponctuellement l’objet d’études fines, de

développement de méthodes. Parallèlement s’est initié à la croisée entre géographie et

agronomie (Deffontaines, 1998), des recherches sur les composantes spatiales de l’agriculture.

Mais comme le fait remarquer Bonin (2003), le croisement des deux est plus rare ; sans doute

parce que plus complexe. Le chantier agricole par son obligation de gérer du temps et de

l’espace est un objet qui peut permettre de faire des avancées méthodologiques dans ce

domaine.

10.3. Apports disciplinaires et intérêts de la