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Au cours de nos enquêtes dans les CUMA nous avons été confrontés à des collectifs dont les

mécanismes de coordination et les logiques de fonctionnement sont extrêmement variables.

Ces aspects ne constituent pas le cœur de notre travail mais il nous semble intéressant d’en

proposer quelques traits. Le développement des CUMA et les activités qui s’y déroulent y

sont liées. Nous proposons aussi de porter un regard sur le partage des tâches au sein du

collectif qui influe sur la possibilité de développer des apprentissages territoriaux au sein de la

CUMA.

9.1. Mécanismes de coordination et logiques de

fonctionnement

Inspirés des travaux de Mintzberg (1982), les structures de développement agricole proposent

plusieurs grilles d’analyse des mécanismes de coordination en agriculture de groupe. Cinq

mécanismes sont identifiés (tableau 91).

Le mécanisme de coordination le plus courant dans les CUMA étudiées est l’ajustement

mutuel. Il repose sur une communication informelle entre les membres du groupe. Facilement

concevable dans des collectifs de petite taille, il est aussi présent dans les CUMA dont le

nombre d’adhérents est plus important. Le degré de communication n’est simplement pas

équivalent entre tous les membres du groupe. Ce qui fait ressortir la notion de noyau dur

d’une CUMA qui par son implication a plus de poids dans la coordination du collectif.

La supervision directe est aussi un mécanisme de coordination répandu. Une personne est

responsable et organise le travail des autres. L’efficacité des CUMA concernées est

équivalente à celle des autres groupes. Cependant les tensions entre les membres sont fortes et

les seuls liens qui les unissent sont parfois indirects via le président de la CUMA. La

disparition du porteur du groupe peut se traduire à terme par une augmentation des

investissements individuels, un désengagement progressif du collectif, une absence de travail

en commun. La CUMA est alors perçue par ses membres comme un prestataire de service

équivalent à une entreprise de travaux agricoles.

Tableau 91- mécanismes de coordination décrits par Mintzberg

et repris par les structures de développement

mécanismes de coordination selon :

Mintzberg (1982) Michel

(2001) FNCUMA/Cedag

nbre de

CUMA

concernées

dans

l’échantillon

ajustement mutuel coordination par

ajustement mutuel

coordination par

ajustement 3 CUMA

supervision directe coordination simple 2 CUMA

standardisation des

procédés

coordination

standardisée

coordination par

la standardisation 1 CUMA

standardisation des

résultats

coordination

divisionnalisée

coordination par le

résultat

standardisation des

qualifications coordination par qualification

Le mécanisme de coordination par standardisation des procédés est plus rare. Une seule

CUMA de notre échantillon base sa coordination en spécifiant fortement le travail à réaliser.

Les deux autres mécanismes décrits par Mintzberg sont absents de l’échantillon.

Associée à cette première grille, la FNCUMA et le Cedag proposent une analyse des logiques

de fonctionnement (FNCUMA et CEDAG). Elle est basée sur l’identification de quatre types :

- la fusion : la CUMA est un prolongement de l’exploitation ;

- la distinction : la CUMA est un prestataire de service ;

- le contrat implicite : le groupe ne comprend pas de règles écrites ;

- et le contrat explicite : les règles du groupe sont écrites.

Les logiques basées sur un contrat implicite et un contrat explicite représentent des pôles entre

lesquels se positionnent la plupart des collectifs. Le groupe ne se connaît pas d’instances de

régulation écrites (à l’exception du règlement intérieur type et statutaire adopté par la CUMA

à sa création mais qui n’est jamais convoqué par la suite). Les instances de régulation sont

implicites. Le fonctionnement du groupe ne repose par forcément sur un leader dont le

remplacement serait problématique.

La fusion se retrouve dans une CUMA proche d’une situation de CUMA intégrale. Elle se

concrétise jusque dans l’expression d’un mécanisme de péréquation (compensation par le

groupe d’une perte subie par l’un des membres lors de mauvaises conditions de récoltes liées

au collectif). Ce système est surtout envisagé pour la fenaison mais n’a encore jamais été

utilisé.

La distinction est une logique de fonctionnement rencontrée dans une CUMA dont l’entente

au sein du groupe est très mauvaise. La CUMA semble ne plus être pérennisée que par

l’existence d’engagements dans des matériels. Les notions de collectif et d’implication

individuelle en ont complètement disparu.

Enfin, une CUMA présente clairement une logique de fonctionnement sur contrat explicite.

Toutes les activités du groupes sont régies par des règlements détaillés et par un recours à

l’écrit très important. Des sanctions en cas de manquement au règlement sont prévues.

9.2. Le partage des tâches lié à une spécialisation

du travail

Dans toutes les CUMA suivies, les modalités de partage des tâches sont identiques et reposent

sur une spécialisation du travail.

Allaire et al. (2002) développent une analyse des activités professionnelles et des

compétences qui peuvent être portées par un collectif. Ils distinguent ce qui est du domaine

des compétences réservées (ce qui relève de l’exploitation) de ce qui est délégué à la CUMA

et qui appartient au domaine des compétences partagées. D’une CUMA à l’autre, une même

compétence peut avoir un statut différent. Par exemple, la compétence technique d’évaluation

de la maturité d’une céréale peut être assumée par la CUMA. Elle est donc partagée. Mais elle

peut aussi être du ressort de l’exploitant. Elle reste alors une compétence réservée.

Dans les CUMA, chaque tâche portée par le collectif, est affectée à des opérateurs qui restent

les mêmes d’une année à l’autre. Les rôles de chacun sont déterminés et connus par tous à

l’avance. On distingue deux situations :

- des tâches affectées à des opérateurs spécifiques,

- des tâches qui relèvent d’opérateurs polyvalents.

Conduire des machines complexes et fragiles (ensileuse, moissonneuse) sont des tâches

affectées à des opérateurs spécifiques. En plus de la conduite, ils ont la charge de l’entretien

quotidien, annuel et des réparations de la machine. Dans certaines CUMA des tâches moins

exigeantes en termes de compétences sont aussi affectées spécifiquement à certains opérateurs

(conduite de la presse, semis du maïs…).

Les opérateurs polyvalents ne sont pas concernés par une tâche unique. Ils sont utilisés dans la

CUMA selon les besoins mais ne sont jamais amenés à réaliser les tâches affectées aux

opérateurs spécifiques. Le gros de leur travail au sein du collectif est la conduite des bennes.

Ces opérateurs rassemblent des adhérents mais aussi toute la cohorte des opérateurs sans

statuts qui interviennent dans les exploitations (Filippi et Nicourt, 1988) : retraités, enfants,

voisins, amis…

Ainsi l’analyse d’Allaire et al. (2002) peut aisément être transposée au sein même du collectif

comme le font Dedieu et al. (1999) dans les exploitations. Dans la CUMA des compétences

sont réservées. Elles sont attribuées à des personnes spécifiques. D’autres sont partagées.

Elles sont affectées indifféremment à un pool de personnes. Cette organisation des

compétences se retrouve dans toutes les CUMA quelque soit leur mécanisme de coordination

et leur logique de fonctionnement.

La spécialisation des tâches en œuvre dans les CUMA est un moyen d’y créer de véritables

compétences territoriales. Elle permet aux opérateurs ayant la charge d’opérations techniques

qui demandent de la technicité et une attention continue aux caractéristiques spatiales locales

de s’adapter au territoire en en développant une maîtrise cognitive. La répétition au fil des ans

d’une tâche identique dans les mêmes lieux contribue, comme le facteur pour sa tournée

(Demazière et Mercier, 2003), à développer, sur le territoire d’action, des pratiques optimales

au regard de l’activité.