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Les informations construites par les différentes formes d’entretiens confirment ou infirment-elles les hypothèses postulées dans ce mémoire ? Pour le savoir, il faut revenir aux questions de recherche.

Concernant la première question de recherche

Au travers de la première question de recherche, je voulais mettre au jour les systèmes de qualification mobilisés par le personnel éducatif d’un foyer, jugeant les adolescentes utilisant des modes d’expression physiquement violents. Je faisais l’hypothèse que les adolescentes physiquement violentes étaient jugées à travers des systèmes de qualification liés au genre. Au vu des données, qu’en est-il réellement ?

Des différences entre les garçons et les filles

Aux yeux des professionnel·le·s, il existe des différences objectives entre les filles et les garçons. Les activités proposées dans les foyers non-mixtes sont différentes, et les difficultés des jeunes sont en relation avec leur sexe. Les jeunes filles sont vues comme « de jeunes femmes en devenir », les questions liées à leur identité sexuelle, leur rapport au corps et à sa protection sont fortement présentes. Les garçons, quant à eux, ont une identité sexuelle moins fragile, seraient moins sujets à subir les actes en lien avec leur identité sexuelle, sont plus volontiers dirigés vers des activités physiques, vers des exutoires de tensions.

Au niveau de l’équipe éducative, un homme ne travaillerait pas de la même façon avec un garçon ou une fille. Face à des aspects pratiques (fouille, entrée ponctuelle dans une chambre), contrairement à sa collègue féminine, l’éducateur doit maintenir une certaine distance avec le groupe des filles pour respecter leur intimité féminine, maintenir une relation claire entre les sexes.

De plus, pour certaines personnes enquêtées, l’architecture des bâtiments explique la non-mixité. La structure actuelle du foyer ne peut pas accueillir des garçons avec toute la distance nécessaire à la protection des filles, ayant pour certaines subi des abus sexuels. La non-mixité, plus précisément, l’éloignement des sexes sert au maintien d’un cadre sécurisant pour les filles, reste un moyen de les protéger du masculin.

Des spécificités dans la prise en charge de la violence

Les professionnel·le·s reconnaissent des différences entre les filles et les garçons.

Qu’en est-il de la prise en charge de la violence chez les deux sexes ? Pour certain·e·s, la spécificité de la prise en charge de la violence chez les filles n’existe pas. La violence, qu’elle qu’en soit sa forme, est une potentialité pour tous et demande une réponse indifférenciée du sexe de son auteur·e. Les mesures prises à

son encontre doivent être identiques. Pour d’autres, l’expression de la violence féminine n’est pas identique à la masculine et nécessite des réponses différenciées.

Les garçons exprimeraient leur violence majoritairement de manière physique, impulsive. Les filles seraient violentes d’une manière plus détournée, mobilisant des moyens de pression psychologique, retournant souvent cette violence contre elles-mêmes.

Les systèmes de pensée pour qualifier les actes physiquement violents

Les personnes interviewées reconnaissent des spécificités dans la prise en charge de la violence, qu’en est-il de la violence physique ? En m’intéressant au programme pédagogique construit et sollicité par l’équipe éducative pour guider leurs actions au quotidien, j’ai décelé la présence de deux logiques dominantes et constituantes d’un tel cadre de référence : les logiques domestique et civique. Aux yeux des professionnel·le·s, et de la logique civique qu’ils traversent, la violence physique de Ludivine a mis en danger le groupe d’adolescentes, entité collective à protéger. Néanmoins, il s’avère que c’est surtout la logique domestique qui juge le plus fortement la violence physique de la jeune fille. Dans ce dernier état de pensée, le genre des individus participe à leur état de qualification. Les filles et les garçons sont différemment ordrés. Toutefois, au-delà d’une différence notable apportée par les professionnel·le·s aux extraits sexués des entretiens individuels (violence physique facilement relevée dans le cas de Bob, défaillance relationnelle « mère-fille » dans le cas de Juliette), il est important de souligner un autre aspect de leur qualification : dans les deux cas les jeunes gens sont traduits par les représentations des personnes interrogées comme de petits êtres, victimes du système éducatif, victimes de leurs familles avant tout.

Retour à l’hypothèse

En m’appuyant sur les éléments qui précèdent, je peux dire que les membres de l’équipe éducative, dans leur grande majorité, reconnaissent des différences notables dans la prise en charge des garçons et des filles, qui plus est dans leurs expressions violentes. Toutefois, je ne peux valider, d’une façon claire et satisfaisante, la première hypothèse forte de ce travail, ni ne peux avancer le fait que les adolescentes physiquement violentes sont jugées au travers de systèmes de qualification liés au genre. En effet, au-delà du fait que dans la logique domestique, principalement mobilisée par l’équipe éducative pour qualifier les actes physiquement violents, le genre des individus participe à leur état de qualification, il n’est pas possible de dire que les professionnel·le·s qualifient inégalement les auteur·e·s de violence physique : au-delà de l’interprétation sociale de leur sexe, ils sont jugés de manière identique, ce sont de petits êtres qu’il faut traiter indistinctement avec bienveillance. Les individus physiquement violents sont plutôt jugés comme dérangés dans une hiérarchie générationnelle et non dans un ordre de genre.

Concernant la deuxième question de recherche

Au travers de la deuxième question de recherche, j’ai cherché à savoir dans quelle mesure les adolescentes physiquement violentes allaient à l’encontre du principe supérieur commun des systèmes de qualification liés au genre, partagé par l’équipe éducative d’un foyer? Je faisais l’hypothèse qu’aux yeux d’une équipe éducative, les adolescentes physiquement violentes ne sont plus considérées comme adaptées au genre normalement admis comme féminin. Soit leur violence physique est interprétée comme appartenant au genre masculin, soit elle est jugée comme appartenant à une catégorie pathologique au-delà des genres. Au vu des données, qu’en est-il réellement?

La compréhension de la violence physique féminine

A chaque étape de la recherche, une même tendance est ressortie des représentations des personnes mobilisées : la violence féminine s’exprimerait majoritairement de manière psychologique. Les professionnel·le·s parlent de violence contre soi, aussi contre « ce qu’elles peuvent devenir comme individus dans la société », ou encore de pression psychologique contre autrui. Pour la totalité des membres constituant l’équipe éducative rencontrée, la violence physique de Ludivine s’explique avant tout par ses troubles psychiques. La jeune fille est comprise comme Le cas atypique, l’exception qui confirme la règle d’une violence exclusivement psychologique chez les filles. L’acte physiquement violent est lu par les professionnel·le·s comme un indicateur du dysfonctionnement de la jeune fille, l’inscrivant dans un état pulsionnel, très primaire, éloigné des réalités du quotidien institutionnel. L’équipe éducative comprend et inscrit les attitudes physiquement violentes de Ludivine dans une normalité parallèle à leur quotidien : la pathologie. Ce dernier état permet de comprendre la jeune fille au sein du monde domestique, de l’assimiler à un « animal blessé » succombant à ses pulsions bestiales, auquel il faut avant tout prêter bienveillance.

Pour une des membres de l’équipe éducative, une notion supplémentaire vient se greffer à la pathologie discutée : la masculinisation de la violence physique de Ludivine. Dans l’expression de sa violence, la jeune fille se bat comme un garçon, avec force et détermination. Elle utilise des codes et des attitudes normalement attendues chez un garçon et tout à fait déplacés chez la fille. En dehors du cas de Ludivine, quelques professionnel·le·s reconnaissent tout de même une dimension physique à la violence féminine. A leurs yeux, les jeunes filles adoptent des attitudes masculines, arrivent à être « presque plus violentes que les garçons ». La violence physique féminine paraît exister mais est avant tout vue comme une potentialité masculine, comprise comme une attitude adoptée par les filles pour « donner une image de dure à l’adulte ».

L’état de qualification des individus physiquement violents

Pour les personnes enquêtées, la violence physique féminine peut exister mais seulement dans l’ordre de l’exception. Parfois masculinisée, elle peut aussi refléter, comme pour Ludivine, un état pathologique de la personne qui l’exprime. Ce dernier état de qualification amène l’équipe éducative à se questionner sur le jugement juste à apporter à la situation. Faut-il soigner ou punir Ludivine pour ses actes de violence physique répétés ? Pour certain·e·s membres de l’équipe éducative, l’acte délinquant de Ludivine mérite une punition pénale, elle doit apprendre à respecter les réalités de la loi. Ce même acte est aussi majoritairement interprété comme l’indicateur des difficultés psychologiques de la jeune fille. Plutôt que de la punir, il faut la soigner.

Ainsi, aux yeux des professionnel·le·s, la violence physique de la jeune fille ne remet pas en question la figure harmonieuse de l’ordre naturel véhiculée dans la logique domestique, son état de qualification pathologique explique son dérangement dans l’ordre établi. Le dés-ordre provoqué par ses actes physiquement violents dans le répertoire des objets et des dispositifs s’expliquent par une cause externe à sa volonté : la pathologie. L’équipe éducative perçoit et décode les comportements physiquement violents de la jeune fille au travers des représentations traditionnelles de la déviance féminine : elle désigne Ludivine comme une victime qu’il faut protéger avant tout.

Retour à l’hypothèse

En m’appuyant sur les éléments qui précèdent, je peux dire que les membres de l’équipe éducative, dans leur grande majorité, perçoivent la violence physique féminine comme extra-ordinaire, une a-normalité dans leur quotidien institutionnel féminin. Tout comme la deuxième hypothèse forte de ce travail le sous-entendait, aux yeux de l’équipe éducative, les adolescentes physiquement violentes ne sont plus considérées comme adaptées au genre normalement admis comme féminin.

D’une façon claire et satisfaisante, je peux valider la deuxième hypothèse forte de ce mémoire, avancer le fait que l’équipe éducative interprète la violence physique féminine rencontrée comme dépendant du genre masculin, et qu’elle juge les attitudes physiquement violentes de Ludivine comme appartenant à une catégorie pathologique au-delà des genres.