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INTRODUCTION GENERALE

Chapitre 1. Cancer du sein et maintien en emploi 1 Le cancer du sein

2. Le maintien en emploi 1 Définition

2.5. Retour à l’emploi et cancer du sein : les possibles modèles explicatifs 1 Les modèles conceptuels

Trois modèles conceptuels1 récents, à notre connaissance, ont tenté d’expliquer les rapports entre cancer et emploi (Feuerstein et al., 2010; Mehnert, 2011; Wells et al., 2013).

Le modèle conceptuel développé par Feuerstein et al. (2010) a tenté d’expliquer les différentes issues professionnelles relatives aux patients cancéreux en termes : de retour à l’emploi, de capacité de travail, de rentabilité ou encore de durabilité au travail (Figure 6). Il ne s’agit donc pas d’un modèle spécifique au maintien en emploi des patients. Les catégories de déterminants incluses dans le modèle sont les suivantes : la santé et le bien-être, les symptômes, les capacités fonctionnelles, la demande professionnelle, l’environnement professionnel, les politiques de travail, les procédures professionnelles (comité médical relatif au mi-temps thérapeutique par exemple), les facteurs socioéconomiques et sociodémographiques (Feuerstein et al., 2010). Les auteurs précisent notamment que les relations entre les catégories spécifiées ne sont pas exhaustives (Feuerstein et al., 2010). A ce sujet, une récente revue de la littérature internationale critique ce modèle en précisant qu’il n’intègre pas la personnalité qui pourrait avoir un impact sur les performances au travail ou encore le coping2 qui pourrait jouer un rôle médiateur entre les déficiences provoquées par les traitements du cancer et la demande professionnelle des patients (Sun, Shigaki, & Armer, 2017). Toutefois, Feuerstein et al. (2010) indiquent que malgré l’apparence linéaire du modèle, il est possible que des relations non linéaires (médiations, modérations) existent aussi3.

1 Un modèle conceptuel est un ensemble de concepts liés et agencés de façon rationnelle selon leur pertinence par

rapport à un thème commun. La structure est néanmoins plus souple que celle d’un modèle théorique.

2 « Ensemble des réactions et des stratégies élaborées par les individus pour faire face à des situations

stressantes » (Lazarus, 1966)

La méta-synthèse qualitative de Wells et al. (2013) a abouti à un modèle heuristique (Figure 7), montrant que les relations entre les individus et leur travail sont représentés par quatre éléments principaux que sont : l’identité, le rapport à l’emploi, le contexte familial, et, les performances et l’environnement professionnel. Ces éléments sont corrélés et tiennent chacun une importance cruciale face au diagnostic de cancer. Les implications physiques et psychologiques de la survenue du cancer ont été identifiées comme omniprésentes à tous les niveaux du modèle provoquant alors des changements, des incertitudes et des ajustements en tout ou partie des quatre domaines, et définissant donc le maintien en emploi pour chaque individu. Il s’agit là d’un processus dynamique ; par conséquent, chaque élément du modèle est important et les interrelations peuvent varier selon les individus, voire en fonction du temps pour un même individu. Cela signifie qu’il existe inévitablement un chevauchement entre ces quatre éléments. Ce modèle est intéressant dans la mesure où il propose une première Figure 6. Modèle conceptuel du lien entre Cancer et Travail de Feuerstein et al. (2010)

conceptualisation du rapport entre cancer et travail. Cependant, il ne s’agit pas d’un modèle du maintien en emploi, d’autant plus qu’il ne hiérarchise pas les facteurs psychosociaux comme déterminants du rapport au travail.

Figure 7. Modèle conceptuel de l’expérience : « cancer » VS « travail » (Wells et al., 2013)

Le modèle heuristique proposé par Mehnert (2011), que nous présenterons ci-après dans ce document (Figure 11 ; p. 64), rappelle une conception intégrative et multifactorielle en incluant des facteurs médicaux, des médiateurs et des critères professionnels. Cependant nous évoquerons le fait que ce modèle ne soit pas abouti en termes de relations (directes ou indirectes) entre les variables, d’exhaustivité des liens entre les déterminants ou encore d’implémentation au sein de la théorie transactionnelle.

Environnement professionnel Relations et performances

Contexte familial et financier

Rapport à l’emploi

Identité

Image corporelle Emotions

Discours des autres Gestion des traitements

Capacités physiques Capacités cognitives Symptômes limitant Gestion du poste S T R A T E G I E S R E P O N S E S Ca CANCER

Il semble donc impératif de pouvoir mettre en place un modèle théorique spécifique au maintien en emploi, tenant compte à la fois des caractéristiques sociodémographiques, professionnelles, médicales et des dynamiques organisationnelles, sociales, physiques et psychologiques des patients. D’ailleurs, une récente revue de la littérature des interventions ayant pour objectif d’améliorer le maintien en emploi des femmes diagnostiquées d’un cancer du sein, souligne une absence d’implémentation d’un modèle théorique spécifique à cet effet au sein des travaux réalisés (Bilodeau, Tremblay, & Durand, 2017). Les auteurs soulignent un réel besoin de développer une théorie interventionnelle ainsi qu’un modèle multidisciplinaire (psychologie, sociologie, médecine, etc.) spécifique aux besoins des patientes (Bilodeau et al., 2017). Une récente revue de la littérature indique qu’un modèle fiable du maintien en emploi devrait être : parcimonieux (il doit permettre d’identifier les facteurs de risques et leurs relations à l’aide d’études prospectives) ; valide (respectant la rigueur scientifique dans le cadre des tests empiriques, notamment en ce qui concerne les facteurs expliquant ou prédisant le maintien en emploi) ; généralisable (applicable à des groupes diversifiés de travailleurs dans différents pays) ; fiable (les relations entre les variables incluses dans le modèle doivent être observées dans différentes recherches et au sein de différents pays) ; écologiquement valable (impliquant des applications directes dans la vie réelle afin que les informations collectées soient applicables dans la prévention, l’évaluation et la réadaptation au travail) (Knauf & Schultz, 2016).

Trois grands paradigmes théoriques (biomédical, construction sociale et biopsychosocial) forment les racines historiques des modèles du maintien en emploi (Bickenbach, Chatterji, Badley, & Üstün, 1999; Fine & Asch, 1988; Lutz & Bowers, 2003; Meyerson, 1988; Olkin & Pledger, 2003; Smart, 2001; Tate & Pledger, 2003; Verbrugge & Jette, 1994). Dans l’approche biomédicale, l’incapacité est produite par un état médical qui est identifié et observable par rapport aux normes biomédicales de fonction ou de structure. Elle est donc considérée comme un problème personnel qui nécessite un traitement médical, mais

les facteurs tels que le contexte et l’environnement ne sont pas considérés (Bickenbach et al., 1999; Boorse, 1975, 1977; Bruchon-Schweitzer, 2002; Schultz, Crook, Fraser, & Joy, 2000; Smart, 2001). Dans le paradigme de la construction sociale, le handicap est considéré comme une combinaison complexe d’activités, de relations, d’attributs individuels et de conditions découlant principalement de l’environnement social de l’individu (Bickenbach et al., 1999; Olkin & Pledger, 2003; Tate & Pledger, 2003). L’incapacité ne dépend donc que d’une réponse sociétale dans un contexte donné (Smart, 2001; Smart & Smart, 2006). L’approche biopsychosociale s’inspire des paradigmes biomédical et social. Engel (1977) a proposé que les niveaux écologiques et structurels micro- (interactionnels), méso- (organisationnels ou communautaires) et macro-structurels prédisent les résultats sociaux et cliniques (Bruchon- Schweitzer, 2002; Tate & Pledger, 2003). L’évolution de ce paradigme alternatif a favorisé la conceptualisation du handicap comme multifactorielle. Ainsi, dans une perspective systémique4, de la compréhension du maintien en emploi et face à l’absence de modèles théoriques spécifiques à la thématique, de nombreux travaux préconisent de recourir à un modèle bio-psycho-social (Knauf & Schultz, 2016; Loisel et al., 2005). Dans le paragraphe suivant, nous allons étudier en quoi ce modèle pourrait être pertinent pour étudier le retour à l’emploi de femmes traitées d’un cancer du sein.

2.5.2. Le modèle bio-psycho-social 2.5.2.1. Description

Le modèle bio-psycho-social (Figure 8; Engel, 1977, 1980) est une représentation de l’être humain dans laquelle les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux, sont considérés

4 La théorie systémique est une approche multidisciplinaire qui étudie les propriétés communes dans de

nombreuses entités. C’est le biologiste autrichien Ludwig von Bertalanffy (1901 – 1972) qui lui a donné ce nom vers la moitié du XXème siècle. On la considère comme une théorie des théories, étant donné qu’elle recherche des règles de valeur générale qui puissent être appliquées à n’importe quel système et à n’importe quel niveau de la réalité. La démarche systémique consiste toujours à isoler un certain nombre d’éléments, qui vont conférer à ce système une autonomie par rapport à un ensemble d’éléments plus vastes. Ces éléments interagissent, et c’est cette interaction qui va constituer la notion de système (Bertalanffy, 2012; Lugan, 2009).

comme participant simultanément au maintien de la santé. Aucune de ces trois catégories de déterminants de la santé ne se voit accorder de prépondérance a priori même si l’on conçoit que leur importance puisse être relative. Ce modèle fournit une perspective systémique intéressante qui décrit un état ou un comportement à différents niveaux, organisés de façon hiérarchique, selon un continuum permettant de les classer des plus généraux aux plus spécifiques (culture, communauté, famille, individu, système nerveux, organes, tissus, cellules). Chaque système ou niveau peut être étudié de façon autonome et selon les méthodes appropriées. Ce modèle implique l’interdépendance entre tous les niveaux du modèle, c’est à dire que le fonctionnement d’un système dépend de celui de tous les autres (Bruchon- Schweitzer, 2002, p. 86).

Figure 8. Modèle Bio-Psycho-Social de Engel (1977, 1980)

SANTE