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INTRODUCTION GENERALE

SANTE « BIO »

2. Les transactions entre l’individu et le contexte

2.2. Le développement post-traumatique 1 Définition

Depuis les années 80-90, un courant hédoniste15, suggère que les personnes exposées aux évènements les plus traumatisants peuvent percevoir au moins un bénéfice lié à leur lutte face au cancer par exemple (Collins, Taylor, & Skokan, 1990; Park, Cohen, & Murch, 1996; Taylor, 1983). A partir de cette période, plusieurs concepts16 ont été utilisés par la psychologie pour décrire cette même idée d’un « développement personnel lié à tous changements positifs rapportés par une personne suite à des expériences stressantes » (Park, 1998, p. 269). Tous ces concepts très proches s’inscrivent plus ou moins dans un courant de pensées et recherches fortement en vogue actuellement, celui de la psychologie positive qui se réclame de l’étude des facteurs favorisant le bien-être (Cottraux, 2007; Seligman & Csikszentmihalyi, 2000). Le terme « post-traumatic growth » (PTG ; traduit en français : « développement post traumatique » ou encore « croissance post traumatique ») introduit par Tedeschi & Calhoun (1996, 2004) semble capturer l’essentiel de ce phénomène de développement personnel positif. Ils le définissent comme « des changements psychologiques positifs résultant de la confrontation, de la lutte avec tout événement de vie défiant hautement les ressources de l’individu » (Calhoun & Tedeschi, 1999, 2001, Tedeschi & Calhoun, 1996, 2004; Tedeschi, Park, & Calhoun, 1998). Les auteurs précisent cependant que ce processus n’est pas systématique et peut également

15 Le terme de « psychologie positive » arrivera plus tard en 1998 lors du congrès annuel de l’American

Psychological Association. Elle s’intéresse particulièrement à la santé et au bien-être, à ce qui rend les humains heureux, résilients, optimistes plutôt qu’aux sources des psychopotahologies.

16 Parmi ces concepts, nous retiendrons entre autres : « growth » (Helgeson, Reynolds, & Tomich, 2006; Park,

1998), « post-traumatic growth » (Tedeschi & Calhoun, 1996, 2004), « stress-related growth » (Park, Cohen, & Murch, 1996), « thriving » (Abraído-Lanza, Guier, & Colón, 1998; Carver, 1998; Cohen, Cimbolic, Armeli, & Hettler, 1998; Ickovics & Park, 1998; Massey, Cameron, Ouellette, & Fine, 1998) ou encore « benefit-finding » (Lechner, Carver, Antoni, Weaver, & Phillips, 2006; Sears, Stanton, & Danoff-Burg, 2003; Tomich & Helgeson, 2004).

coexister avec des affects négatifs (Tedeschi & Calhoun, 2004). Un complément de cette définition consiste à lui apporter cinq domaines de développement que sont (Tedeschi & Calhoun, 1996, 2004) :

- L’appréciation de la vie, soit le fait d’apprécier plus amplement la vie, chaque journée, de se sentir chanceux d’être en vie.

- Les relations aux autres, qui deviennent plus riches, plus intimes, plus appréciées, plus investies.

- Le développement d’une force personnelle, soit le sentiment de se sentir plus fort après l’épreuve, plus apte à gérer les difficultés, plus confiant en ses propres ressources adaptatives.

- Les nouvelles possibilités, soit les actions et comportements dont l’avènement a été créé ou catalysé par la situation de crise vécue (entamer une formation que l’on envisageait depuis longtemps sans le faire par exemple).

- Le développement d’une certaine spiritualité.

2.2.2. Développement post-traumatique et cancer du sein

Cette dernière décennie, le PTG relatif au cancer du sein, ses effets, ainsi que l’étude de ses déterminants ont suscité un grand intérêt au sein de la littérature (Kolokotroni, Anagnostopoulos, & Tsikkinis, 2014; Koutrouli, Anagnostopoulos, & Potamianos, 2012; Parikh et al., 2015). Les principaux résultats montrent que les niveaux de PTG perçus varient selon le temps écoulé depuis le diagnostic (Helgeson, Reynolds, & Tomich, 2006), le choix de la mesure (Park & Helgeson, 2006; Sumalla, Ochoa, & Blanco, 2009) et de nombreux facteurs personnels. Par exemple, le jeune âge au moment du diagnostic et un faible statut socioéconomique ont été systématiquement associés à une forte probabilité de PTG (Lechner & Antoni, 2004; Tomich & Helgeson, 2004; Weiss, 2004). Par ailleurs, les études ont montré que le soutien social perçu et le stress spécifique au cancer sont des déterminants du PTG

(McDonough, Sabiston, & Ullrich-French, 2011; McDonough, Sabiston, & Wrosch, 2014; Nausheen, Gidron, Peveler, & Moss-Morris, 2009; Tedeschi & Calhoun, 2004). Une méta- analyse englobant 87 études transversales, menée par Helgeson et al. (2006) a mis en évidence que le PTG est associé à de faibles niveaux de dépression, à un niveau élevé de bien-être et à des pensées intrusives en rapport avec les évènements stressants. Les auteurs n’observent cependant aucun lien avec l’anxiété, ni avec les mesures globales de détresse émotionnelle ou encore la qualité de vie globale (incluant la santé mentale et physique). À l’exception de la qualité de vie, toutes les tailles d’effets étaient hétérogènes, ce qui signifie que plusieurs sous échantillons peuvent être distingués quant au lien avec la perception d’un développement posttraumatique (Helgeson et al., 2006). Une étude française plus récente a montré une association positive entre le PTG et la qualité de vie psychologique (Lelorain, Bonnaud- Antignac, & Florin, 2010), alors qu’une autre étude met en exergue une association négative entre les deux variables (Bellizzi et al., 2010). Les liens entre le PTG et la qualité de vie sont encore discutables, ce qui traduit les nombreux débats actuels, dans la littérature scientifique, sur la vraie place du PTG au sein des modèles théoriques en psychologie de la santé. Certains le considèrent comme une issue (Calhoun & Tedeschi, 2004), alors que d’autres l’interprètent comme un processus (Affleck & Tennen, 1996; Morrill et al., 2008; Taylor, 1983). Dans ce dernier cas, que nous retenons, le PTG s’apparenterait à une forme de stratégie de coping positif comme l’ont défini Folkman & Moskowitz (2000).

2.2.3. Variations du développement post-traumatique

Bien que les recherches longitudinales soient, à notre connaissance, peu nombreuses, deux études n’ont montré aucune variation moyenne de PTG dans les 6 mois suivant les traitements (Scrignaro, Barni, & Magrin, 2011; Silva, Crespo, & Canavarro, 2012), alors qu’une troisième étude met en exergue, une augmentation globale du PTG dans les 18 mois suivant la chirurgie (Manne et al., 2004). Plus récemment, une étude a évalué les patterns d’évolution du

PTG chez 124 Taïwannaises pendant les 12 mois après le diagnostic (Wang, Chang, Chen, Chen, & Hsu, 2014). Dans cette étude, aucun des groupes n’a démontré une forte augmentation du PTG au fil du temps, et deux des groupes ont montré une diminution significative de PTG dans les 12 mois (modeste et forte, respectivement). Cependant cette étude souffre d’une faible puissance statistique car l’échantillon de 124 patientes est largement inférieur aux 300 inclusions recommandées par Nagin (2005) afin de constituer des trajectoires. Plus récemment, Danhauer et al. (2015) ont identifié six groupes de trajectoires de PTG chez 653 américaines diagnostiquées d’un cancer du sein. Les mesures de PTG ont été réalisées au moment du diagnostic, puis 6, 12 et 18 mois après. Les résultats montrent ainsi : une première trajectoire comprenant 5% de l’échantillon dont les scores de PTG sont relativement faibles et diminuent de façon non significative au cours du temps ; une seconde trajectoire incluant 19% des patientes dont les scores de PTG sont également faibles (mais supérieurs à ceux de la première trajectoire), avec une augmentation significative mais modeste au cours du temps ; la troisième trajectoire rassemble 6% des patientes. Les scores de PTG sont identiques à ceux de la seconde trajectoire au niveau basal et augmentent significativement jusqu’au 16ème mois après le diagnostic avant de se stabiliser dans le temps avec des scores supérieurs à la trajectoire 4 ; la trajectoire 4 justifie des scores moyens de PTG, stables dans le temps, et représente 26% des patientes ; la cinquième trajectoire comprend 28% de l’échantillon, et représente également des scores moyens et stables dans le temps, significativement supérieurs aux scores de la trajectoire 4 ; une sixième trajectoire rassemblant 17% des participantes avec des scores de PTG élevés et stables dans le temps (Danhauer et al., 2015).

2.2.4. Développement post-traumatique et retour à l’emploi

Dans l’étude de Johnsson et al. (2011) relative aux changements de vie et de statut professionnel, les résultats montrent que les femmes ayant repris leur emploi, 10 mois après le diagnostic de cancer du sein, rapportent significativement plus de stratégies de coping associées

aux changements de valeurs que leurs homologues encore en arrêt de maladie (Johnsson et al., 2011). Toutefois ce résultat n’est pas fiable dans la mesure où le questionnaire a été soumis aux participantes à ce même temps de mesure. Ainsi, nous sommes en droit de nous demander si c’est le fait d’avoir eu des changements de valeurs qui ont permis le retour à l’emploi ou si c’est le retour à l’emploi qui les a engendrés. Cette étude n’est donc pas concluante. Cependant, l’enquête qualitative de Nilsson et al. (2013) s’est intéressée à la perception du monde professionnel de 23 femmes ayant été traitées pour un cancer du sein. Certaines patientes témoignent d’un changement dans leurs priorités et notamment dans leur vie professionnelle qui serait vécue comme moins importante qu’auparavant. Ces modifications du rapport à l’emploi augmenteraient la redondance des absences dues à la maladie. Par ailleurs, certaines femmes perçoivent la survenue de la maladie comme l’occasion d’avoir de nouvelles opportunités professionnelles, constituant alors un renouveau dans leur quotidien (Nilsson et al., 2013). Des observations identiques ont été relevées dans l’étude qualitative de Mackenzie (2014), où les patientes témoignent réévaluer la place du travail dans leur vie afin de prioriser dans un premier temps leur bien-être, puis dans un second temps celui de leur famille.

Aucune étude quantitative, à notre connaissance, n’a évalué l’impact du développement post-traumatique sur le retour à l’emploi des femmes ayant un cancer du sein. Toutefois, les travaux qualitatifs de Nilsson et al. (2013) et Mackenzie (2014) laissent supposer que les changements de priorités vécus par les patientes, ralentissent leur retour à l’emploi. Cette hypothèse nécessite d’être évaluée dans le cadre d’une étude quantitative, ce que nous nous proposons de réaliser au sien de ce travail doctoral. Par ailleurs aucune étude, à notre connaissance, ne s’est intéressée à l’influence des variations du développement post traumatique sur le retour à l’emploi des femmes ayant un cancer du sein. Pourtant, une récente étude française a montré que les femmes sont plus exposées à ces changements quant à leur bien-être au travail, face à leurs homologues masculins (Murcia, Chastang, Leroyer, Molinié,

& Niedhammer, 2015). Il nous semble donc judicieux d’en proposer une première évaluation dans le cadre du cancer du sein. Nous supposons ainsi que plus le PTG augmente au cours du temps et plus le retour à l’emploi des patientes est difficile. Cette hypothèse nécessite également d’être évaluée dans le cadre de notre étude.

La troisième catégorie de déterminants référencée dans le modèle de Bruchon- Schweitzer (2002) correspond aux critères de santé où l’on retrouve le bien-être (physique, psychologique, social), la qualité de vie ou encore la fatigue. Le prochain paragraphe expose les liens existant entre ces critères de santé et le retour à l’emploi des femmes diagnostiquées d’un cancer du sein.