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Restrictions sur le prédicat des formations suédoises

5 Contrastivité des formations agentives

5.6 Restrictions sur le prédicat des formations suédoises

Rappelons ici la classification de Vendler (1957) en quatre classes d’Aktionsart (cf. 4.7). Notons aussi que nous ne donnons que la traduction littérale des formations suédoises. L’idée de Villoing (2002) selon laquelle le prédicat est [+dynamique] dans les composés [VN/A/Adv/P]N/A français s’est montrée incorrecte, et elle l’est certainement en ce qui concerne les formations suédoises en question. Nous montrons ci-dessous que les quatre classes d’Actionsart sont représentées par les quatre formations suédoises que voici :

• état

ostälskare (litt. fromage+aime-are), folktro (litt. peuple+croit), kvartsråda

(litt. quartz+règne-a), hatsak (litt. hait+chose) • activité

dagdrivare (litt. jour+traîne-are), kalkröra (litt. calcaire+remue-a), papperspress (litt. papier+presse), bärsele (litt. porte+harnais)

• accomplissement

pennvässare (litt. crayon+taille-are), citruspress (litt. agrume+presse), solvända (litt. soleil+tourne-a), hårtork (litt. cheveux+sèche)

• achèvement

cigarettändare (litt. cigarette+allume-are), flugsmälla (litt. mouche+tape-a),

kaststjärna (litt. jet+étoile), glädjeskutt (litt. joie+saute)

Notons aussi que, selon notre interprétation de Booij (2002) (cf. 5.1), la structure événementielle des verbes est principalement pertinente pour l’insertion syntaxique. Pour les procédés morphologiques qui opèrent au niveau de la SLC, elle n’a pas trop d’importance. Nous estimons que cette observation est juste : la structure événementielle du prédicat ne constitue

aucun critère nécessaire ni suffisant qui restreigne les prédicats complexes du composé français [VN/A/Adv/P]N/A ou des quatre formations agentives suédoises dont il est question ici.

En ce qui concerne les prédicats inergatifs et les prédicats inaccusatifs, ceux-ci peuvent apparaître et dans les composés [VN/A/Adv/P]N/A du français et dans les composés [N/A/Adv/PV-are]N, [N/A/Adv/PV]N, [N/A/Adv/PV-a]N et [VN]N du suédois. Selon Levin & Rappaport Hovav (1995:2-3), l’hypothèse d’inaccusativité, formulée par Perlmutter (1978) et adoptée par Burzio (1986), pose qu’il y a deux classes de verbes intransitifs : inergatifs et inaccusatifs. Ces deux classes possèdent des configurations sémantiques/syntaxiques sous-jacentes différentes. Les inergatifs ne prennent qu’un argument externe, et pas d’argument interne, alors que les inaccusatifs ne prennent qu’un argument interne, et pas d’argument externe. Les deux classes apparaissent donc en suédois dans les quatre formations agentives :

• inaccusatifs

oljedroppare (litt. huile+dégoutte-are), snabbsjunkare (litt. vite+coule-are), snöfall (litt. neige+tombe), hjärnsläpp (litt. cerveau+lâche), rösttapp (litt.

voix+perd), sjunklina (litt. coule+corde), blodsänka (litt. sang+baisse-a, vitesse de sédimentation), dalsänka (litt. vallée+baisse-a), tapport (litt. vide+galerie)

• inergatifs

höjdhoppare (litt. hauteur+saute-are), nödrop (litt. détresse+crie), nötskrika

(litt. noix+crie-a), springpojke (litt. court+garçon)

En conclusion à cette brève analyse des restrictions qui pèsent sur les prédicats entrant dans les quatre formations agentives suédoises, à l’instar des composés [VN/A/Adv/P]N/A français, disons qu’il ne semble pas exister de restrictions absolues. Pourtant, nous admettons que, naturellement, certains prédicats y entrent beaucoup plus fréquemment que d’autres, notamment les prédicats à deux arguments dont l’externe est agentif et dont l’interne porte le rôle de Thème/Patient.

5.7 Conclusion

Concluons cette étude contrastive qui a examiné quatre formations suédoises agentives pouvant être considérées comme correspondant à la construction morphologique française [VN/A/Adv/P]N/A. Les trois formations suédoises qui comportent un second constituant verbal montrent toutes des effets d’héritage, similaires à la construction française : elles manifestent les mêmes patrons sémantiques et les mêmes sens dénotatifs. Il n’est pas facile

de décider quelle est la formation suédoise qui correspond le mieux à la construction française. Toutefois, la formation en -are n’est pas la seule qui corresponde au composé roman [VN/A/Adv/P]N, même si, à l’instar de la construction française, elle manifeste le plus fréquemment une structure qui comporte un argument interne. Le composé [N/A/Adv/PV-a]N ne semble pas disponible en suédois moderne. Il se distingue donc en cela de la construction française. En ce qui concerne la formation suédoise du type [VN]N dans laquelle le constituant verbal occupe la première position, les effets d’héritage ne sont pas aussi manifestes et peuvent être mis en question. De plus, même si elle manifeste tous les sens dénotatifs exprimés par les autres formations, ses patrons sémantiques diffèrent des autres. Rappelons les composés français comportant un argument externe, qui, sémantiquement, se comportent exactement comme cette formation suédoise, et pour lesquels nous postulons une deuxième règle de construction morphologique. Cette règle est de fait appuyée par l’existence d’une même règle de construction morphologique, rentable, pour la formation agentive [VN]N en suédois.

Soulignons que dans les formations suédoises, à l’instar de la formation française, il est possible de faire entrer des arguments externes, des arguments internes, directs et indirects, ainsi que des adjoints. Ainsi, nous estimons que l’analyse des formations suédoises soutient l’idée que les adjoints soient présents dans la SLC du verbe base et héritée par le constituant verbal, et qu’il n’est pas nécessaire de poser une règle de construction morphologique séparée pour une même formation au cas où le constituant non verbal ne serait pas un argument interne, mais un argument externe ou un adjoint. Il arrive souvent, comme nous l’avons vu, que le constituant nominal joue le rôle d’adjoint. Il serait donc assez complexe de séparer ces cas de ceux où le N est, au contraire, un argument, interne ou externe, du V. Il ne semble pas non plus exister de restrictions sur les prédicats entrant dans des formations agentives des deux langues dont il est question : ils peuvent être inergatifs aussi bien qu’inaccusatifs et les prédicats complexes peuvent s’interpréter comme des états, des activités, des accomplissements et des achèvements. Constatons pourtant que les états sont plus marginaux dans ces formations que les trois autres classes vendleriennes, ce qui vaut aussi pour les prédicats inaccusatifs et inergatifs. Dans une perspective plus vaste, cette étude confirme l’opinion selon laquelle la relation sémantique tenant entre les constituants des composés comportant un verbe n’est pas sévèrement restreinte.

Les sens dénotatifs des patrons sémantiques sont inclus dans la polysémie d’agent, une notion qui sera étudiée de plus près dans les trois chapitres suivants. Constatons que les données suédoises constituent un argument supplémentaire pour l’existence de la polysémie d’agent, étant donné que les formations agentives du suédois et du français, issues des cinq règles de construction morphologique, expriment toutes les mêmes sens dénotatifs. Le

chapitre qui suit donnera une introduction à la notion de polysémie d’agent et ses implications théoriques, qui seront être testées dans les analyses qui suivent. Ces analyses quantitatives porteront sur la rentabilité des sens dénotatifs, en synchronie (ch. 7) et en diachronie (ch. 8), des composés [VN/A/Adv/P]N/A du français, ainsi que des dérivés V-ant, V-eur et V-oir(e), inclus afin de pouvoir comparer leur sémantique avec celle des composés.