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un argument externe

4.8 Conclusion : la structure sémantique des

composés [VN/A/Adv/P]

N/A

Dans des approches morphologiques et syntaxiques, ce sont surtout les composés comportant un adjoint qui peuvent facilement être mis sur le même pied que les composés [VN]N/A comportant un argument interne. Pour ce qui est des composés [VN]N/A contenant un argument externe, ils s’y adaptent plus difficilement, même si Fradin (2005) les traite de la même façon que les composés comportant un argument interne. Pourtant, les évidences présentées dans ce chapitre nous semblent des arguments en faveur du postulat d’une unique règle de construction morphologique, [VN/A/Adv/P]N/A, tout en admettant qu’elle risque d’être trop puissante. Nous espérons aussi avoir montré que nombre de composés, qui, au premier abord, et sans analyse approfondie, semblent avoir une structure [VN]N/A comportant un argument interne, comportent plutôt un adjoint sémantique ou un argument externe. En postulant une même règle de construction morphologique [VN/A/Adv/P]N/A, on évite ce problème de classement. Nous sommes tout à fait d’accord avec Fradin (2005), qui accepte une structure sémantique peu contraignante à l’intérieur des composés [VN]N/A, prédisant uniquement que le second constituant doit être un argument. Or, nous proposons d’y inclure les composés comportant un adjoint sémantique. Afin d’englober les composés [VN/A/Adv/P]N/A sous la même construction morphologique, nous révisons ainsi les deux conditions proposées par Fradin (2005) (cf. 40) comme suit :

54) Conditions sur les composés [VN/A/Adv/P]N/A

a) Le N/A/Adv/P doit être interprété comme un argument/un adjoint du prédicat verbal.

b) Le composé [VN/A/Adv/P]N/A doit dénoter une entité qui est sémantiquement corrélée à l’événement décrit par le prédicat verbal. Comme nous avons aussi ajouté le patron d’Action et celui de Résultat dans nos analyses des patrons sémantiques, il faut conséquemment élargir les corrélations entre l’entité dénotée et l’événement que Fradin a proposé (cf. 41). Nous ajoutons donc les deux corrélations de (d-e), les autres patrons que nous avons proposés entrant parfaitement dans (55b-c) :

55) L’entité A est corrélée à l’événement Év si

a) L’expression linguistique qui dénote A est un argument du prédicat verbal qui dénote l’Év (ou : A est un participant dans la structure causale reflétée par le verbe).

b) A constitue le lieu où l’Év prend place. c) A est un causeur de l’Év.

e) A est le résultat de l’action exprimée par l’Év.

Nous présentons ici la liste des patrons sémantiques que nous avons pu discerner parmi les composés [VN/A/Adv/P]N/A. Admettons que cette liste n’est certainement ni exhaustive ni sans défaillances qui pourraient être rectifiées :

• Agent : Ag V (P) N/A/Adv/P → Ag (fait) N V

• Instrument : (x) V (P) N/A/Adv/P avec Instr → N V avec Instr • Locatif : (x) V N/A/Adv/P (y) dans/sur Loc→ N V dans/sur Loc • Action : (x) [V N/A/Adv/P]Act → (x fait) [N V]Act

• Résultat : (x) [V N/A/Adv/P]Act a pour Rés → [N V]Act a pour Rés

• Causeinstrumentale : N V Cau et N/N2 V2 (par Cau)

Causeagentive : Cau V N/A/Adv/P et N/N2V2

Il découle de cette liste qu’il est possible d’inclure les patrons des composés comportant un adjoint dans les patrons des composés comportant un argument interne. Nous pouvons constater en outre que les patrons sémantiques des composés incorporant un argument externe sont dérivables des patrons des composés incorporant un argument interne ou un adjoint, ou

vice versa : le sens dénotatif est toujours le même. Nous n’avons donc pas

pu vérifier que ces deux pôles dans la liste construisent des unités dont la dénotation sémantique se distingue l’une de l’autre (cf. Guevara & Scalise 2004). Villoing & Roussarie (2003) mentionnent la possibilité d’un lien entre structure interne et dénotation. Cette possibilité peut se comprendre à deux niveaux différents : nous estimons avoir montré comment arriver aux sens dénotatifs des types sémantiques des composés à partir des patrons proposés ; or, les sens dénotatifs des composés individuels ne ressortent pas toujours par l’intermédiaire de ces patrons, ce qui est lié à la question de transparence vs opacité sémantique.

Certains composés ont un sens transparent, presque compositionnel, comme ouvre-boîte et porte-drapeau. D’autres composés ont un sens moins transparent et plus spécialisé, comme cache-bornes, ‛couvercle qui recouvre les bornes et les extrémités des conducteurs d'un appareil ou d'une machine’, ou traîne-lattes, ‛celui qui traîne ses chaussures, flâneur, vagabond’, et d’autres encore ont un sens opaque, comme étouffe-chrétien, ‛mets d'une consistance épaisse’, ou tète-chèvre, ‛oiseau, engoulevent d'Europe’. Les patrons sémantiques que nous proposons ne prennent pas en considération la question intrigante du degré d’opacité, cf. Fradin (2003a) qui estime qu’il y a des degrés d’opacité. Ceci pourrait certainement mériter d’être étudié de près.

Suivant le raisonnement de Lesselingue (2003), qui propose un continuum sémantique pour l’interprétation des composés [NN]N en français, nous pourrions aussi proposer un continuum pour les composés

[VN/A/Adv/P]N/A. À l’une extrémité du continuum, nous avons les composés [VN]N/A dont le second constituant est un argument interne, comme

ouvre-boîte, au milieu nous avons des composés comme traîne-buisson, où le statut

du second constituant peut être discuté, ainsi que caille-lait, exprimant une relation causative, et dont le second argument semble être un argument externe, du même type rencontré avec des verbes intransitifs inergatifs. À l’autre extrémité, il y a des composés classés clairement comme comportant un adjoint, comme passe-grand, et comme [VN]N/A comportant un argument externe, comme gobe-mouton. Les cas ambigus au milieu autorisent la transition floue entre les deux extrémités.

Remarquons que nous avons exclu de la liste des patrons proposés pour la construction [VN/A/Adv/P]N/A, le patron valable pour les composés comportant un argument externe, manifestant des similarités avec un type de composé germanique :

• (Agent/Instrument/Locatif : [N (qui (se)) V]Ag/Instr/Loc)

Nous ne voyons pas d’autre possibilité que de proposer une règle distincte pour cette construction morphologique. Nous avons également exclu le patron d’Objet (comestible) qui ne vaut que pour les composés comportant un argument externe, comme croque-madame, puisque nous estimons que son statut reste douteux :

• (Objetcomestible : N V Obj[VN])

Étant donné que le constituant verbal des composés [VN/A/Adv/P]N/A manifeste la SLC du verbe dont il est le thème, nous supposons que les adjoints sont présents dans la SLC du verbe. Ayant tiré cette conclusion, nous pouvons mettre en question la position selon laquelle ce n’est que la tête d’un composé dont l’un des constituants est un verbe endocentrique qui sélectionnerait le constituant non-tête. En d’autres mots, cela remet en question la pertinence de la notion de tête morphologique (cf. ch. 5, en particulier 5.1, où nous discuterons ces questions plus en détail).

Le chapitre suivant traitera des correspondances suédoises de la construction [VN/A/Adv/P]N/A en français, et examinera surtout si l’on peut y retrouver les mêmes patrons sémantiques. À l’instar des analyses du présent chapitre, il sera question d’une approche qualitative portant sur la disponibilité des formations suédoises.