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3 Les composés français : définition et délimitation

4.3 La structure sémantique interne des composés

4.3.2 L’étude de Fradin (2005)

Fradin (2005:1-28) montre que les règles de la dérivation et de la composition ne sont pas soumises aux mêmes contraintes sémantiques et prend comme exemple les dérivés en -eur et les composés [VN]N. La dérivation des noms en -eur impose des restrictions et sur l’input et sur l’output, une situation qui constitue la norme pour la dérivation morphologique en général. Sa base doit être un verbe qui prend un argument externe sujet portant le rôle sémantique d’Agent, et le nom dérivé doit décrire une manière d’agir qui est socialement saillante.99 Par contre, à la différence de la dérivation qui nécessite des conditions strictes, la

suédois aussi (cf. 5.5.1-5.5.4), différents rôles thématiques sont réalisés au sein des composés agentifs dont l’un des constituants est un verbe.

99 Fradin (2005:9) assume la « Unmixed Agentivity Condition » selon laquelle le sujet agentif du verbe ne peut aussi porter le rôle sémantique de Figure. Le rôle de Figure implique les propriétés suivantes : « Entity located with respect to another participant / Moves with respect to another participant / Is contained by another participant » (ibid.) Cette condition sert à expliquer pourquoi un dérivé tel que monteur, dans le contexte *Pierre a monté la vaisselle au grenier. C’est un monteur infatigable n’est pas bien formé, car le verbe monter n’exprime pas ici un mouvement orienté, ce qui est avant tout son trait caractéristique. Cette condition ne s’appliquerait pas aux composés [VN]N, et l’on trouve des formations telles que monte-charge.

composition préfère des ajustements flous. Cette différence explique par exemple pourquoi les composés formés à partir de V inaccusatifs sont possibles, par exemple pousse-plante ou saute-bouchon, mais non pas les dérivés correspondants.

Fradin (2005:14) rappelle le schéma proposé par Villoing (2002) qui est capable de rendre compte de la sémantique de la majorité des composés [VN]N :

39) X tel que X V N

Par l’intermédiaire de ce schéma, il est possible de former des composés non attestés. Or, selon Fradin, le composé [VN] doit uniquement satisfaire aux conditions suivantes :

40) Conditions on VN compounds

a) The N must be interpreted as an argument of the verbal predicate. b) The VN nominal compound has to denote an entity which is

semantically correlated to the event described by the verbal predicate. (2005:15)

La première condition implique que le référent du nom doit être un participant dans la chaîne causale associée à l’événement décrit par le verbe. Quant à la deuxième condition, il faut expliciter la corrélation sémantique entre une entité et un événement :

41) The entity A is correlated to the event Ev if

a) The linguistic expression denoting A is an argument of the verbal predicate which denotes Ev (equivalently: A is a participant in the causal structure the verb reflects).

b) A constitutes the place where Ev takes place. c) A is a causer of Ev. (ibid.)

La deuxième condition (40b) n’est pas formelle, mais concerne l’interprétation : la corrélation qui convient le mieux à la situation est choisie. La corrélation de (41a) est immédiate, l’information étant fournie par le prédicat verbal. Dans (41b-c), la corrélation doit être doublée de l’introduction d’une cause ou d’une localisation spatiale.

Fradin souligne que si son analyse est juste, elle prédit que l’inventaire des composés [VN] est plus grand que normalement supposé, car les conditions de (40) peuvent être satisfaites de manières différentes donnant lieu à plusieurs patrons sémantiques. Fradin en signale six.

Les deux patrons le plus souvent attestés et les plus productifs correspondent aux composés désignant des Agents, garde-malade ou

toujours transitif et décrit une relation Agent-Patient (Actor-Undergoer). Dans l’interprétation d’Agent, la variable qui lie le composé dans la syntaxe (the external linking variable) correspond au sujet du verbe. Notons que l’Agent peut aussi être Impersonnel : porte-revues. Dans l’interprétation d’Instrument, cette variable correspond à un adjoint instrumental. Les deux conditions de (40) sont remplies.

Un autre patron assez productif dénote ce que Fradin appelle un lieu fonctionnel. Le verbe évoque une trajectoire, indiquée par une préposition. Le verbe doit ainsi être considéré plutôt comme un intransitif prépositionnel que comme un verbe purement intransitif. Le composé marche-pied en est un exemple, marcher pouvant être interprété comme marcher sur. D’autres exemples sont passe-pied, passe-boulet, appui-tête et repose-bras. Ce qui est important ici, c’est que le N correspond à l’argument externe du verbe. Les conditions dans (40) sont remplies, parce que la variable de liage externe correspond à l’argument locatif intégré.

Par contre, ceci n’est pas le cas pour le patron dans lequel la variable de liage externe fixe le lieu où l’événement dénoté par le verbe prend place. Ce patron s’emploie presque exclusivement pour des noms de lieux, tels que

Chante-alouette, Hurleloup, Gratteloup100 ou Pissevache. Dans ces

composés, la condition de (40a) est remplie par définition, étant donné que le verbe est intransitif. Or, ce fait empêche la variable de liage externe d’être un argument du verbe. Il faut ainsi introduire la relation de (41b) afin de corréler cette variable au verbe.

Dans un autre patron, qui semble être faiblement productif, la corrélation au prédicat verbal correspond à une relation agentive, le cas causatif (41c), comme le montrent trotte-bébé, pousse-plante ‛lampe qui fait pousser les plantes’ ou saute-bouchon ‛champagne’. Puisque ces composés dénotent des artéfacts fonctionnels, Fradin estime qu’il est nécessaire d’introduire cette relation agentive additionnelle. Une telle relation n’existe pas dans le patron précédent qui s’applique à des composés comme Chante-alouttes : ceux-ci ne peuvent désigner un artéfact qui fait chanter les alouettes, car on n’a pas de contrôle sur les animaux sauvages ou sur les phénomènes naturels. Fradin souligne aussi la lecture inaccusative du verbe pour pousse-plante et

saute-bouchon : Les bambous poussent vite et Le saute-bouchon a sauté.

Le dernier patron signalé par Fradin comporte une relation causale entre deux événements et correspond au cas (41c). Le seul composé indiscutable attesté est gobe-mouton, désignant ‘plante, pilule empoisonnée destinée à faire mourir les bestiaux’. Le N n’est pas un Patient, mais un Agent selon (40a). Fradin (2005:28, n. 10) mentionne que tire-suisse illustre aussi le cas de (41c) en exprimant une relation entre deux événements : le suisse qui tire pour ouvrir la porte.

Selon Fradin (2005:20), il n’y a pas de restrictions strictes pour la combinaison sémantique des éléments du composé [VN]. Néanmoins, toutes les combinaisons ne sont pas aussi possibles. En particulier, lorsque le N est interprété comme le sujet de V, une des conditions suivantes doit être remplie :

42) The N cannot denote a volitional Agent (cf. marche-pied,

Chante-alouette, gobe-mouton) ;

43) The event in which the N’s referent is an Agent is a subevent in a Causal structure (cf. trotte-bébé, gobe-mouton) (Fradin 2005:20).

Selon les conditions de (42-43), les animaux ne sont pas considérés comme des Agents volitionnels. En ce qui concerne la condition (42), Fradin (2005:20) renvoie aussi à Kiefer (1992) qui observe le même phénomène dans les composés hongrois dénotant un événement. L’Agent n’agit pas intentionnellement : hoésés ‘chute de neige’ (N : hó ‘neige’, V : esik

‘tombe’, suffixe és). Fradin admet que ces deux conditions sont violées par les composés croque-monsieur et croque-madame, mais ceci explique aussi « why the meaning of these compounds sounds so bizarre when one tries to

reconstruct it analytically and why they are commonly considered as mere denominations: their meaning does not help to grasp their referent. »

(Fradin 2005:21). Or, rappelons à ce propos un composé tel

qu’accroche-cœur, désignant ‛mèche de cheveux formant une boucle plate sur les

tempes’, qui suit le patron le plus courant, Agent-Patient (Actor-Undergoer), mais qui a néanmoins un sens opaque (voir aussi 4.6 qui présente plusieurs exceptions à cette condition).

Étant donné l’existence de composés dans lesquels le N est le sujet du verbe dans une phrase correspondante, Fradin en tire en plus la conclusion que les composés [VN], construits par deux lexèmes, n’ont pas de structure syntaxique sous forme de SV. Il suffit de dire que N doit être interprété comme un argument de V. Il n’est pas nécessaire d’assigner au composé une structure, car son interprétation n’en requiert pas. Ceci n’est pas seulement un fait qui distingue la composition de la dérivation mais aussi de la syntaxe. Fradin admet que même si certains des composés sont rares en français, ceci n’affecte pas les données : ils sont rares parce qu’ils dénotent des objets peu communs. Du point de vue linguistique, aucun des composés n’est idiosyncrasique et ne doit pas être traité comme une exception. Tout composé [VN] doit faire partie de l’approche globale de la composition.

Nous présentons notre interprétation des patrons sémantiques proposés par Fradin (2005) sous forme de la liste suivante.101 Les patrons qui y entrent seront employés comme point de départ pour nos propres analyses qui suivent dans les section 4.4-4.6.

• Ag[VN] V N • X V N avec Instr[VN] • N V(intrans) (P) Loc[VN]. • N V dans NdeLieux[VN] • Artéfact[VN] fait N V.

N V Cause[VN] et N/N2 V2

4.4 Le composé [VN]

N/A

dont le second constituant est