• Aucun résultat trouvé

2. Dynamique de la matière organique dans les tourbières

2.2. Après exploitation

2.2.3. Restauration de la végétation

2.2.3.1. Régénération naturelle

Dans la plupart des cas, la régénération naturelle, c'est à dire la recolonisation spontanée de la végétation que l’on observe dans des tourbières abandonnées après exploitation, est un processus plutôt lent (Rochefort et al., 1995 ; Campeau & Rochefort, 1996) et la végétation qui s’installe alors, est différente des espèces pionnières typiques (Quinty & Rochefort, 1997 ; Girard, 2000). Certaines éricacées arbustives peuvent être présentes, mais les sphaignes, principales espèces formatrices de tourbe, sont souvent rares ou même absentes en raison des contraintes environnementales locales (Price, 1996 ; Price et al., 1998). Cependant, certains cas d’étude ont montré qu’une recolonisation végétale par des espèces pionnières typiques, incluant la restauration des sphaignes, était possible, bien que peu fréquente (Lavoie & Rochefort, 1996 ; Marcoux, 2000 ; Lavoie et al., 2003). L’une des rares espèces qui envahit spontanément les surfaces dénudées des tourbières abandonnées après exploitation est la linaigrette (Eriophorum vaginatum) (Grosvernier et al., 1997a ; Boudreau & Rochefort, 1999 ; Tuittila et al., 2000 ; Lavoie et al., 2003). Les tourradons (petits monticules) que forme cette plante créent un microenvironnement (humidité, ombre, protection contre le vent…) favorable à l’établissement d’autres plantes spécifiques, notamment des sphaignes (Salonen, 1992 ; Grosvernier et al., 1997a ; Buttler et al., 1998). Ce mode de recolonisation, qui reste un processus très lent, est souvent rencontré après l’arrêt de petites exploitations de faible intensité, comme lors des extractions manuelles traditionnelles. En ce qui concerne les extractions mécaniques intensives, le succès de la recolonisation végétale est moindre et nécessite dans la plupart des cas une intervention humaine.

2.2.3.2. Interventions humaines

Sans intervention humaine, et même après plusieurs années d’abandon de l’exploitation (~20 ans), certaines tourbières retournent rarement à un état tourbeux fonctionnel dans la mesure où le principal végétal accumulateur de tourbe (la sphaigne) ne se réimplante pas sur toutes les surfaces dénudées (Lavoie & Rochefort, 1996 ; Girard, 2000). Pour pallier à ce problème et surtout dans l’optique d’une recolonisation végétale rapide, des études canadiennes ont été menées sur la réintroduction de fragments de sphaignes (nommés « diapores »), sur des surfaces dénudées (Rochefort et al., 1995 ; Campeau & Rochefort, 1996). Ces expériences menées in situ, montrent que malgré une remise en eau du milieu par blocage des drains ainsi qu’une réintroduction de diapores de sphaignes, la recolonisation végétale n’est pas toujours garantie. En effet, les conditions environnementales locales (dessiccation causée par le vent et le rayonnement solaire) sont trop hostiles pour permettre un bon développement et une bonne croissance de ces diapores (Quinty & Rochefort, 1997 ; Kennedy & Price, 2005). En effet, ceux-ci sont très sensibles à la dessiccation et leur survie dépend donc de la disponibilité en eau du milieu (Price et al., 1998). Afin d’améliorer les conditions d’humidité et de température qui règnent sur les surfaces traitées, des études ont été réalisées sur la protection des diapores par l’ajout d’un paillis (de paille) qui facilite le rétablissement des sphaignes, en réduisant l’érosion du substrat tourbeux (Grosvernier et al., 1997a ; Buttler et al., 1998), en réduisant les pertes d’évaporation (Rochefort, 2000), et en améliorant les conditions d’humidité de surface (plus de 10 à 15%) qui étaient déficientes après exploitation (Price , 1997 ; Price et al., 1998 ; Pétrone et al., 2004). Ces approches de restauration des tourbières canadiennes sont devenues des pratiques standard et permettent à long terme de promouvoir le rétablissement d’une végétation typique de ces milieux. Cependant, même après restauration végétale, les tourbières continuent de fonctionner comme une « source » en carbone, c'est-à-dire que le bilan de carbone reste négatif (évaporation et respiration> production) avec toujours des pertes de CO2 vers l’atmosphère (Francez, 2000).

Rochefort et al. (2000) ainsi que Petrone et al. (2001), attribuent cette augmentation des pertes de CO2 après restauration à la décomposition des paillis. Si ces derniers protègent et facilitent

l’établissement des sphaignes au début de la restauration, ils se trouvent à court terme (~ 3 ans) rapidement décomposés provoquant ainsi une émission de CO2 vers l’atmosphère

(Wadddington et al., 2003b). De par leur courte durée de « vie » et de par les conséquences qu’ils entraînent en terme de bilan de carbone, la technique des paillis reste donc d’usage limité à des fins de restauration de sites. Des études plus récentes présentent des alternatives à

ce problème en se fondant sur l’importance que jouent certaines espèces végétales typiques des tourbières dans les processus de régénération, notamment sur le rétablissement des sphaignes. Comme cela a déjà été évoqué plus haut, la présence de la lignaigrette (Eriophorum vaginatum) sur les surfaces dénudées, génère un microclimat moins contrasté, une stabilité du substrat et des conditions hydrologiques propices à l’établissement des sphaignes ainsi que d’autres espèces typiques de ces milieux. Cette espèce qualifiée d’ «espèce compagnon» constitue une alternative naturelle, peu coûteuse et, à long terme, prometteuse en terme de restauration des tourbières (Buttler et al., 1998 ; Marcoux, 2000 ; McNeil & Waddington, 2003 ; Price et al., 2003).

Dans l’ensemble, les processus de restauration, même après interventions humaines, restent des processus extrêmement long ; il faut attendre un certain nombre d’années pour que le système retrouve sa capacité à séquestrer de nouveau le carbone. Certaines études montrent bien que même après 8 ans de restauration (Francez et al., 2000), des tourbières fonctionnent encore comme des systèmes source de carbone, avec des pertes de CO2 qui émanent

essentiellement des couches de tourbe superficielles (Francez et al., 2000 ; Waddington et al., 2003a ; Andersen et al., 2006). Ces pertes reflètent la présence d’une activité microbienne importante durant les premiers stades de la restauration. Les microorganismes de la tourbe qui ont survécu aux processus d’exploitation et qui étaient en latence, en attente de conditions favorables, vont, dès les premiers stades de la restauration, s’attaquer aux éléments facilement assimilables de la tourbe (notamment aux éléments nutritifs qui ont été libérés lors du drainage par minéralisation de la matière organique historiquement stockée), avant de s’attaquer aux végétaux nouvellement rétablis (Francez et al., 2000). C’est pourquoi comme l’expliquent Francez et al. (2000), les pertes de carbone que l’on observe quelques années après restauration sont vraisemblablement dues au décalage temporel qu’il y a entre l’activité microbiologique qui reprend immédiatement dès la remise en eau du site et la restauration du couvert végétal qui demande beaucoup plus de temps à s’établir. C’est pourquoi les processus de restauration d’une tourbière après exploitation, notamment après exploitation mécanique intensive, sont extrêmement lents avant que le système retrouve son état d’équilibre. Récemment, divers travaux de restauration de tourbières anciennement exploitées, ont montré qu’il était cependant possible de retrouver un état tourbeux fonctionnel, c’est à dire à un retour de séquestration du carbone (Waddington & Warner, 2001) avec le potentiel de restaurer un système « puit » de carbone à long terme (Tuittila et al., 1999).

facteurs en amont qui comprennent le mode d’extraction de la tourbe, la durée et l’intensité de l’extraction, le temps d’abandon de la tourbe avant les premières actions de restauration, les moyens employés pour la restauration, et bien d’autres encore.

CHAPITRE I : INTRODUCTION