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CHAPITRE V : EVOLUTION DE LA MATIERE ORGANIQUE

1.3. Discussion

1.3.2. Évolution de la composition de la matière organique de la tourbe en fonction

Dans aucun des sites étudiés, nous ne connaissons l’âge exact du début de la régénération. Des essais de datation au Pb210 qui ont été réalisés sur quelques échantillons, en collaboration avec Ph. Steinmann (Université de Neuchâtel), n’ont pas abouti. En effet, les échantillons envoyés pour analyses ne représentaient pas un pas d’échantillonnage suffisamment précis, pour établir une courbe d’étalonnage complète. En revanche, des datations par dendrochronologie réalisées par A. Siegenthaler (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, EPFL), ont permis de donner une estimation de l’âge de la tourbe régénérée.

(CHB) et de 44 ans dans le haut marais (CHC). Aucune datation n’a été réalisée dans la zone de référence (profil CHD).

En ce qui concerne la composition de la « jeune » tourbe régénérée, notamment dans la situation de bas marais (CHA), les faciès de régénération ont enregistré diverses successions végétales. Celles-ci commencent par les Cypéracées, auxquelles succèdent les mousses (12,5-17,5 cm de profondeur). Cet enregistrement révèle ainsi l’ordre de succession des végétaux dans les phases précoces de régénération. Ceci s’accorde avec les résultats d’études antérieures qui montrent ainsi que certaines espèces pionnières tels que Eriophorum

vaginatum auraient la capacité d’envahir les surfaces dénudées des tourbières abandonnées

après exploitation. Leur forme particulière de croissance formant de petits monticules appelés touradons, leur permettrait alors de générer des micro-environnements favorables à l’installation ultérieure des sphaignes (Grosvernier et al., 1995; Matthey, 1996; Soro et al., 1999). Cette succession végétale a également été enregistrée dans la tourbe régénérée dans la situation de transition (figure 2). En revanche, elle est plus difficilement observable dans celle de la situation de haut marais, vraisemblablement parce que notre profil de tourbe ne représente que 45 cm de profondeur, et que le début de l’enregistrement des Cypéracées se situe probablement plus en profondeur.

L’évolution latérale de la « jeune » tourbe qui s’observe suivant un gradient croissant de régénération (de CHA à CHC), se traduit principalement par des changements micromorphologiques et chimiques de la tourbe. Au niveau micromorphologique, nous observons une homogénéisation croissante de la composition de la tourbe tout au long du gradient, avec une majorité de tissus de sphaignes morphologiquement bien préservés dans le stade avancé de haut-marais. A ce stade, la composition de la tourbe se rapproche de celle de la tourbe « naturelle » de la zone de référence. Cette homogénéisation de la tourbe avec le temps de régénération peut s’expliquer éventuellement par une meilleure préservation des sphaignes que des Cypéracées, comme l’ont précédemment montré Chagué-Goff & Fufe (1996). En effet, des analyses de réflectance de la vitrinite effectuées sur une tourbe à Carex montrent de plus fortes valeurs que celles réalisées sur une tourbe à sphaignes provenant de la même tourbière, ce qui tend à exprimer un degré d’évolution plus élevé. Ce constat rejoint celui, beaucoup plus général selon lequel les sphaignes seraient beaucoup plus récalcitrantes à la décomposition que les végétaux vasculaires (Coulson & Butterfield, 1978; Clymo &

pourrait également, au moins pro parte, s’expliquer par le rôle que sont aussi susceptibles de jouer les conditions environnementales du milieu. En effet, le passage d’une situation de bas- marais à une situation de haut-marais s’accompagne du passage d’un milieu relativement riche en éléments nutritifs (pH ~ 4.8) à un milieu plus pauvre en ces éléments et beaucoup plus acide (pH~3.6), (Clymo, 1983; Heathwaite et al., 1993 ; Hogg et al., 1995; Chagué-Goff & Fufe, 1996). Ce changement a un effet direct sur la végétation, car dans les stades ombrotrophe, les plantes prédominantes sont les sphaignes. Ces dernières étant connues comme des espèces spécifiques de conditions sévères (Tallis, 1983).

Au niveau moléculaire, nous observons également un changement de la composition de la tourbe suivant le gradient croissant de régénération, notamment en ce qui concerne la distribution des différents sucres hémicellulosiques (figure 5). En effet, le passage de la situation de bas-marais au haut-marais s’accompagne d’une diminution des proportions du xylose (de 22 à 19 %) et de l’arabinose (de 11 à 8 %), au profit d’une augmentation des proportions du glucose hémicellulosique (de 28 à 34 %) et du mannose (de 10 à 12 %). Les proportions de galactose (15 %) et de rhamnose (9 %) restent relativement constantes au long de ce profil (figure 5). Le xylose et l’arabinose ayant été définis comme des marqueurs des Cypéracées et le galactose, le rhamnose et le mannose comme des marqueurs des mousses (Chapitre IV), nous observons donc une diminution des marqueurs des Cypéracées au profit d’une augmentation de ceux des mousses au sein de la tourbe nouvellement formée, le long du gradient croissant de régénération. Une fois de plus, cette évolution souligne le bon accord entre nos données d’analyse moléculaires et les résultats des examens micromorphologiques de la tourbe. Il convient cependant de rappeler qu’en ce qui concerne les zones affectées par la régénération, les analyses de sucres n’ont été réalisées que sur la fraction fine de la tourbe ; l’analyse de la tourbe brute, riche en débris végétaux, aurait certainement apporté plus de contraste au niveau de la signature moléculaire de la tourbe nouvellement formée, en fonction du gradient de régénération.

1.4.

Conclusions

L’évolution de la MO se produisant au cours des processus de régénération spontanée, nous a permis de différencier la « jeune » tourbe nouvellement formée de l’ancienne tourbe. La tourbe formée après régénération se caractérise notamment par de fortes valeurs de C/N et

revanche, l’ancienne tourbe est caractérisée par des valeurs de C/N et des teneurs de sucres plus faibles et assez uniformes, ainsi que par une MO plus humifiée principalement composée de flocons de MOA, de tissus de végétaux dégradés et de mucilage.

Les données d’analyse élémentaire et les résultats des examens micromorphologiques montrent une composition de la matière organique relativement similaire, dans les deux premiers stades de régénération (CHA et CHB ; < 35 ans), et plus contrastée dans le stade plus avancé de haut-marais (CHC ; > 40 ans). Dans ce dernier cas, la composition de la MO se rapproche de celle du profil de référence, notamment par une composition plus homogène de la MO (constituée essentiellement de tissus dérivant de sphaignes). Au niveau moléculaire et en contexte de haut-marais, cette homogénéisation de la MO se marque notamment par la dominance de marqueurs de sphaignes (rhamnose et galactose) dans la fraction fine de la tourbe de régénération. Malgré la grande diversité végétale de la litière présente dans le site de référence, les niveaux supérieurs de la tourbe accumulée (0-20 cm) sont principalement composés de tissus de sphaignes morphologiquement bien préservés. A l’inverse, dans les zones affectées par la régénération, et notamment dans les premiers stades, la litière est beaucoup moins diversifiée et la tourbe de surface est plus hétérogène. L’homogénéisation de la composition de la MO, illustrée par la dominance des sphaignes avec l’âge de régénération, s’avère être un bon indicateur de restauration.

Selon les analyses moléculaires, quelle que soit la situation de régénération, et en ne considérant que la fraction fine de la tourbe (<200 µm) qui représente a priori, la MO la plus humifiée, les teneurs en sucres totaux s’avèrent relativement fortes (de 70 à 280 mg.g-1). Ces résultats contredisent nettement les idées couramment admises selon lesquelles les sucres sont des composés aisément dégradés dans les tourbières (Hedges et al., 1985 ; Wilson et al., 1987). Au contraire, leur préservation, avec des signatures assez spécifiques de la plupart des végétaux sources (Chapitre IV) nous fournissent des informations supplémentaires sur les changements environnementaux passés ainsi que sur l’évolution de la matière organique au sein d’un gradient de régénération.

D’une manière générale, la dégradation préférentielle des sucres cellulosiques au profit des sucres hémicellulosiques (et notamment du glucose), font du rapport cellulosiques/hémicellulosiques un bon indicateur de biodégradation de la matière organique.

2.

La tourbière du Russey

2.1.

Micromorphological study of peat evolution in a regenerating