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CHAPITRE III : METHODES D’ETUDE

1. Introduction:

Les tourbières figurent parmi les écosystèmes de zones humides les plus répandus, soit environ 50 à 70% des zones humides mondiales (Chapman et al., 2003). 90% d’entre-elles se situent dans les zones tempérées et boréales de l’hémisphère nord. Ces zones sont principalement caractérisées par la présence de tourbières bombées à sphaignes. Ces tourbières ombrotrophes sont des écosystèmes ayant comme caractéristique principale, une forte capacité à séquestrer le carbone sous forme de produits organiques plus ou moins dégradés. Cette accumulation de carbone, rappelons-le, est contrôlée par un bilan positif entre la croissance des végétaux (i.e. la production primaire) et le taux de décomposition de la matière organique. Ce dernier inclut la décomposition des végétaux vivants ainsi que de l’ensemble des macrorestes (i.e. fragments de végétaux) plus ou moins décomposés présents dans la tourbe. Les principaux acteurs responsables de cette forte production primaire sont les sphaignes. Les sphaignes sont des végétaux présentant des caractéristiques très spécifiques, aussi bien morphologiques que biochimiques, qui leurs permettent (1) de s’adapter à des conditions environnementales difficiles (milieu souvent saturé en eau, acide et pauvre en éléments nutritifs) et (2) de créer un milieu encore plus acide inhibant les activités microbiennes et empêchant ainsi une dégradation complète des végétaux. Par conséquent, beaucoup de fragments de végétaux (macrorestes) se trouvent directement accumulés et fossilisés dans la tourbe (Lévesque, et al., 1988). Parmi ces végétaux et à côté des sphaignes (Sphagnum sp.) qui sont les plantes emblématiques de ce type de tourbières, on trouve d’autres mousses (i.e. famille des Polytrichaceae : Polytrichum sp.), des Ericacacées (i.e. famille des bruyères : Calluna vulgaris, Erica tetralix; et des airelles : Vaccinium oxycoccos), et des Cypéracées (i.e. famille des Carex : Carex rostrata ; et des Eriophorum, e.g. la linaigrette (Eriophorum vaginatum, Eriophorum angustifolium).

De nombreuses études antérieures ont abordé la détermination de la composition chimique de la matière organique de la tourbe. Des macrorestes de Cypéracées (Kruder & Kruge, 1998), d’Ericacées (Van der Heijden & Boon, 1994) et de sphaignes (Van Smeerdijk, 1987), microprélevés à différentes profondeurs, ont pu être identifiés chimiquement. En fait, ces études ont essentiellement porté sur l’identification des constituants lipidiques des macrorestes et surtout de leurs modifications chimiques durant la diagenèse. Cependant, de telles études sur la composition chimique des macrorestes dans le but de reconstituer les

fragments de végétaux est spécifique à chaque espèce, ce qui peut amener à fausser entièrement les reconstitutions fondées sur leur identification et leur comptage. Le fait que certaines espèces végétales se préservent mieux que d’autres a notamment été prouvé par Verhoeven & Toth (1995) en ce qui concerne les sphaignes, par rapport aux Cypéracées. C’est pourquoi, d’autres études plus spécifiques se sont intéressées directement aux précurseurs de ces macrorestes, c'est-à-dire aux végétaux vivants actuels.

Des travaux antérieurs sur la composition biochimique des sphaignes (Verhoeven & Liefveld, 1997 ; Williams et al., 1998) ont montré qu’elles sont principalement constituées de carbohydrates et de composés polyphénoliques. Ces derniers composés remplaceraient la lignine que les sphaignes ne sont pas capables de la synthétiser faute des enzymes nécessaires. Ces composés phénoliques qui seraient spécifiques des sphaignes sont présents, soit sous forme libre à l’intérieur des cellules, soit liés aux parois cellulaires (Rasmussen et al., 1995). A l’instar de la lignine des végétaux supérieurs (Williams et al., 1998), les composés polyphénoliques permettraient aux sphaignes d’assurer la rigidité de leurs tiges. D’autres études, cette fois-ci sur la composition en lipides des sphaignes ont montré qu’elles renfermaient des n-alcanes de longueur de chaîne moyenne (i.e. en C21-C25 ; Baas, 2000 ; Nott

et al., 2000; Pancost et al., 2002). Cette distribution de composés apparait bien distincte de celle des végétaux vasculaires qui eux, se singularisent par de plus grandes chaînes (C29-C31)

(Avsejs et al., 2002). Diverses études ont tenté d’utiliser cette famille de composés à des fins de reconstitution des conditions environnementales passées (Ficken et al., 1998 ; Ménot & Burns, 2001 ; Xie et al., 2003 ; Pancost & Boot, 2004). Cependant, l’ensemble de ces travaux qui se fondent sur l’identification et la quantification d’un mélange complexe de lipides très variés (n-alcanes, acides gras, alcools, esters …), n’apporte que peu d’information sur l’altération de la MO qui renferme de nombreux autres constituants biochimiques.

C’est pourquoi, dans notre étude, nous nous sommes attachés à combiner des approches analytiques bien distinctes, i.e. des analyses géochimiques globales (C et N), l’identification et la quantification des monomères cellulosiques et hémicellulosiques, et enfin des analyses micromorphologiques qui visent notamment à identifier visuellement des précurseurs de la matière organique. Des observations complémentaires ont été effectuées par cryo-microscopie électronique à balayage. En ce qui concerne les analyses moléculaire, nous nous sommes fixés sur les monosaccharides, d’abord, parce que ce sont des constituants majeurs des cellules végétales sous forme de cellulose, hémicellulose et autres polysaccharides, mais ensuite, car

comme beaucoup moins résistants que les lipides, voire trop aisément décomposés pour suivre les différentes étapes de la diagénèse (Hedges et al., 1985 ; Wilson et al., 1987), nous verrons que ces composés se préservent bien dans les tourbes et qu’ils y sont utilisés pour suivre l’altération de la MO. Afin d’exploiter au mieux les diverses informations que ces composés sont susceptibles de fournir, l’objectif du présent chapitre, est d’inventorier la composition en polysaccharides des principaux précurseurs de la MO des tourbes, à savoir les bryophytes et les Cypéracées. Plus précisément, nous nous sommes focalisés sur les sphaignes, les polytrics, et les Cypéracées (notamment, Eriophorum et Carex), connues pour être les espèces pionnières dans les successions végétales secondaires des tourbières dégradées (Salonen, 1992 ; Grosvernier et al., 1997a ; Buttler et al., 1998).