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CHAPITRE V : EVOLUTION DE LA MATIERE ORGANIQUE

1.3. Discussion

1.3.1. Évolution de la composition de la MO dans les profils de tourbe

A première vue, la diminution du rapport C/N le long des profils parait bien se corréler avec les résultats des observations micromorphologiques puisqu’elle s’accompagne notamment d’une augmentation de la proportion de matière organique amorphe (figures 1 à 4). Cet accroissement du degré d’humification de la tourbe s’accompagne également d’une augmentation des valeurs de la densité apparente. Néanmoins, cette augmentation avec la profondeur, s’effectue d’une manière beaucoup plus progressive dans la situation de référence (CHD) que dans les situations de régénération (CHA, CHB, CHC) où elle se marque généralement par un décrochement. Ce décrochement qui s’exprime aussi dans les variations des valeurs de C/N, signale vraisemblablement le niveau atteint par l’exploitation passée et la base de la tourbe de régénération. A notre étonnement, nous retrouvons aussi ce décrochement des valeurs de C/N au sein du profil CHD. Cela laisse supposer que la zone non exploitée a vraisemblablement aussi été affectée par l’exploitation passée de la tourbière, et plus précisément probablement par le drainage.

Selon des études antérieures, l’augmentation de la densité avec la profondeur dans un profil de tourbe non perturbé, s’accompagnerait de l’accroissement parallèle du degré de décomposition de la matière organique (Boelter, 1969; Malmer & Holm, 1984; Cocozza, 2003; Nungesser, 2003). En effet, durant les processus de dégradation, la MO devient plus

R2 = 0,7587 0 1 2 3 4 0,0 0,1 0,1 0,2 0,2 densité (g.cm3) a z o te to ta l (% )

Figure 7 : Relation entre la densité apparente et les teneurs en azote total de la tourbe pour les quatre profils d’étude (CHA, CHB, CHC et CHD)

facilement compactable, ce qui, par la pression des couches de tourbes supérieures, entraîne une augmentation de la densité. Mis à part, le pourcentage de la fraction fine de la tourbe (tableau 1), qui ne présentent pas de tendance significative avec la profondeur, nos résultats s’accordent avec cette interprétation. Dans l’ensemble de nos profils, les niveaux de densité maximale correspondent bien aux niveaux où la matière organique se trouve la plus humifiée, i.e. constituée principalement de mucilage, de matière amorphe et de tisssus dégradés indéterminés (figures 1 à 4). Ces processus de dégradation s’accompagnent également de modifications chimiques de la matière organique (Paivanen, 1969; Clymo, 1983) ; les variations du rapport C/N avec la profondeur en sont ici une bonne illustration (figure 1 à 4). Ainsi, dans l’ensemble des profils, les plus fortes valeurs du rapport C/N (> 40) se trouvent dans les échantillons de surface (0-10 cm), là où les teneurs en azote sont les plus faibles (tableau 1) ; les plus faibles valeurs de ce rapport (20-30) se situant en profondeur, où les teneurs en azote sont les plus élevées (tableau 1). Comme le confirme l’étroite corrélation entre ces deux paramètres pour l’ensemble de nos échantillons (figure 7), l’augmentation des teneurs en azote accompagne bien le degré de décomposition de la matière organique.

En règle générale, dans un profil de tourbe non perturbée, les valeurs de la densité apparente oscillent entre 0,02 et 0,04 g.cm3 dans la litière, entre 0,04 et 0,06 g.cm3 dans les premières couches de la tourbe et entre 0,07 et 0,09 g.cm3 dans les couches plus profondes (Clymo, 1983; Johnson et al., 1990; Nungesser, 2003; Weiss, 2006). Ces données correspondent bien aux résultats des mesures de densité apparente réalisées au sein du profil de référence (CHD) et qui augmentent régulièrement avec la profondeur (figure 4). De plus, les principaux constituants organiques présents au sein de ce profil montrent également une évolution caractéristique d’une diagenèse croissante classique, avec une diminution progressive de la proportion de tissus de sphaignes, graduellement remplacés par une matière organique beaucoup plus amorphe en profondeur. Les résultats des analyses moléculaires s’accordent avec cette évolution diagénétique, avec des teneurs de sucres assez élevées dans les 20 premiers centimètres du profil (figure 5). La faible consommation de ces composés se traduit alors par une dégradation préférentielle de la cellulose par rapport à l’hémicellulose (figure 6), notamment dans la tourbe brute. Vers 15 cm de profondeur cette dégradation préférentielle se traduit par une chute des teneurs en sucres cellulosiques totaux. Cette chute se trouve compensée par une augmentation des teneurs en sucres hémicellulosiques, et notamment du glucose (figure 5). Ces observations nous permettent de penser qu’avant toute consommation des sucres au cours d’une diagenèse classique, il y a déstructuration de la

R2 = 0,7954 0,0 0,4 0,8 1,2 1,6 100 150 200 250 300 350 Sucres Totaux (m g,g-1) R a p p o rt ( c e ll /h é m ic e ll )

Figure 8 : Relation entre les teneurs en sucres totaux et le rapport (cellulosiques/hémicellulosiques) des échantillons de la tourbe du profil de référence CHD

dégradable par les microorganismes), et à ce titre assimilable à de l’hémicellulose. L’étroite corrélation entre les teneurs en sucres totaux de la tourbe brute et le rapport des teneurs en sucres cellulosiques et hémicellulosiques confirme cette hypothèse (figure 8) et permet d’utiliser ce rapport comme indicateur de biodégradation. En ce qui concerne la distribution des sucres hémicellulosiques (figures 5 et 6), la différence entre la fraction fine de la tourbe et la tourbe brute, peut s’expliquer par l’origine de ces composés qui peuvent être microbiens et/ou hérités (Comont et al., 2006 ; Moers et al., 1990). En effet, selon ces auteurs, les plus fortes teneurs en sucres cellulosiques, ainsi que les plus fortes proportions de xylose et d’arabinose dans la fraction grossière de la tourbe, marqueraient l’héritage des plantes vasculaires. Inversement, les plus fortes proportions de rhamnose, galactose, mannose, fucose, ribose et glucose hémicellulosiques dans la fraction fine de la tourbe, pourraient probablement, au moins pro parte, être liées aux microorganismes. Nos données s’accordent globalement avec cette interprétation, en considérant le xylose et l’arabinose comme des marqueurs des Cypéracées et le fucose, le ribose et le glucose hémicellulosique, au moins en partie, comme des marqueurs microbiens. En revanche, comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent (Chap. IV), le galactose, le rhamnose et le mannose sont aussi des marqueurs de mousses. C’est pourquoi les proportions de ces composés sont relativement plus importantes dans la tourbe brute que dans la fraction fine, notamment en ce qui concerne le galactose et le rhamnose (figure 6). Pour le mannose, les plus fortes proportions de ce composé que l’on trouve parfois dans la fraction fine illustrent vraisemblablement une plus forte contribution des produits microbiens. Il convient cependant de souligner que, globalement, la différence des proportions des différents sucres entre les deux fractions reste relativement faible, excepté en profondeur où les proportions de xylose, de rhamnose et même les teneurs de sucres cellulosiques (figure 6), illustrent bien la présence de tissus de Cypéracées bien préservés et de sphaignes, bien que ces dernières soient morphologiquement plus dégradées (figure 4).

En contexte de bas marais (CHA), l’évolution avec la profondeur des valeurs de C/N, des teneurs de sucres et des pourcentages relatifs des principaux constituants organiques, nous permet de distinguer deux compartiments. Le compartiment supérieur (≈ 25 cm d’épaisseur) est formé d’une « jeune » tourbe régénérée que caractérisent de fortes valeurs de C/N et de sucres, ainsi qu’une MO composée essentiellement de tissus bien préservés provenant des mousses et des plantes vasculaires. Le compartiment sous-jacent est formé d’une tourbe « ancienne » beaucoup plus humifiée, caractérisée par de faibles C/N et de relatives faibles

teneurs en sucres. La composition micromorphologique de la tourbe confirme ce résultat, notamment par la présence de mucilage, de flocons de MOA et de tissus de végétaux dégradés indéterminés (figure 1). Ainsi, par comparaison avec CHD, la tourbe de ce profil à travers la composition géochimique et micromorphologique fort contrastée de sa MO, a bien enregistré les variations paléoenvironnementales, notamment celles liées à l’exploitation et la régénération qui en a suivi. Nous retrouvons également cette même compartimentation au sein du profil de transition (CHB) et de celui de haut marais (CHC), mais avec une limite moins contrastée vers 25 cm de profondeur. Toutefois, nous pouvons noter une meilleure préservation de la matière organique dans la situation de haut marais (CHC), illustrée par de fortes proportions de tissus de sphaignes préservés et/ou dégradés, tout le long du profil, excepté vers 15 cm de profondeur où elles se trouvent totalement absentes. Ce niveau a potentiellement pu enregistrer une phase d’assèchement qui aurait entraîné une forte dégradation de la matière organique. A la base du profil CHC, la bonne préservation des sphaignes se trouve bien corrélée avec les teneurs de C/N de la tourbe qui réaugmentent à partir de 30 cm de profondeur, ainsi qu’au niveau de la composition en sucres où l’on retrouve une légère augmentation du galactose et du rhamnose, marqueurs de ces végétaux (figure 5). Les plus faibles proportions de mucilage au sein de ce profil CHC par rapport à ceux de CHA et CHB, apportent un argument supplémentaire en faveur d’un relatif meilleur état de préservation de la matière organique. L’ensemble de ces observations en faveur de conditions de préservation relativement bonne dans un environnement de haut-marais, s’accordent avec les conclusions antérieures de Chagué-Golf & Fyfe (1996). Ce point sera plus longuement développé dans la deuxième partie de la discussion.

1.3.2. Évolution de la composition de la matière organique de la